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Billet de blog 25 septembre 2024

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Et si on donnait le droit de vote à 10 ans ?

Pour rétablir l’ordre dans les établissements et redresser le niveau scolaire, les ministres font de grands discours incantatoires, quelques mesurettes comme le retour de l’uniforme à l’école, et augmentent le nombre d’heures de cours. Et si on demandait aux élèves ce qu’ils en pensent ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En France, la question du vêtement est primordiale à l’école. Et pour preuve : c’est un débat qui revient au moins deux fois par an. En automne et en hiver, on a droit aux débats sur les élèves voilées ou qui tentent de contourner la loi 2004 avec d’autres couvre-chefs ou symboles, puis au printemps vient le débat sur les crop-tops et autres vêtements qui feraient passer le lycée pour une boite de nuit.

Face à cela, la réaction du ministère a souvent été mollement autoritaire : le ministre autorise les proviseurs à jouer les vigiles à l’entrée des établissements, refusant les crop-tops et les abayas, sans qu’aucune loi ne précise un dress-code. Les proviseurs doivent jauger par eux-mêmes, sans texte précis. Cela a causé de nombreux remous chez les lycéens, qui ont eu le sentiment de subir l’arbitraire des proviseurs faisant la police du vêtement. En conséquence, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation, a ressorti un énième marronnier franco-français : le débat sur l’uniforme. Un débat qui habituellement ne mène jamais à rien de concret, mais cette fois-ci, c’est la bonne ! Quelques rares établissements volontaires servent de cabine d’essayage géante, puisqu’ils testent cette mesure pour, un jour peut-être, l’appliquer dans tous les établissements.

Si les élèves votaient

Alors j’ai eu une idée : et si, tous les sept ans, les élèves de la sixième jusqu’à la terminale pouvaient voter par référendum ? Il y aurait deux référendums nationaux d’un coup : interdire ou non les signes religieux à l’école pour les élèves, et imposer ou non le port de l’uniforme. Ce référendum serait précédé de débats dans les cours d’éducation civique. Plutôt que de passer des heures à parler aux élèves de démocratie et de citoyenneté, pourquoi ne pas leur faire pratiquer cela directement ?

Cela serait une politique de « l’enfant-Roi », me dira-t-on. Au contraire ! Une politique de l’enfant-Roi, c’est une politique où l’on cèderait à tous les caprices individualistes de l’enfant, à tous ses désirs immédiats, sans ne jamais lui demander d’effort ou d’adaptation à un cadre. Au contraire, ce modèle démocratique impose un cadre à l’enfant, mais une partie des règles de ce cadre serait décidée par la masse d'élèves. Il n’y a pas de règle plus légitime que celle que l’on se fixe par soi-même.

Cela habituerait les élèves à participer à la vie démocratique : réfléchir, se faire son opinion, écouter et respecter un avis divergent, décider, et se soumettre au résultat du scrutin. Cela permettrait, surtout, d’éviter au ministère ou aux proviseurs de devoir appliquer des règles floues avec une posture autoritaire, ce qui peut causer une révolte lycéenne comme au lycée Colbert lors des polémiques sur l’abaya. Les professeurs seraient les garants de règles pour lesquelles les élèves auront eu leur mot à dire. Contester le professeur, ce serait contester le choix de tous les élèves de France, ce serait contester la démocratie.

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Capture d’écran d'un reportage du 3 octobre 2023. © Luc Auffret

Des journées surchargées

Il y a d’autres problèmes plus importants à prendre en compte, sur lesquels nous devrions écouter les élèves, et, pourquoi pas, les faire voter sur le modèle précédent.

Récemment, des collégiens et des lycéens ont lancé un mouvement sur les réseaux sociaux, réclamant d’avoir des journées moins longues. Ce mouvement n’a pas manqué d’être moqué sur les réseaux sociaux, par des adultes ayant oublié leur jeunesse.

© Pixrrick

Pour les collégiens, il y a 25 heures de cours hebdomadaires. S’ajoutent à cela des devoirs à faire à la maison, ou dans le dispositif « devoirs faits », obligatoire pour les élèves de 6e et optionnel pour les autres. Ainsi, les collégiens peuvent avoir des journées allant de 8h30 à 18h. Pour les lycéens, il y a jusqu’à 28 heures de cours. Les malchanceux dont l’emploi du temps est mal fait ont des heures de trou, qui deviennent légion depuis la réforme du bac rendant optionnels de nombreux cours, la création des emplois du temps devenant ainsi terriblement complexe. Il est possible pour un lycéen d’avoir des journées commençant tôt et finissant tard, ou d’avoir des cours six jours sur sept certaines semaines.

Notre ancien ministre de l’Éducation Gabriel Attal a eu la folie de tenir des discours délirants à ce sujet, parlant de mettre les enfants de zones prioritaires pendant 50 heures par semaine. Pire : cette mesure n’est même pas vendue comme éducative, mais comme sécuritaire, puisqu’il s’agit selon Attal de répondre aux problèmes de violence dans les établissements. Punition collective pour tout le monde, 50 heures obligatoires. Pour un public qui a souvent des difficultés vis-à-vis du cadre scolaire, c’est le meilleur moyen de démultiplier les décrochages scolaires, ou d’avoir une mutinerie dans tous les collèges de France. Aux dernières nouvelles, cette mesure catastrophique est censée être testée dans certains établissements à la rentrée 2024, et il est prévu de l’étendre à tous les établissements REP et REP+ à la rentrée 2025. 

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Imaginez comme ce lycéen sera apaisé lorsqu’il devra passer 50 heures par semaine à écouter ses professeurs.

Le présentisme français contre les modèles européens

Comparons avec d’autres pays mieux situés que nous dans le classement PISA, et peu éloignés culturellement. Au Royaume-Uni, il y a 22 heures de cours par semaine, au collège comme au lycée, ce qui donne des journées allant généralement de 9h à 15h, mercredi compris, mais jamais le samedi. Les élèves britanniques ont cependant quatre semaines de vacances de moins que les Français. Cette semaine de 22 heures est un choix qui a été fait en 2005, car les Britanniques ont bien compris que surcharger les élèves d’informations pendant de longues journées à rester assis sur une chaise n’avait pas grand-chose de pédagogique. 

Autre exemple : la Finlande est devenue un des leaders mondiaux de l’éducation en abaissant le temps de cours des élèves, en ne donnant presque plus de devoirs, et en diminuant drastiquement le nombre d’examens sous système de notes. Il y a bien d’autres exemples en Europe, mais il serait long de tous les citer. À l’inverse, les pays européens aux résultats moins bons que les nôtres comme l’Espagne ont aussi une politique surchargeant les journées.

Nous avons un fantasme selon lequel plus les élèves font d’heures de cours, mieux ils seront instruits. Mais d’où cela vient-il ?

Nos ministres de l’Éducation sont des politiciens professionnels qui n’ont jamais eu à enseigner devant une classe. Un élève, ils ne savent pas ce que c’est. Leur seul rapport à l’école est leurs souvenirs d’adolescents, dans des bahuts bourgeois, où des élèves sans aucune difficulté sociale passent leurs journées à défoncer au travail pour viser les meilleures prépas ou les grandes écoles, et ont des parents qui les aident à faire leurs devoirs. Autant dire que ce n’est pas la réalité de la majorité des élèves français. 

Nos ministres viennent souvent d’emplois de bureaux, un domaine dans lequel il y a, en France, une culture très ancrée du présentisme. Le présentisme, c’est ce phénomène qui consiste à valoriser les employés qui viennent tôt et qui partent tard (quitte à glander pour passer le temps ou à travailler lentement), à ne pas compter ses heures (ce qui est favorisé par un cadre où les horaires sont flexibles et flous) et à culpabiliser lorsque l’on part parmi les premiers. Nos ministres ont cette déformation professionnelle, qu’ils appliquent aux professeurs et aux élèves : plus vous restez au bahut, mieux vous êtes considérés comme productifs ! On sait qu’en réalité le présentisme ne pousse pas du tout à la productivité, mais en plus, ici, on parle d’instruction et non de productivité. Ce modèle, déjà idiot dans les bureaux, devient complètement absurde lorsqu’il est appliqué à l’école.

Écouter les élèves

Le message de ce billet au titre un brin provocateur est de dire : écoutons les élèves. Les ministres ont des postures d’adultes surplombants qui vont corriger la jeunesse en lui imposant des mesures draconiennes. Les professeurs sont incités à faire de même, et on prétend que cela leur permettra de retrouver une autorité d’antan, car avant tout était mieux, parait-il. Avant, quand ? Quand les professeurs frappaient les enfants ? Quand seuls les élèves des milieux aisés continuaient l’école après 12 ans ? Quand les cours d’histoire et de géographie consistaient à réciter par cœur des dates et des numéros de départements ? 

Peut-être que ces ministres, qui n’ont jamais instruit un seul enfant dans leur vie, sont bien moins placés pour parler d’éducation que les élèves eux-mêmes.

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