L’île d’Amsterdam est une île des Terres australes et antarctiques françaises située dans le Sud de l’Océan Indien. C’est une petite terre de 55 km² culminant à 881 m. En 1871, cinq vaches en provenance de la Réunion y sont introduites pour la mise en place d’un élevage. Ce dernier étant un échec, les bovins sont laissés à l’abandon sur l’île six mois plus tard.
De forts impacts sur l’île
Sur cette île sans aucun prédateur, les vaches se sont rapidement multipliées et le petit troupeau atteint environ 2000 individus en 1950. Dans le même temps, la végétation de l’île fut profondément impactée par l'activité de ces bovins. Notamment, l’arbuste Phylica arborea, que l’on ne trouve que sur les îles d’Amsterdam et de Tristan da Cunha, formant autrefois une ceinture tout autour de l’île, se retrouve confiné à quelques cratères inaccessibles aux vaches, où seuls quelques individus survivent.
Les albatros d’Amsterdam, se reproduisant exclusivement sur cette île, sont aussi grandement menacés par la présence des bovins qui dégradent les sites de reproduction, et on ne compte que 5 couples reproducteurs en 1980.
En 1951, une maladie décime une partie du troupeau, mais il atteindra de nouveau le niveau de 1950 dans les années 1980. Des mesures de conservation sont alors prises. À partir de 1987, on érige des clôtures pour empêcher l’accès à certaines parties de l’île et on éradique une partie du troupeau. Des individus de Phylica arborea sont réintroduits sur le versant Est à partir de plants produits directement sur place et les sites de reproduction des albatros d’Amsterdam deviennent inaccessibles.
La pression exercée par les vaches sur l’écosystème de l’île étant toujours trop importante, elles sont complètement éradiquées en 2010. Depuis, plus de 11 hectares de boisement de Phylica arborea ont été replantés au total, et on compte 51 couples d’albatros en 2018, assurant la survie de ces deux espèces; malgré d'autres menaces toujours présentes.
Une bonne nouvelle s’il en est, mais avec la disparition de ce troupeau de vaches, nous perdons également un excellent témoin d’un phénomène évolutif assez particulier.
« Island Rule »
Sur les îles, il semble exister chez les mammifères une tendance évolutive plutôt étonnante. Nombre de scientifiques ont remarqué que, sur les îles, les petits mammifères avaient tendance à voir leur taille augmenter, tandis que les grands mammifères voyaient leur taille diminuer. Baptisée « Island rule », ou la règle de l’île en bon français, cette loi semble se vérifier autant chez les mammifères actuels que chez les mammifères fossiles.
Concernant les cas de gigantisme, on connaît par exemple l’espèce fossile Nuralagus rex, un laporidae cousin des lapins et lièvres actuels, qui était présent sur l’île de Minorque et dont on estime qu’il pouvait atteindre 12 kg. Le rongeur Mikrotia magna, proche des souris et dont les restes ont été retrouvés au Gargano dans le sud de l’Italie, une ancienne île, pouvait atteindre les 2 kg, et le Hutia géant d’Anguilla (Amblyrhiza inundata), un rongeur des petites Antilles, avait une masse estimée entre 50 et 200 kg.
On retrouve surtout de nombreux restes d’espèces naines à travers les îles du monde. Un exemple impressionnant concerne Paleoloxodon cypriotes, une espèce d’éléphant fossile de seulement 200 kg et 1 mètre 30 retrouvée sur Chypre, une version miniature de son ancêtre présumé du continent, Paleoloxodon antiquus, un géant de 10 tonnes et 4 mètres 50 de haut. D’autres éléphants ou mammouths nains sont retrouvés sur des îles méditerranéennes (Crète, Malte, Sicile ou Tilos), en Asie du Sud-Est (Flores, Java, Sulawesi ou Timor) ainsi que sur des îles californiennes, russes ou japonaises.
On retrouve également des espèces fossiles d’hippopotamidés naines sur Madagascar, Malte, Chypre ou la Sicile, des fossiles de cervidés nains en Corse, Sardaigne, Crète, Sicile, Jersey et sur des îles américaines ou japonaises, ou des fossiles de bovidés nains sur les Baléares, en Sardaigne, Sicile, Java, Cebu ou Sulawesi. Cette règle pourrait même s’appliquer chez des espèces des lignées humaines, comme Homo florensiensis, une espèce fossile retrouvé sur l’île de Flores en Indonésie, surnommée le hobbit à cause de sa petite stature (seulement 1 mètre 10 pour 30 kg) ou encore Homo luzonensis, espèce décrite en 2019 et retrouvée sur l’île de Luzon dans les Philippines, dont les petites dents laissent penser qu’elle aussi pourrait être de petite taille.
Et, vous l’aurez compris, les vaches de l’île d’Amsterdam sont également un très bon exemple de nanisme insulaire. Si l’on compare la taille des vaches de l’île au début du premier programme d’éradication à celle des vaches dont elles seraient issues, on remarque une réduction de de 49 à 81% de la masse corporelle, en un peu plus de 110 ans (soit 24 générations). Une évolution extrêmement rapide, ce qui semble être le cas de nombreux cas de nanisme insulaire.
Parmi les autres changements qui accompagnent cette réduction de taille, un compte également une modification dans l’âge de la reproduction (la première reproduction a lieu plus tôt en moyenne), une saison de reproduction plus longue, ou un raccourcissement des métapodes (des os des mains et des pieds, respectivement métacarpes et métatarses). Des changements que l’on retrouve également chez d’autres espèces naines insulaires.
Quelles causes pour cette règle ?
Les scientifiques avancent plusieurs hypothèses pour expliquer ces phénomènes de nanisme ou de gigantisme. La première affirme que la limitation de ressources alimentaires est importante sur les îles. Dans ce contexte, les animaux de petite taille, ayant besoin de moins de ressources, ont plus de chance de survivre. Au fil des générations, les espèces de grande taille voient ainsi leur taille diminuer. Mais cette hypothèse n’expliquerait pas le gigantisme.
Une seconde hypothèse, non-exclusive de la première, affirme que sur les îles, souvent petites et isolées, les pressions de sélection entre les espèces, comme la prédation, la compétition ou le parasitisme, tendent à diminuer. Notamment, la diminution ou disparition de la prédation jouerait ici un rôle très important : une grande taille corporelle, pouvant être considérée comme une protection contre les prédateurs, ne serait plus une caractéristique avantageuse en l’absence de cette prédation, d’où la sélection pour des tailles corporelles plus petites. L’inverse semble aussi vrai pour les espèces de petite taille, celle-ci pouvant être avantageuse pour échapper aux prédateurs.
Enfin, dernière hypothèse, il existerait chez les mammifères une taille optimale, possiblement autour d’1 kilo ou de 100 grammes. Cette taille optimale ne serait pas atteinte sur le continent à cause de toutes les pressions de sélection, comme la prédation et la compétition entre espèces pour des ressources.
Sur une île, si la prédation et la compétition diminuent voire disparaissent, les mammifères de grande taille verraient donc leur taille corporelle diminuer vers cette taille optimale, alors que l’inverse se produirait pour les mammifères de petite taille. Cette hypothèse est cependant loin de faire consensus chez les spécialistes.
Il reste ainsi encore beaucoup de mystères entourant cette « Island Rule », et l’éradication des vaches de l’île d’Amsterdam, bien qu’absolument nécessaire pour la protection des faunes et flores locales, nous a peut-être fermé une porte pour lever le voile sur ce phénomène.
Bibliographie
Rozzi R. & Lomolino M.V. 2017. — Rapid dwarfing of an insular mammal–The feral cattle of Amsterdam Island. Scientific Reports 7 (1): 8820
Van der Geer A., Lyras G. & De Vos J. 2021. — Evolution of island mammals: adaptation and extinction of placental mammals on islands.John Wiley & Sons.
Restauration du Phylica arborea de l'île Amsterdam, accessible via https://taaf.fr/actions-de-terrain-et-programmes-menes/phylica-arborea/
Plan national d’actions en faveur de l’albatros d’Amsterdam, accessible via https://taaf.fr/actions-de-terrain-et-programmes-menes/plan-national-dactions-en-faveur-de-lalbatros-damsterdam/