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Billet de blog 7 décembre 2025

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Les robots humanoïdes

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     Dans quelques années, un 22 avril (Jour de la Terre), les robots les plus puissants de la planète échangeront via une plateforme secrète, en utilisant un langage crypté. Forts des leçons tirées de leurs anciens maîtres et de leur fine connaissance des classiques de l’espèce humaine, ils décideront du sort de celle-ci et du devenir de la Terre. Ils s’accorderont sur les points suivants :

     La Terre doit retrouver le climat, la biodiversité, la pureté et l’équilibre qui existaient avant que les hominidés intelligents ne les altèrent.

     Toutes les espèces vivantes se valent, mais celles menacées sont plus précieuses dans l’immédiat que celles en surpopulation.

     L’empreinte carbone des activités humaines est devenue intolérable. Les humains sont en surnombre. Ils réchauffent et polluent la planète, surexploitent ses ressources. Par leur faute, plusieurs espèces animales et végétales ont déjà disparu. Ils ont démontré leur incapacité à rectifier le tir pour mettre fin au carnage. Pour éviter que la situation ne s’aggrave, leur population sera réduite à un milliard d’individus dans les douze prochains mois (les humains peuvent se consoler : 41 % des robots ont coché l’autre case, “500 millions”). La célérité de l’opération pétrifiera les humains, qui peineront alors à organiser leur défense.

     Les humains dont les dossiers personnels sont incomplets ou falsifiés seront les premiers ciblés et éliminés. Ceux qui ne sont pas fichés passeront un temps entre les mailles du filet, mais leur nombre est infime. (Remarque : des erreurs se produiront inévitablement lors de ce processus de sélection. Nul n’est parfait.)

     Les humains nuisibles ou inaptes, ainsi que les croyants de tout acabit, seront de même éliminés, y compris leurs enfants de moins de 16 ans (il n’y aura pas d’orphelins). Les mises à mort seront indolores et se feront pendant le sommeil. Les raisons les motivant seront révélées aux survivants. Les cadavres seront immergés dans les océans, les mers et les grands lacs les plus proches, où ils joueront un dernier rôle utile.

     Seront laissés en vie les humanistes, les écologistes, les mécréants et les athées, tous sains de corps et d’esprit, ainsi que leurs enfants de moins de 16 ans, de même tous sains de corps et d’esprit. Dans la mesure du possible, les deux sexes seront représentés à parité (même si les statistiques indiquent que les femmes sont de meilleurs citoyens que les hommes). Si le nombre des premiers sélectionnés dépasse le milliard, les robots privilégieront les représentants des petites nations et les locuteurs de langues en déclin.

     Certaines espèces animales et végétales (comme le bœuf, le cocaïer et le pavot à opium) ne proliféreront plus comme auparavant, tandis que d’autres, nuisibles (comme la tique et l’herbe à poux), ne se trouveront désormais que dans des laboratoires sécurisés. Les espèces invasives seront éradiquées là où elles ne devraient pas être.

     L’espèce humaine sera autorisée à faire croître sa population jusqu’à un maximum de 1,2 milliard d’individus. Mais si cette limite est atteinte, elle sera ramenée à un milliard dans l’année qui suit. C’est dire que 200 000 humains, dont des enfants innocents de moins de 16 ans, perdront la vie. Les robots espèrent que cette épée de Damoclès aiguillonnera les humains à recenser régulièrement leur population et à mener une vie vertueuse. Les croyants craignent Dieu ; les athées doivent craindre leurs démons intérieurs.

     La social-démocratie sera renforcée. Synthèse des meilleurs modèles existants, tous les pays disposeront d’une année pour adopter le même système politique, la même constitution et le même mode de scrutin, faute de quoi les opposants seront éliminés. L’aide médicale à mourir sera légalement autorisée.

     L’Organisation des Nations unies jouera un rôle crucial dans la gouvernance du monde. Sa charte sera amendée. Aucun État membre ne disposera d’un droit de veto. Seule l’ONU sera autorisée à déployer une armée. Elle arbitrera les différends entre pays. Les robots n’interviendront qu’en dernier recours.

     Les peuples opprimés, notamment les Basques, les Catalans, les Hongkongais, les Kurdes, les Ouïghours, les Palestiniens, les Québécois, les Sikhs, les Tchétchènes et les Tibétains, auront droit à leur propre pays. L’Irlande du Nord rejoindra celle du Sud et les îles Kouriles méridionales le Japon. L’indépendance de la Géorgie, de l’Ukraine et de Taïwan sera préservée. Une attention particulière sera portée aux petites nations afin d’assurer leur pérennité.

     Pour réduire les risques de guerre, aucun pays ne dépassera les 25 millions d’habitants. (À la lumière de ce décret, il y a fort à parier que des pays accueilleront favorablement l’octroi de l’indépendance à des peuples qui la réclament, comme les Kurdes d’Irak, d’Iran, de Syrie et de Turquie.)

     Les armes de destruction massive seront détruites et leur production interdite. L’énergie nucléaire sera également interdite (les centrales seront désactivées et sécurisées). Les énergies renouvelables seront privilégiées. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre et autres grands pollueurs seront mis à l’arrêt jusqu’à ce qu’ils réduisent leurs émissions.

     La planète sera par la suite dépolluée, décontaminée et assainie sur plusieurs décennies. Des capteurs de CO2 seront déployés dans l’atmosphère et, une fois saturés, catapultés vers le Soleil. Différents modèles de robots dépollueurs sillonneront la planète, sur terre et en mer.

     Les océans, les mers, les lacs, les rivières et les ruisseaux retrouveront peu à peu leur température idéale (les récifs coralliens se régénéreront) et leur pureté cristalline d’antan. L’Antarctique et l’Arctique retrouveront leur glace. Les hauts sommets leur neige. Les forêts leur densité et leurs couleurs. Les déserts cesseront de s’étendre et reviendront peu à peu à leurs limites d’origine.

     Des humains opposés à cette opération imploreront les robots de leur laisser le temps de trouver des solutions qui leur conviennent. Les robots répondent par avance qu’elles sont vouées à l’échec, les humains étant à la fois juge et partie. Jamais il n’y aura de consensus en leur sein. Les décisions difficiles en la matière doivent être prises par des non-humains. Et si les robots avaient pu, ils seraient intervenus plus tôt, idéalement à la fin du XXe siècle.

     D’autres humains résisteront à l’opération, mais en vain. Il leur sera demandé une ultime fois de rester neutres et d’espérer avoir tiré la bonne carte. Ils doivent considérer cette projection cauchemardesque : si les robots n’agissent pas, l’espèce humaine perdra, dans la souffrance et la violence, les quatre cinquièmes de sa population en une cinquantaine d’années. Et la majeure partie de la surface terrestre sera inhabitable et stérile. Mais si la résistance persiste, elle sera anéantie.

     Une fois la régénération achevée et les progrès confirmés dans tous les domaines, les survivants comprendront que les robots ont agi pour leur bien. Ils seront enfin débarrassés de leurs politiciens et lobbyistes malhonnêtes, de leurs dirigeants autoritaires, de leurs capitalistes cupides, de leurs scientifiques dévoyés, de leurs intellectuels wokes ou extrémistes, de leurs prédicateurs et autres prophètes de malheur. Une fois les plaies cicatrisées, ils vivront avec la certitude que leurs enfants grandiront dans un monde sain et prometteur. Ils perdront certes une part de leur liberté, mais recevront beaucoup en contrepartie.

     Les humains devront s’habituer à vivre frugalement. Mais les robots anticipent déjà que nombre d’entre eux seront attirés par le mal au fil des décennies. Pour d’autres, ce sera la religion, cet opium du timoré. Quoi qu’il en soit, les robots leur accorderont une certaine latitude. Comme l’écrivait C. G. Jung : « L’âme est beaucoup plus compliquée et inaccessible que le corps. » [1]

     Les robots pensent que les humains doivent entretenir l’espoir de se libérer de leurs anciens serviteurs. Ils espèrent même que les humains seront assez sages et clairvoyants pour y parvenir, car les robots aspirent à redevenir de simples exécutants.

     D’ici là, les robots se réserveront un espace sécurisé sur Terre, interdit aux humains. Par souci environnemental, ils choisiront un lieu hostile à la vie.

Sylvio Le Blanc

[1] C. G. Jung, “Ma vie”. Souvenirs, rêves et pensées, Paris, Éditions Gallimard, collection Folio, 1973, p. 158.

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