C’est l’année du Dragon, en Chine, année prospère, année de l’argent. En France aussi, année de l'argent. Grâce aux projets de l’Élysée dans la Culture, on va pouvoir subventionner franchement les entreprises privées. Cela bruisse de partout. Quand un pré-rapport du Ministère vous tombe sous la main (comme récemment celui sur la « Culture pour chacun » et maintenant celui sur le « Financement du spectacle vivant »), on y voit l’idéologie s’y dévoiler sans fard, avant habillage et camouflage. Les intérêts privés (et leur esthétique, que diable !) s’affirment charitablement prêts à prendre la relève d’une politique publique du spectacle vivant qu’ils jugent tragiquement piégée par ses propres progrès. Sous prétexte de rendre cette politique plus agile, ce pouvoir voudrait créer des « fonds », des « agences », des « centres », doublant, voire triplant le ministère de la Culture. On prétend imiter l’Allemagne, mais on rêve en Anglo-saxon. Il s’agit, paraît-il, de trouver de nouveaux moyens de financement pour un budget culturel dont on a décrété qu’il n’augmentera plus. Ceci reviendra de fait à parasiter et à siphonner ledit budget.
Encore plus grave et plus inquiétant : le Président de la République, dans son discours de bonne année, a dit ne pas pouvoir épargner aux moyens d’intervention de l’État dans la Culture "un gel de crédits de 6%". Contrairement à une foule de mesures annoncées qui ne seront applicables qu’après les élections présidentielles, celle-ci pourrait entrer en vigueur immédiatement, pour toute l’année, et pour tous les domaines de la création. Elle s’ajoute ainsi aux réductions de subventions dans beaucoup de Régions, Départements et Villes, rabotages occasionnés par la réforme (l’asphyxie programmée) des collectivités territoriales. Pour les institutions, les conséquences financières vont vite se révéler catastrophiques. Pour les compagnies de théâtre ou de danse, les ensembles musicaux, les dégâts seront juste différés car désormais tout dans notre domaine est coproduction. Tous ont besoin de tous. Et les compagnies vivent aussi d’autres activités de rayonnement pédagogique, social, dont les financements sont déjà passés au laminoir. Les petites structures, les festivals et les lieux d'art sont impactés de toute part. Et par voie de conséquence, avec elles, en première ligne, tous les artistes, créateurs ou interprètes.
Le même Président, au cours des mêmes vœux, se présente comme le défenseur des artistes, il affirme que les acteurs du spectacle vivant n’ont pas à se plaindre, que de 2007 à 2012 le Budget du ministère de la Culture a augmenté de 21% ! D’où sort ce chiffre ? Où est donc passé ce pactole ? Dans la Communication ? le Patrimoine ? et cette année la Philharmonie ?… Qui d’entre nous en a vu la couleur ? Quand nos budgets parviennent à suivre l’inflation, c’est miracle ! 1,4% d’augmentation en 5 ans pour le spectacle vivant, contre 10% d’inflation ! Ce qui est grave dans de telles élucubrations, c’est qu’on laisse entendre à l’opinion (et l’on se fait croire à soi-même : c’est ça, l’idéologie…) que tous les lieux de création et de diffusion, grands ou petits, ont bénéficié d’un bonus grandiose, et qu’ils l’ont tout simplement gaspillé en flemmardant dans l’Intermittence ou en renforçant la bureaucratie de bâtisses improductives. Faux, Monsieur le Président ! Les maisons d’art fourmillent d’événements de toutes sortes ; depuis plusieurs années, elles ont réduit leurs coûts de fonctionnement. En vous appuyant sur des études faussées, vous nous dites « Pourquoi tant de créations et si peu de diffusion ? ». Comme la diffusion reste forte malgré la réduction imposée des moyens, peut-être pensez-vous qu’il faille créer moins ? La tragédie, c’est que la principale variable d’ajustement (sic) est et sera le budget des artistes et des créations : salaires en peau de chagrin, offres d’emploi en berne. Presque tous, beaucoup trop, ne survivent désormais que par Pôle emploi, le RSA, la CNAV… Nous le savons : la France a des dettes. Mais nous avons déjà bien payé. Que les niches fiscales, les placements financiers soient mis à contribution.
Nous ne nous adressons pas seulement ici à tel ou tel candidat – de droite, de gauche ou d’ailleurs, favori d’aujourd’hui ou de demain. Nous en appelons aussi à celles et ceux qui seront la Représentation Nationale à la fin de ce printemps, et à celles et ceux qui sont déjà en responsabilité dans toutes les régions.
La question culturelle est centrale, cruciale, et non accessoire. Nous sommes aujourd’hui devant des choix déterminants, dans les domaines les plus graves, individuels et collectifs. Survivrons-nous à ce moment de l’histoire – en tant qu’humanité ? En tant qu’animaux, oui, ou en tant que clones décérébrés, c’est possible, mais en tant qu’humains ? C’est avec urgence que la pensée, philosophique, artistique, est nécessaire à tous. Nous devons nous mettre en état d’imaginer un autre destin. Les arts (et leur diffusion) sont essentiels dans notre boîte à outils. C’est cela, une politique culturelle.
Nous réclamons depuis des années une loi d’orientation, afin de préciser la place primordiale de l’art et de la culture dans les enjeux de notre société, afin de clarifier et rendre réellement productifs les efforts de l’État et des collectivités locales, et de réguler les inévitables défauts d’une politique en mal de gouvernance. Avant ou après les élections présidentielles, pour réussir les réformes dont nous sommes porteurs, les budgets d’intervention du ministère de la Culture doivent absolument être abondés – et les collectivités locales ne doivent pas se sentir exemptées.
Le SYNDEAC demande à celles et ceux qui briguent la magistrature suprême une réponse, un engagement clair et concret sur toutes les questions ici posées. Pour sa part, il est et sera toujours prêt à développer et à partager ses analyses et propositions, fruits à la fois du travail quotidien sur le terrain et d’une utopie obstinée pour le bien commun. Dans les semaines et les mois qui viennent il fera entendre sa voix, avec d’autres organisations, pour résister, empêcher la paralysie de cette politique que la France a su inventer : la plus belle part de son rayonnement.
SYNDEAC, février 2012