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Billet de blog 24 octobre 2025

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Les oiseaux femelles chantent aussi

On a longtemps cru que les chants été l’apanage des oiseaux mâles. Le chant des femelles, autrefois relégué au rang d’exception, est pourtant très largement répandu.

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Une croyance ancrée

Ce sont les oiseaux mâles qui chantent. Cela semble être une connaissance quasiment universelle, que nous avons tous et toute acquise enfant : les mâles chantent au printemps pour attirer les femelles afin de se reproduire. Aussi simple que cela. Le chant a d’ailleurs longtemps été scientifiquement défini comme tel : « une longue et complexe vocalisation produite par le mâle durant la saison de reproduction » pouvait-on par exemple lire dans un livre de référence de deux ornithologues anglais, Catchpole & Slater. L’évolution du chant était même l’un des exemples invoqués dès L’Origine des espèces de Darwin pour expliquer et étudier le phénomène de sélection sexuelle. Les femelles choisissent les mâles en fonction de leur chant. Les mâles ayant des chants qui conviennent le plus aux oreilles des femelles se reproduisent ainsi plus, et leur chant est transmis aux générations successives. Mais un gros grain de sable vient enrayer cette machine bien huilée : il semblerait que les oiseaux femelles chantent aussi.

Ce n’est pas un fait complètement nouveau pour la science. Nombreux·ses sont les ornithologues qui avaient documenté des chants d’oiseaux femelles. Ces chants étaient vus soit comme l’exception de quelques espèces, soit comme des anomalies d’origines diverses. Mais depuis quelques décennies, au fil des découvertes, l’exception ne semble plus en être une. Un article publié en 2014 dans la revue Nature communications clôt ce débat (pour en ouvrir une infinité d’autres) de manière retentissante : les femelles sont capables de chanter chez 71% des 323 espèces étudiées (lesquelles représentent la plupart des familles des oiseaux chanteurs). Cet article montre également que la présence de chant chez les femelles semble être l’état ancestral, ce qui signifie que l’ancêtre commun à toutes ces espèces présentait ce caractère. Ce n’est donc pas une apparition récente chez quelques oiseaux.

Quelles fonctions pour le chant ?

Avec l’idée en tête que seuls les mâles chantent pour attirer les femelles, on peut légitimement se poser la question : pourquoi les femelles chantent-elles également ? Il existe des femelles qui chantent pour attirer des mâles. C’est le cas de l’Accenteur alpin, un oiseau de haute montagne pratiquant la polygynandrie (les mâles cherchent à s’accoupler avec plusieurs femelles et les femelles avec plusieurs mâles). Chez cette espèce, la femelle chante lors de sa période de fertilité pour s’accoupler avec plusieurs mâles, s’assurant au passage l’assistance de ces derniers pour les soins parentaux. Mais ce n’est pas la seule fonction du chant, même chez les mâles.

Il permet, aux mâles comme aux femelles, de défendre un territoire et ses ressources. Il empêche également la venue de prédateurs ou de rivaux de la même espèce. Le Troglodyte familier, un petit oiseau d’Amérique du Nord, est connu pour détruire les œufs des nids proches de la même espèce pour s’assurer que les ressources de territoire ne soient destinées qu’à sa couvée. Les femelles chantent pour défendre leur nid contre les attaques, et plus elles chantent, moins elles perdent d’œufs.

Le chant permet également de coordonner les soins parentaux, de maintenir la cohésion des groupes ou des couples de reproduction, de transmettre des informations sur le lieu de naissance ou de vie et l’identité des individus. Enfin, il n’est pas non plus limité à la saison de reproduction. Certaines espèces, à l’instar du Rouge-gorge, chantent plus fréquemment durant la mauvaise saison. Chez ce dernier, mâles et femelles chantent pour défendre leur territoire individuel d’hiver. Au printemps, le territoire du couple est défendu par le mâle, et le chant des femelles devient plutôt rare.

La faute à qui ?

Pourquoi a-t-on longtemps cru que seuls les mâles chantaient, et uniquement durant la saison de reproduction ? Cela relève principalement de la manière dont l’ornithologie s’est historiquement construite, avant tout en Europe et en Amérique du Nord. Dans ces régions tempérées, en effet, les femelles chantent moins (chez environ 43% des espèces, contre 71% dans le monde entier). La faute revient ici à l’évolution : dans le domaine tempéré, de nombreuses femelles ont perdu la capacité de chanter, sûrement à cause de la migration pratiquée par la majorité de ces espèces. Les mâles arrivant souvent plus tôt que les femelles sur les quartiers de reproduction, la tâche de défendre un territoire leur incombe. Aussi, les espèces migratrices sont dans l’ensemble moins à même de maintenir des couples sur plusieurs années. Les chants des femelles semblant jouer un rôle dans le maintien des couples et dans la défense des territoires, elles pourraient ainsi en avoir perdu l’usage.

De plus, dans ces régions, chez les espèces où la femelle chante, cette dernière est généralement difficilement différenciable du mâle. La plupart de ces oiseaux étant migrateurs et se reproduisant au Nord, l’attention a également souvent été portée sur la saison de reproduction. Une fois l’idée installée, difficile de s’en défaire. Tout chant était alors attribué à un mâle dans le cadre de la reproduction, même lorsque les sexes sont difficilement discernables par la morphologie seule (par exemple, on retrouve ce biais chez le Bruant ligné, un oiseau d’Amérique centrale, chez qui la femelle chante plus fréquemment que le mâle). À titre d’exemple, en 2018, dans la bibliothèque de son du Cornell Lab of Ornithology, la plus grande base de données au monde sur le comportement animal, seuls 0.03% des chants étaient attribués à des femelles. Avec le développement des études dans les régions tropicales, il a été mis en évidence que les chants de femelles étaient loin d’être une exception. Ces résultats ont ensuite permis de reconsidérer ce qui semblait acquis dans les régions tempérées. Les recherches sur les chants des femelles sont d’ailleurs menées en majorité par des femmes, qui décalent les fenêtres d’étude et font émerger de nouvelles connaissances au sein de sciences construites par un regard principalement masculin. Un argument supplémentaire (était-il vraiment nécessaire ?) pour l’importance de la diversité dans le monde de la recherche.

Bibliographie

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