La projection s'est ancré récemment dans le débat public : Mélenchon pourrait désormais accéder au deuxième tour et remporter les élections présidentielles. Que ce soit à travers les sondages — bien que les études de Pierre Bourdieu sur leurs effets et influences pervers sont toujours d'actualité, il serait malgré tout aberrant de nier leur pouvoir, certes relative, à rendre une photographie des tendances électorales à l'instant t —, que ce soit à travers les sondages je disais, la dynamique autour de ses meetings ou encore l'interaction positive avec les internautes sur les réseaux sociaux ( rappelons-nous du coup de l'hologramme et plus récemment le succès de son jeu vidéo FiscalKombat ), les indices sont aussi empiriques qu'indéniables. En effet, sur la dernière ligne droite, Mélenchon est de loin le plus efficace parmi les prétendants à l'Elysée.
Pour y être arrivé, entre autres nouvelles stratégies, l'ex-socialiste s'adresse, depuis le lancement de son mouvement la France Insoumise, à un électorat plus large, englobant celui de la droite : « c'est ce qui me conduit parfois à ne pas être compris par mes amis » soulignait-il sur France 2 face à Laurent Delahousse. A 48h du jour J, tous les tabous sont évacués : Mélenchon chasse sur les terrains de la droite.
1- Figure de leader (gaulliste)
Historiquement, et ce depuis le vote du veto royal lors de la Grande Révolution française, l'homme de droite a toujours manifesté ce penchant à mettre son destin entre les mains d'un leader charismatique, quitte à sacrifier quelques libertés individuelles en contre partie de l'ordre social. Généralement, la famille politique de droite porte en ses gènes le culte du chef, un meneur au tempérament solennel et aux qualités intellectuelles remarquables.
Le candidat de la France insoumise incarne cette figure de leader qui a toujours captivé les facultés psychologiques de la droite. Philosophe à capacités intellectuelles peu communes — même ses pires ennemis lui reconnaissent cet aspect —, en outre de sa personnalité imposante, le candidat insoumis s'est rendu compte que gratter des voix à la droite est à portée de main, notamment en se détachant des codes iconographiques et langagiers de la gauche - sans jamais la renier sur le fond. Dans le même sens, Mélenchon version 2017 est plus souverainiste - sortie de l'OTAN, renégociation des traités européens, entres autres positions fortement inspirées de la politique du président De Gaulle -, mais également, et contrairement à Mélenchon version 2012 aux accents internationalistes, aussi prudent que nuancé sur les questions d'immigration - parmi les propositions avancées dans son programme L'Avenir en commun et qui étaient inimaginables il y a quelques années encore : « Construire un programme européen pour l’aide au retour des réfugiés qui le souhaitent lorsque la situation de leur pays de départ le permet ».
Dans ce décor général, les allusions directes ou indirectes au général de Gaulle sont devenues de moins en moins indiscrètes à mesure que le jour du vote s'approche : « Je discuterai avec le diable s'il le faut pour mon pays. Ça a toujours été la politique gaulliste et mitterrandienne » déclare-t-il au Parisien, dimanche 16 avril.
2- Mélenchon le patriote
« Je demande donc à ceux qui me soutiennent — le Parti communiste, le Parti de gauche, Ensemble — de ne pas s'approprier la marche [organisée le 18 mars pour la 6ème République] et par conséquent de ne pas la submerger de drapeaux partidaires » insistait-il le dimanche 5 mars sur France 3. L'intention du Jurassien n'était pas de niveler l'horizon visuel de la foule venant appuyer sa 6ème République. Le dessein était plutôt de donner de la visibilité aux drapeaux bleu-blanc-rouge.
De plus, à la fin de ses discours, La Marseillaise cohabite depuis quelques temps avec l'Internationale — et ne l'a pas supplantée, contrairement à ce qui a été relayé par plusieurs journalistes et «analystes».
3- La raison comme médiateur avec les jeunes de droite
Ce n'est pas un secret que Mélenchon puise ses références idéologiques et pédagogiques chez les philosophes des Lumières, dont la raison est le socle de la pensée. « J’appartiens au courant des Lumières, et c’est ma référence ultime » rappelait-il sur les ondes de France Info. Le candidat insoumis use de cette arme efficace, la raison, pour s'adresser à des jeunes encore fraîchement de droite, encore en âge de remettre en question les dogmes libéraux.
Dès mars 2016, Mélenchon a donné une conférence à Audencia Business School face à des étudiants dont la majorité est, cela va sans dire, de sensibilité de droite. L'accueil fut visiblement glacial — à son apparition, aucun étudiant n'a bougé de son siège si ce n'est quelques applaudissements mous éparpillés dans l'auditoire. Par contre, la fin de son discours le fut beaucoup moins. A la sortie de la conférence, nombre d'étudiant ont avoué que l'homme aux 4 millions d'électeurs en 2012 leur a paru convaincant - quoique pas au point de leur faire changer d'avis ce qui peut s'expliquer par des raisons d'amour-propre qu'on peut bien imaginer.
En mars 2017, après que la campagne a pris son rythme et que le tribun lui a bien donné les couleurs qu'il souhaitait, le prétendant s'est présenté devant une assemblée d'étudiants de l'ESSEC ( une grande école de commerce ) . Le contraste fut frappant avec sa précédente visite à l'Audencia. L'invité fut lui-même surpris par la ferveur de l'accueil : « L'ESSEC, normalement, vous êtes tous des suppôts du capitalisme ! », plaisantait-il d'un ton décontracté face à des étudiants conquis à l'avance cette fois-ci.
« En France la nation souveraine naît en 1789 [...] elle est de gauche » Frédéric Lordon.
De nos jours, il est acquis que ces signifiants — particulièrement la nation, la patrie et la souveraineté — au travers desquels aujourd'hui un candidat de gauche réussit à toucher des électeurs de droite font partie du bagage idéologique de la droite. Et pourtant, il suffit de revisiter l'histoire du 18ème sicèle - pendant lequel l'idéal de la gauche dans sa conception moderne a pris son chemin - pour s'apercevoir que ce capital linguistique, dans sa conception politique, n'est pas prédestiné pour la droite. Dès l'avant-Grande Révolution, Jean-Jacques Rousseau, inspirateur de la pensée moderne de gauche et dont plusieurs membres de l'assemblée constituante se sont réclamés, a expressément parsemé ses deux Discours de références à la patrie, au « doux nom de patrie » pour reprendre son expression.
En 2015 , Frédéric Lordon a réalisé une mise au point historico-idéologique sur cette querelle des signifiants dans son billet de blog « Clarté » : « en France la nation souveraine naît en 1789, elle se constitue comme universalité citoyenne, elle exprime le désir de l’autonomie politique, désir d’un peuple en corps de se rendre maître de son destin, bref elle est de gauche ».
Ainsi, la droite, ses extrêmes dirais-je, a toujours eu cette habileté, à la Arsène Lupin, à dérober les idées de la gauche. Et si le candidat insoumis n'avait fait que mener une grande reconquista idéologique pour son propre courant politique ? Je me pose la question.
Du reste, et quoi qu'il en soit du résultat du scrutin dimanche prochain, Jean-Luc Mélenchon aura eu au moins le mérite de lever le tabou sur des signifiants que la « gauche de pouvoir » avait, depuis des décennies, faustiennement cachés sous le tapis.