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Billet de blog 23 février 2025

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" Il faut un rapport de force avec l'Algérie"

Les Algériens et l’Algérie sont devenus le fonds de commerce des campagnes électorales de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Marine Le Pen, Éric Zemmour…

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"Si j’étais aux manettes, je brûlerais l’ambassade »
"Il faut fermer les Consulats d'Algérie"
"Il faut interdire Air Algérie en France"
"Il faut arrêter d'octroyer des visas aux Algériens"
"Le pouvoir algérien ne respecte pas le Droit international"
"L'Algérie s'est déshonorée"
" Il faut un rapport de force avec l'Algérie"
Les Algériens et l’Algérie sont devenus le fonds de commerce des campagnes électorales de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Marine Le Pen, Éric Zemmour… En France, cinq millions d’Algériens vivent une réalité marquée par l’humiliation, la discrimination et la stigmatisation.
Autrefois unie dans la lutte pour l’indépendance, la communauté algérienne de France s’est progressivement fragmentée sous l’effet des manipulations politiques. Cette division a affaibli sa capacité à peser sur le débat public et à défendre ses intérêts face aux discours hostiles qui se multiplient.
L’émergence de leaders issus de cette communauté est systématiquement entravée. La France, encore empreinte de rancune, favorise ceux qui véhiculent son discours algérophobe et islamophobe, qu’ils s’inscrivent dans une idéologie de droite ou d’extrême droite. Ainsi, des figures comme Daoud, Sansal ou Sifaoui sont mises en avant, tandis que d’autres voix sont réduites au silence ou rendues invisibles.
L’avenir de la communauté algérienne en France sera étroitement lié à celui de l’Algérie. Une nation forte, prospère et souveraine impose naturellement le respect de ses ressortissants à l’étranger. La solution viendra donc avec le temps, à mesure qu’une nouvelle élite émergera en Algérie et en France, que le développement économique algérien se concrétisera et qu’un ordre politique nouveau prendra le relais.
Mais pour avancer, l’Algérie devra aussi prendre ses distances avec la France. Une histoire douloureuse et un néocolonialisme insidieux perpétuent une relation tendue et contre-productive. Rompre progressivement avec cet héritage impose, en premier lieu, une réflexion sur la place du français en Algérie et son éventuelle marginalisation.
Kateb Yacine affirmait que le français était un « butin de guerre », une langue prise au colonisateur pour en faire un instrument de liberté. Mais il soulignait aussi combien cette langue avait aliéné son identité profonde. Ce dernier aspect est essentiel. L’héritage colonial ne réside pas uniquement dans le regard des anciens colonisateurs, mais aussi dans les esprits colonisés. Frantz Fanon l’avait magistralement analysé : une langue peut être un outil d’émancipation ou un instrument d’aliénation. Chez les Algériens, le français maintient un enfermement culturel et identitaire, restreignant les horizons et limitant les perspectives internationales.
En réalité, cette langue n’a jamais été un « butin de guerre », mais plutôt un vecteur subtil de vassalisation, un levier de dépendance dans plusieurs sphères : culturelle, économique, politique et humaine.
Pourquoi 16 000 médecins algériens exercent-ils en France au prix d’un parcours semé d’embûches et d’humiliations ? Pourquoi des écrivains algériens talentueux, une fois en France, sont-ils marginalisés dès lors qu’ils refusent d’adopter le discours attendu ? Pourquoi les étudiants algériens, qui font vivre certaines écoles doctorales et postdoctorales en sciences fondamentales, ne trouvent-ils que de rares perspectives de promotion ? Pourquoi tant d’ingénieurs, juristes, chercheurs, architectes, artistes, musiciens ou comédiens algériens peinent-ils à s’imposer en France malgré leurs compétences incontestables ?
Ne serait-ce pas justement cette exclusivité linguistique qui les confine à un espace restreint, où ils sont confrontés à un plafond de verre infranchissable ? Le monolinguisme est un piège. Notre génération croyait que la maîtrise du français ouvrait les portes du monde. Quelle erreur ! Que serait-il advenu de cette élite algérienne si elle avait maîtrisé l’anglais, l’espagnol ou d’autres langues internationales ?
L’éloignement linguistique et culturel de la France sera un processus long, mais il devient une nécessité existentielle. Il s’agit d’un chemin salutaire qui permettra à l’Algérie de diversifier ses partenariats, de s’ouvrir au reste du monde et de sortir de cette relation névrotique et pathologique avec la France. Il est temps de mettre un terme au « je t’aime, moi non plus » et d’établir des relations fondées uniquement sur des intérêts mutuels, sans affect ni héritage pesant.
Cela suppose une véritable politique linguistique, identitaire et culturelle, pensée et planifiée avec rigueur, loin des improvisations du passé dont l’Algérie paie encore aujourd’hui les conséquences.

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