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Billet de blog 17 février 2024

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Le burn-out dans les hôpitaux

Les professionnels du secteur de la santé comptent, parmi les catégories de professions qui présentent le plus haut risque de burn-out. Les plus touchés seraient ceux dont la pratique les met en contact permanent avec des malades particulièrement lourds ou dont le pronostic vital est sans cesse en jeu.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'expression Burn-out nous vient du domaine aérospatial, et signifie « le moteur est brûlé». Le « Burn-out Syndrome », ou le « Kaloshi » (mort par la fatigue au travail) au Japon, est un état d’épuisement professionnel à la fois physique et mental, qui serait lié à un stress professionnel intense et durable. Les premiers travaux concernant ce syndrome accordaient d’ailleurs une place centrale au stress.

Ce syndrome a été décrit pour la première fois dans les années 70, par un psychanalyste américain, Herbert J. Freudenberger pour désigner l’épuisement professionnel chez des soignants particulièrement impliqués dans des prises en charges difficiles de patients toxicomanes. Depuis, les différentes descriptions qui lui sont consacrés considèrent qu’il est de plus en plus fréquent dans nos sociétés modernes.

Le burn-out n’est pas spécifique. Il relève d’un mécanisme multifactoriel, et son expression clinique est polymorphe, ce qui le rend difficile à repérer et à diagnostiquer. Les symptômes sont variés et peu caractéristiques. Ils sont du registre à la fois somatique et psychique. Fatigue, céphalées, irritabilité, troubles fréquents du sommeil et manifestations somatiques répétées, en sont les expressions les plus rencontrées. Il s’y ajoute lassitude, découragement, une sensibilité accrue aux frustrations, des manifestations émotionnelles et des difficultés relationnelles avec les collègues de travail. La tendance dépressive, le pessimisme, la dévalorisation en complètent le tableau. Beaucoup de descriptions insistent sur la démotivation, l’insatisfaction, la tendance à l’isolement au sein du milieu de travail et une baisse de l’efficience professionnelle pouvant conduire jusqu’à la perte des compétences et l’absentéisme. Ces derniers aspects correspondent aux conséquences professionnelles les plus redoutées au sein des cadres d’entreprises. L’usage d'alcool ou de psychotropes est loin d’être rare.

L’intérêt pour un tel syndrome s’est rapidement manifesté dans le monde du travail et il a très vite acquis droit de cité en médecine du travail et au sein des entreprises. Pour beaucoup, il constitue une authentique maladie professionnelle. Il n’est cependant pas à confondre avec certaines pathologies psychiatriques telles que les troubles anxieux ou les états dépressifs auxquels il peut emprunter la symptomatologie.

Les limites cliniques et psychopathologiques restent encore floues et l’élargissement clinique du champ couvert par ce syndrome risque d’en augmenter l’imprécision. Un instrument d'évaluation, le M.B.I. (Maslach Burnout Inventory) a même été mis au point par Maslach et Jackson, qui ont défini ce syndrome selon trois critères : l'épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l'autre, et la perte du sens de l'accomplissement de soi au travail.

Plusieurs études épidémiologiques ont démontré que les professions nécessitant un engagement psychologique et affectif important ainsi qu’une implication permanente dans des échanges professionnels interpersonnels, une relation d'aide, sont davantage à risque. Ainsi, les professionnels du secteur de la santé comptent, parmi les catégories de professions qui présentent le plus haut risque de burn-out. Les plus touchés seraient notamment ceux dont la pratique les met en contact permanent avec des malades particulièrement lourds ou dont le pronostic vital est sans cesse en jeu. Les expressions émotionnelles dramatiques, l’impuissance ou l’échec thérapeutique et l’imprévisibilité des évolutions, sont autant de facteurs favorisants. L’épuisement peut également provenir « d’un stress permanent et prolongé lié aux impératifs d’ajustements à des contraintes lourdes, aux difficultés organisationnelles et/ou à l’adaptation à de nouvelles procédures thérapeutiques. »

Le syndrome d'épuisement professionnel des équipes soignantes peut atteindre des dimensions inquiétantes dans certains services ou secteurs d’activité. Il peut se développer rapidement, s’étendre et devenir l’expression douloureuse et généralisée d’un mal être profond. On parle alors de véritable épidémie. Ces dernières années et encore plus actuellement, un certain nombre de commentaires, d’articles de presse, d’émission télévisées ou radiophoniques font état d’une crise profonde et du mal être des soignants. On rapporte qu’ils sont épuisés, stressés, inquiets et n’ayant plus le moral. Les rares études consacrées à leur malaise et à leur souffrance semblent confirmer cette situation.

Au-delà des causes communément admises pour expliquer l’origine de l’épuisement professionnel, le burn-out des soignants s’inscrit dans une authentique problématique existentielle et éthique. Les hôpitaux sont devenus les lieux du confinement de la douleur et de la mort. Ils sont de plus en plus le refuge de la détresse sociale et psychologique. La souffrance et le désespoir s’y côtoient au quotidien. Pourtant, on reproche à la médecine sa déshumanisation et sa "technicisation" au moment même où les hôpitaux restent les seuls lieux accessibles à tous, sans discrimination. Certes, la médecine continue de connaître des mutations profondes et complexes. Les limites des connaissances reculent. Mais les progrès thérapeutiques considérables rendent encore plus tabou le sujet de la mort et tendent à la médicalisation de la souffrance. L’idée que toute souffrance doit et peut être soulagée, enferme les équipes soignantes dans la double exigence de traiter celle-ci et d’être en permanence en situation d’en rendre compte. L'obligation de moyens et même de résultats ainsi que la judiciarisation de l’exercice médicale transforment progressivement et fondamentalement la relation médecin-malade. Elle fait du patient un usager, et non plus l’interlocuteur qu’il était d’une relation singulière. « Une confiance devant une conscience », disait-on. L’épuisement des soignants est devenu ainsi l’expression d’un véritable désarroi et d’une crise identitaire. Il n’est plus seulement la conséquence d’un stress répété ou de difficultés organisationnelles. Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur le sens véritable de leur profession et sur la nature des missions à confier aux hôpitaux.

La médecine du XXIème siècle doit pouvoir relever un double défi. Celui de ne pas céder à la tentation de la technicité à outrance et de tenir suffisamment compte des progrès scientifiques pour en faire bénéficier l'ensemble. La relation humaine doit rester l’essentiel de toute démarche thérapeutique dans un contexte actuel où les exigences vont dans le sens de la quantification de l'efficacité et de la réduction des dépenses. Les nouvelles situations économiques et les mutations sociales engendrent bien des doutes et de l'incertitude, au moment même où l’hôpital constitue plus que jamais le seul recours. Comment allier exigences économiques et démarche humaniste, forcément en opposition à un moment ou un autre ? Les soignants demeurent au cœur de ce débat essentiel qui déterminera sans aucun doute le sens à donner à notre système de soins. On peut se demander alors s’il n’est pas paradoxal de constater que le syndrome d'épuisement professionnel nous ramène à un problème d’identité.

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