Au moment même où les citoyens ont besoin de repères et d'informations fiables pour décrypter le monde qui nous entoure, le cynisme continue de faire des victimes. Première d'entre elles, le journalisme. Profession chahutée par l'opinion publique, en grand danger avec la redistribution des cartes dans l'univers médiatique, elle doit également subir les assauts cyniques des communiquants, bien décidés à mettre ses lettres de noblesse au service du "consommer toujours plus", en inventant le brand journalism, ou journalisme de marque, une pâle imitation de ce qu'on peut attendre de ce métier. Une chronique à lire sur ce blog Médiapart, ou à écouter en suivant le lien vers mon blog personnel.
Brand Journalism ça vous dit quelque chose ? Non ?
Et bien à moi non plus ça ne me disait rien, jusqu’à ce que je tape "journalisme" sur mon clavier d’ordinateur pour trouver un sujet de chronique pour Médiapolis, l'émission de Radio Dijon Campus consacrée aux médias.
Brand Journalism, traduit en français, cela donne journalisme de marque, deux mots qui a priori non vraiment rien à faire l’un avec l’autre. Mais qui recouvre la dernière invention marketing, et une énième tentative pour nous faire prendre des lessives pour des lanternes... C’est que, les grandes marques ont remarqué que leurs campagnes de pub commençaient à fatiguer les consommateurs, y compris sur internet. Elles ont donc décidé, dans la veine du « on est jamais mieux servi que par soi-même », de créer leurs propres portails sur le net, en somme de devenir leur propre média. Coca-Cola, Crédit Suisse, Apple ou Nike pour citer les plus gros, se chargent donc désormais eux-mêmes d’informer sur ce qu’ils appellent dans leur jargon leur « univers de marque ». Mais pour bien réussir leur coup, ils doivent produire des contenus de qualité, qui feront progresser le référencement dans Google et en retour génèreront du trafic vers les sites marchands.
Et c’est là qu’on revient au journalisme.
Car comme le dit le site e-marketing.fr avec un cynisme consommé « les journalistes savent ce qui rend un contenu attrayant, l’essence d’une bonne histoire et la façon de bien la raconter ». D’après le quotidien espagnol El Pais, Coca Etats-Unis a d’ailleurs embauché plus de 40 journalistes pour sa rédaction web. Sauf que le brand journalism, c’est la version extra extra light du journalisme : plus besoin de vérifier ou recouper l’information, d’apporter la contradiction, on raconte tout simplement ce qu’on veut, pourvu qu’on le raconte bien. Et surtout au service de la marque.
Dans cet univers du brand content, le mot « information » a d’ailleurs disparu du vocabulaire au profit du terme « contenu ». On crée des contenus, on les enrichit, on les agrège, on les démultiplie sur les réseaux sociaux. Car l’objectif de tout cela bien sûr ce n’est pas d’informer, mais bien évidemment de vendre. Et ça marche d’ailleurs très bien, puisqu’une étude Nielsen menée aux Etats Unis révèle que la création de contenus de marque est bien plus efficace que la publicité payante en ligne. Le phénomène est en train de conquérir la France, et l’univers internet du i-marketing franchouillard bruisse désormais du concept de journalisme de marque...
Mais la presse dans tout ça, la vraie ?
Et bien, qu’elle soit sur papier ou en ligne, elle n’en a pas encore fini avec Google qu’elle doit désormais faire face à ce nouvel et redoutable ennemi. Non content de détourner sa main d’œuvre, de transformer le journalisme en une marchandise et d’assécher l’information à son profit, le brand journalism pourrait également conduire à une réduction drastique des budgets publicitaires des marques, et priver ainsi la presse d’une de ces principales ressources.
De telles concurrences foulent au pied la déontologie au cœur du métier de journaliste et plaident plus que jamais pour le développement de sites d’informations internet indépendants et sans publicité, à l’image de Médiapart ou de Dijonscope [pureplayer dijonnais].Car comme l’a rappelé Edwy Plenel, rédacteur en chef de Médiapart, au micro de France Inter la semaine dernière, les journalistes indépendants peuvent être pour « la profession des donneurs d’enthousiasme, d’une quête de vérité légitime, parfois douloureuse, parfois dérangeante, mais utile à la démocratie ».
Chronique radio réalisée pour Radio Dijon Campus et diffusée le 27 mars 2013, dans le cadre de l'émission Médiapolis, Master 2 Euromédias Dijon. D'autres chroniques et articles sont disponibles sur mon blog.