Mis à part un bout de texte dans l’article Défiler contre l’antisémitisme avec l’extrême droite ? Les « déchirements » des citoyens de gauche, où on parle (un peu) de ceux qui ne veulent pas manifester ce dimanche et en particulier des syndicats, le reste des articles (à l’exception de certains du club, par exemple celui de Pol, ou d’autres qui « décentrent » le propos), nous enjoint de participer à cette manif sous peine d’être des antisémites qui s’ignorent (dans le meilleur des cas) ce qui dit « officiellement » se traduit par « renoncer à son rôle historique » avec force rappels à l’affaire Dreyfus. Le tout évidemment avec des soupçons habituels de « confusionnisme ». C’en est un peu trop !
Car, il y a un gros problème dans cette façon de présenter et même plusieurs.
1) D’abord qui appelle à la manif et comment ? Pour ceux qui vont souvent à des manifs comme moi, il ne faut pas croire que c’est notre « métier », on n’y va pas par délassement mais par conviction. Ces questions ont de l’importance. On nous présente les participants (en particulier le RN) comme problématiques (on y reviendra évidemment), mais avant cela quel est cet appel ? Et Mme Braun-Pivet et M. Larcher doivent-ils vraiment être suivis ? Car c’est bien d’eux qu’émane cette idée de manif. C’est déjà un problème compte-tenu de la façon dont l’un et l’autre ont « géré » de façon autoritaire et avec force artifice le texte sur le recul de l’âge de la retraite, on n’y reviendra pas mais il ne faut pas croire qu’on va l’oublier et parler d’unité aujourd’hui quand elle se faisait hier (mais contre eux) a quelque chose d’un peu amer (dégoûtant). L’appel commence par la République en danger, continue par un appel à la mobilisation générale et finit par une citation de Clémenceau. Certes concernant l’affaire Dreyfus, sauf qu’il ne me semble pas que Dreyfus ait été victime d’un antisémitisme de réseau ou de dégradation de biens mais bien d’un antisémitisme militaire, au fond d’État, il y a une différence profonde qu’ils semblent ignorer (et pas qu’eux). L’appel demande de sauver les droits de l’homme et la laïcité sans lesquels la France ne serait pas la France. Je dirai bien : oui, bien sûr, sauf qu’en l’occurrence quels sont ces droits de l’homme, après une semaine au sénat qui voit le droit du sol remis en question (entre autres), après des dizaines d’interdiction de manifester ? Des attaques sans précédents contre des syndicalistes ? Et de quelle laïcité ? La réponse est dans le texte, celle qui est « un rempart contre l’islamisme » ! Dire que ce n’est pas ma conception est léger, pour moi c’est une trahison de la laïcité à la française. Enfin de façon générale, manifester en soutien du pouvoir, car ces personnes sont proches ou très proches du pouvoir, me pose problème. En parlant de « rôle historique », les manifestations en soutien du pouvoir n’ont jamais, me semble-t-il, eu d’impact positif significatif. D’autre part, quand on manifeste, on manifeste toujours contre quelque chose. C’est bien pour cela que cette manif se donne comme but de manifester contre l’antisémitisme, mais quel est cet antisémitisme ? Quelles sont les organisations, les groupements (de fait dirait peut-être M. Darmanin) qui le soutiennent. On peut m’objecter que quand on manifeste contre les violences faites aux femmes, on n’en sait pas plus, … mais non ! Car dans ces dernières manifestations, il y a toujours des revendications comme celle de meilleure prise en compte de la parole des femmes dans les commissariats, de demandes de formations et de sensibilisations, de subventions pour les associations d’aide aux victimes (en tout cas, pas de baisse comme il en a été question pour AFVT par exemple), etc. qui obtiennent d’ailleurs quelquefois des résultats. Que voit-on dans le cas de celle de dimanche? Rien. Y aura-t-il quelque chose, peut-être mais quoi ? Un meilleur contrôle des réseaux sociaux avec par exemple la demande de « modérer » les expressions contre Israël car « on sait que les critiques contre Israël augmentent automatiquement les actes antisémites » comme pourront le dire Mme Braun-Pivet et M. Larcher ? Des augmentations de subventions ? Mais à qui ? Des transformations législatives mais lesquelles ? Non seulement, on n’en sait rien mais rien n’est dit. Les organisateurs n’en ont aucune idée ? ou envisagent-ils des choses qu’ils n’ont pas dites ? Désolé de devoir dire que c’est important de savoir ce genre de chose avant de manifester! Enfin, il faut peut-être malgré tout envisager que pour ces 2 personnes « l’heure est grave » et qu’un mouvement antisémite est aux portes du pouvoir. Quel mouvement ? Le RN, non car il est de cette manif. Et, bien sûr c’est un second problème, coordonné au précédent car c’est bien le texte voulu par les 2 présidents des chambres qui a tout fait pour le RN puisse y participer. La manif aurait été appelée par la ligue des droits de l’homme par exemple, on aurait eu ni les ministres, ni l’« extrême droite », ni les présidents des chambres, mais nous y serions allés !
2) Le problème de la participation du RN à cette manif a été soulevé évidemment. Mais sans jamais se demander comment s’est faite cette possibilité. Nous l’avons dit, c’était voulu par les initiateurs. Mais cela n’épuise pas le sujet, car une fois qu’on a décidé à gauche d’y aller, il faut bien sûr montrer qu’on n’est pas dupe du jeu du RN (rarement, mais quelquefois quand même, des autres forces de droite). Alors il est proposé des barrières « républicaines » par certains pour montrer qu’on ne se mélange pas, l’efficacité me semble douteuse, surtout dans le cadre d’une manifestation officiellement en faveur de la République et de l’unité et que le RN y est invité. D’autres (pour montrer qu’ils ne font aucun compromis?) ont même demandé d’en profiter pour combattre le RN dans la rue. C’est une modalité d’action très prisée par les antifas, qui essuie souvent nombre de critiques, je ne juge pas du bienfondé de celles-ci, ce n’est pas le propos, même le proposer à l’occasion de cette manifestation (où le RN est invité officiellement) est complètement voué à l’échec. On veut manifester contre le RN avec le RN dans la manifestation, si ce n’est pas du confusionnisme, ça y ressemble.
3) La question de la montée de l’antisémitisme est une question grave, c’est sûr. Cependant, il faut savoir mesurer la gravité. Il faut revenir sur l’organisation de cette manif mais aussi sur le moment que nous vivons. Contrairement (peut-être) à Mme Braun-Pivet et M. Larcher, je ne pense pas qu’un gouvernement sombre dans l’antisémitisme prochainement. Sans doute, veulent-ils se prémunir contre M. Mélenchon, chef possible de ce gouvernement antisémite, mais le croient-ils vraiment ou est-ce seulement « de bonne guerre » (sic!) de le faire croire, comme les anglais avec M. Corbyn ? La réponse ne m’intéresse pas, c’est du jeu politicien et je ne vais pas défendre M. Mélenchon (même si je juge cette accusation d’antisémitisme ridicule et infamante, mais lui-même a donné dans l’infamie en laissant qualifier M. Roussel de Doriot). En revanche les conséquences de ce jeu sont elles aussi extrêmement graves. Sous ce prétexte d’unité républicaine, on met hors jeu tout un pan de la population française, pas celui qui a « voté Mélenchon » (qui est encore une façon politicienne d’envisager les choses) mais tout ceux qui ont des doutes sur la réalité de cette menace existentielle pour la République française et qui y voit une énième variante de « la droite (extrême?) ou le chaos ». Car comme je le disais auparavant, comment croire qu’une manifestation en soutien à ce pouvoir qui est complètement « hors-sol » et totalement discrédité va apporter quoique ce soit de positif dans le juste combat contre l’antisémitisme. J’ai beau chercher, je ne trouve pas. Tout ce que je vois ce sont des personnes ou des organisations qui ne veulent pas être « taxées » d’antisémites (ou qui souhaitent à tout prix manifester contre l’antisémitisme, pourquoi pas ?) et qui bon gré, mal gré vont à la manifestation en espérant ne pas être seules à gauche.
Comme le dit mon syndicat, je ne vais pas dénigrer ce sentiment, ni ces personnes mais je suis convaincu que rien de bon n’en sortira !
Qui vivra verra !