Exhibit en questions – Episode 1
Il me semble important avant d’exposer la position de la Cie Quelle heure est-il ? vis-à-vis d’Exhibit B de préciser quelques points de vocabulaire. Commun ne veut pas dire uniformité, pas plus que le dénominateur commun de diversité n’efface la pluralité et la singularité des sensibilités.
Cela étant posé, nous ne saurions placer le débat sous le signe d’une confrontation entre les points de vues divergents de deux communautés, la blanche et la noire, puisqu’elles n’existent pas a priori. Envisager Exhibit B à partir d’un seul pôle de référence racial fausserait d’entrée de jeu le débat et l’égarerait dans du bavardage sentimental.
Venons-en aux faits.
Exhibit B se propose en la reproduisant, de dénoncer l’humiliation et l’oppression subie par les Noirs grâce à une confrontation regardant/regardé. La grande idée semble-t-il de Bailey est de placer ceux qui à l’époque coloniale étaient simplement regardés en position de regardants.
On peut à bon droit s’interroger sur la pertinence d’une telle installation dans des lieux comme le Centquatre ou le TGP, situé au cœur d’un territoire cosmopolite où plus de la moitié de la population est d’origine immigrée.
Dénoncer le racisme en reproduisant les codes de représentations racistes contribue-t-il à changer la grille des représentations sociales constituées ? Et pour qui ?
S’il s’agit selon l’intention du metteur en scène sud-africain de permettre d’interroger cette grille par un effet de miroir qui permettrait une prise de conscience, cela supposerait alors comme Jean Genet l’avait prescrit à l’époque pour Les Nègres de s’adresser aux seuls blancs puisqu’il semblerait, selon Bailey, qu’ils soient les seuls responsables des situations d’oppression qu’il veut dénoncer.
Étrangement pourtant, ce n’est pas au cœur des 7e et 8e arrondissements de Paris mais bien à Saint-Denis et dans le 19e arrondissement que ce spectacle va être montré. Pourquoi et à quelles fins ?
Que penser de cette répétition ad nauseam, dans les rares occasions où les Noirs sont enfin visibles, des mêmes postures de victimes muettes, toujours objets et si rarement sujets. Toujours à la marge – de l’humanité, de l’histoire, de la société – anciens esclaves, anciens colonisés, éternels sans papiers, jamais porteurs d’une parole qui leur soit propre et des rêves qu’ils auraient à offrir au monde.
On nous parle préparation pédagogique auprès du public et notamment des jeunes. Préparation à quoi ? Á ne jamais se voir dans l’espace culturel français tels qu’ils sont, vivants, créatifs, présents ?
Ne serait-il pas tout autant inspirant et constructif pour tous de permettre l’expression d’autres visions dans l’espace culturel français ?
C’est pour répondre à cette nécessité que nous avons fondé la compagnie Quelle heure est-il ? Produire des œuvres scéniques et audiovisuelles qui soient en relation avec les multiplicités culturelles de la société française. Décloisonner les imaginaires. L’enjeu est de taille. Il en va de ce fameux vivre ensemble tant prôné, si peu visible.
Ne nous trompons pas de débat ni d’enjeu. Le problème ici n’est pas celui de l’installation de Bailey, aussi discutable soit-elle, mais celui d’un défaut de volonté des institutions françaises à accepter et promouvoir ceux qu’elles désignent pudiquement de « minorités visibles ».
J’irais même plus loin. Il faut reconnaître à l’œuvre de Bailey le mérite de permettre de poser au grand jour la question des représentations d’une grande partie de la population française dans l’espace public qui ne se voit jamais dans la complexité et la richesse de ses histoires. Des histoires de femmes et d’hommes, qui ne saurait se réduire à un catalogue pour tanneurs de peau.
Les théâtres sont le lieu de construction des représentations poétiques, sociales et des imaginaires. Que dire alors du fait que des lieux de haute visibilité, comme le TGP et le Centquatre, ouvrent leur scène à Exhibit B, au nom d’un engagement en faveur de la diversité, alors que les créateurs de cette diversité sont absentés de ces mêmes lieux ?
Que dire des lieux culturels de notre département, le 93, reclus dans un entre-soi monochrome, communautariste, laissant à la porte dix années de politique de diversité ?
Quelle importance accorder alors à l’annulation ou non d’Exhibit B ?
La question est-elle de ne plus avoir à subir de telles représentations ou de pouvoir être vu ? La mise sous silence d’un point de vue réducteur et dégradant pour certains, suffira-t-elle à garantir la mise en lumière d’autres points de vue ?
Alors ?
Alors, ce qui nous importe avant tout c’est que grâce, à partir, contre, ou par devers Exhibit B soit posée la question des enjeux démocratiques d’une véritable liberté artistique
Pour décoloniser les imaginaires des enclos communautaristes où ils croupissent, pour que l’égalité des femmes et des hommes soit celle du droit de toutes les citoyennes et citoyens de ce pays à disposer de leur corps, de leur esprit, et des variations de leurs identités.
Á suivre…
Myriam Tadessé, pour Qheil.