Les concours d’entrée des écoles de journalisme sont particulièrement difficiles et exigeants. Cela est dû à un fort écart entre le nombre de candidats et le nombre de places. Par exemple, au CELSA, 3 200 candidats participent au concours d’entrée de l’école en formation initiale, mais il y a seulement 500 places à la clef. C’est une des écoles avec le plus de places. Pour sortir du lot, cela demande une préparation sérieuse. Je ne vais pas expliquer ici la teneur des concours de journalisme (si vous êtes là, c’est que vous avez dû faire vos recherches) mais plutôt vous dire sur quoi vous devez travailler tout au long de l’année pour les préparer.
Avoir les bases d'une culture journalistique
Hors de question de débarquer aux concours sans avoir une certaine culture. Il faut des connaissances solides sur le thème que vous rêvez de traiter durant votre carrière. Par « thème », j’entends les grandes thématiques comme la politique, la culture, le sport, les affaires de police-justice (plus couramment appelées « faits divers »), etc. Surtout, être crédible nécéssite une culture solide sur le journalisme.
Pour commencer, voici quelques livres et textes à lire impérativement :
- Les 100 mots du journalisme de François Dufour. Ce livre est un ensemble de petits articles sur des termes de jargon journalistique, des concepts, ou encore des personnages et évènements historiques liés au journalisme. Il permet d’apprendre les bases, que je ne répèterai pas dans ce billet.
- Principes du journalisme de Bill Kovach et Tom Rosentiel. Ce livre américain traite de déontologie et de méthodologie dans le journalisme, en l’illustrant par de nombreux cas pratiques de l’histoire du journalisme aux États-Unis.
- La charte du SNJ, la charte de Munich et la charte de Tunis. Ces trois textes (qui ont de nombreux points communs) sont des chartes de déontologie professionnelle rapides à lire. Ce sont des textes non contraignants mais importants à maitriser pour être crédible. Celle du SNJ est française et est la plus vieille (mais a eu des mises à jour), celle de Munich est européenne, et celle de Tunis, la plus récente, est mondiale.
- Regardez les trois prix Albert Londres (audiovisuel, presse écrite et livre) de la dernière édition précédant votre concours, et regardez ce qu’il se fait parmi les gagnants des derniers prix Pulitzer.
- Bien évidemment, lisez des livres portant directement sur le thème que vous souhaitez traiter dans le journalisme. Les écoles de journalisme ont pour la plupart des bibliographies de livres conseillés pour l’année à venir, piochez là-dedans. Un que j'apprécie, pour les futurs journalistes politiques : Les Gilets jaunes : un défi journalistique, un ouvrage collectif dirigé par Jean-Marie Charon et Arnaud Mercier.
Cas historiques
Il y a des cas ayant marqué l’histoire du journalisme, qui ont mené à des débats au sein de la profession. Quelques exemples, pour lesquels il faut vous intéresser à la place de la presse :
- L’affaire Dreyfus. Elle illustre bien ce qu’était le journalisme à l’époque où il n’y avait aucune réflexion déontologique, où les journalistes n’étaient pas des professionnels mais simplement des écrivains et des militants, et où il y avait énormément de corruption (notamment dans les critiques littéraires, à ce sujet, lire Illusions perdues de Balzac). « Encore un siècle de journalisme et tous les mots pueront » disait Friedrich Nietzsche en 1882, très mécontent du monde médiatique de son époque.
- L’affaire du Watergate. Elle n’a pas tellement donné lieu à des débats déontologiques entre journalistes mais c’est un cas d’école du journalisme d’investigation, il faut connaitre.
- L’affaire Grégory. En plus du fiasco judiciaire s’ajoute un fiasco médiatique qui a encore plus brouillé les pistes.
- L’affaire d’Outreau. On voit que les leçons de l’affaire Grégory n’ont pas encore été apprises à cette époque-là.
- L’affaire Dominique Baudis. Une grande affaire de rumeurs, reprises sans recul par la presse par appât du buzz.
- L’affaire Jean Clémentin. Une affaire de corruption et d’espionnage au sein de la rédaction du Canard Enchainé.
- L’affaire Julian Assange. Là encore, assez peu de débats au sein de la profession mais il faut connaitre ce monsieur, WikiLeaks, et l’affaire Collateral Murder.
Connaitre le paysage médiatique français
Les connaissances sur les concepts journalistiques ou sur l’histoire ne suffiront pas. On attend de vous que vous connaissiez parfaitement le paysage médiatique actuel.
Trouvez-vous des journalistes préférés et suivez leur travail de près, lisez leurs livres s’ils en ont. Il est courant que les jurys vous demandent qui sont vos journalistes préférés, vos exemples qui vous inspirent. Soyez ouverts et ne vous intéressez pas qu’aux célébrités. Écoutez des interviews ou des podcasts de journalistes qui parlent des coulisses de leur travail et les conditions de production de l’information. Quelques exemples que je trouve intéressants :
- Florence Aubenas, reporter en France et à l’international pour différents quotidiens.
- Marine Vlahovic, correspondante en Palestine.
- Hubert Beuve-Méry, fondateur et ancien directeur du quotidien Le Monde.
- Jean-Baptiste Rivoire, journaliste d’investigation et fondateur du média Off-investigation.
- Jean-Pierre Pernaut, présentateur du Journal de 13 heures de TF1, JT le plus regardé d’Europe.
- Yan Morvan, photographe de presse.
- Fabrice Fries, PDG de l’Agence France-Presse.
- Rémi Buisine, journaliste reporter d’images en direct.
- Eugénie Bastié, éditorialiste pour Le Figaro et Cnews.
- Natacha Polony, directrice de l’hebdomadaire Marianne.
Dans mes exemples, je vous montre des profils avec différentes professions, conceptions du métier, et idées politiques. Allez voir le travail qu’ont pu faire ces journalistes, que cela vous donne une idée de ce qu’ils produisent. Puisque je m'intéresse principalement au journalisme politique, ces exemples sont très portés là-dessus. Cherchez des interviews de journalistes sportifs, culturels, etc si vous intéressés par d'autres thèmes.
Ayez un regard global sur les médias : réveillez-vous avec la radio, lisez régulièrement le journal quotidien local de votre coin et lisez les principaux quotidiens nationaux, en changeant de journal de temps en temps. Essayez aussi les magazines hebdomadaires. Pour la télé, essayez les différentes chaines d’info en continu et regardez les journaux TV le soir. Il faut bien évidemment connaitre les émissions et médias spécialisés sur le thème que vous souhaitez traiter. Vous ne pouvez pas être journaliste sportif si vous ne connaissez pas L'Equipe, SoFoot, Equidia, Eurosport, etc.
Vous devez savoir qu’en tant que journaliste, vous travaillerez pour une entreprise de presse. Il faut savoir par quels groupes sont détenus les différents médias qui seront mentionnés par vous ou le jury durant votre oral.
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Il faut connaitre les événements importants qui se sont passés les mois précédant les concours, dans tous les domaines et surtout le vôtre. Lors de l’oral, vous devez être au courant de l’actu du matin et ce qui fait les gros titres en France et dans votre région. On pourra vous poser des questions sur les actus tombées il n'y a même pas une demi-heure, ou parues dans les journaux du matin.
Les grands débats journalistiques actuels
En plus de cela, durant un oral, on vous demandera forcément votre avis sur les évolutions du métier et les débats au sein de la profession. Même si votre avis est différent des gens du jury, l’important est que vous montriez des connaissances et une capacité à argumenter. Voici des exemples de problématiques sur lesquelles vous pouvez être interrogés, et sur lesquels il faut s’informer et se forger une opinion :
- La neutralité, l'objectivité et l'impartialité (trois concepts bien différents et non des synonymes) dans le journalisme. Intéressez-vous aux débats sur ces sujets, et allez voir ce que font les journalistes militants qui mélangent les genres entre journalisme et militantisme pour un parti, par exemple Taha Bouhafs (j’ai été interrogé sur ce que je pensais de ce journaliste lors d’un oral), François Ruffin, Le Média, ou encore Frontières (ex Livre Noir), etc. Il y en aurait trop pour les citer, à l’époque d’Internet et ses nouveaux médias. Si vous êtes branché sur le journalisme politique, il y a de grandes chances que cette problématique soit évoquée lors d’un oral.
- L’indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs financiers et/ou politiques. Vous devez par exemple savoir ce qu’est une Société des journalistes (SDJ), connaitre les principaux syndicats français et les dernières grèves dans le milieu (exemples : grève chez Sud Ouest, grève chez La Provence, grève chez Le JDD), savoir qui sont Vincent Bolloré et Rodolphe Saadé, connaitre les débats sur la redevance TV, etc.
- La multiplication des fake news par Internet, l'émergence du fact-checking, l'ère post-vérité.
- L’usage des intelligences artificielles dans le journalisme.
- Les débats sur les publireportages, le brand content et l’infotainement. Grande question en ce qui concerne le journalisme culturel et le journalisme sportif.
Langues et compétences
Les connaissances théoriques sont très importantes, mais pas suffisantes. Vous devez aussi mettre en avant vos compétences dans votre CV et à l'oral.
Votre orthographe doit être irréprochable. Zéro faute. Si vous avez des lacunes, vous pouvez vous entrainer avec le projet Voltaire en ligne, qui est payant. Quand vous maitriserez un français parfait, vous pourrez passer le certificat Voltaire, qui sera valorisé sur un CV.
Révisez vos langues étrangères, notamment l’anglais, et si possible avec un certificat prouvant votre niveau de langue. Les écoles ont différents niveaux d’exigence sur l’anglais. Pour certaines, vous devez parler anglais et on vous parlera un peu anglais à l’oral. Quand le jury du CELSA s’est mis à me parler en anglais, qui était une langue totalement étrangère pour moi à l’époque, ce fut un des moments les plus gênants de ma vie. Vous n’imaginez pas les longs silences. J’ai vécu certaines secondes comme étant des minutes. Heureusement, pour d’autres écoles, il n’y a aucune exigence mais ce sera toujours un plus sur un CV.
Le journalisme étant aujourd’hui polyvalent, le journaliste est amené à toucher à tout. Vous devez être au courant de cette réalité du métier : par exemple, aujourd’hui, un reporter d’une chaine télé est souvent amené à aller sur le terrain seul avec un smartphone et du matériel audiovisuel, tout tourner lui-même, faire le montage et la narration lui-même. Avoir trois, quatre ou cinq personnes différentes qui bossent sur un même petit reportage audiovisuel, c’est fini : le reporter, le cadreur, le monteur et le narrateur sont souvent la même personne. Sur un CV, faites valoir vos compétences techniques : montage vidéo, photographie, utilisation de caméras, community management, SEO, utilisation d’intelligences artificielles, OSINT, etc.
Passez le permis de conduire, surtout si vous êtes hors de Paris. En oral pour l’ESJ de Lille, qui envoie beaucoup de journalistes en alternance en presse locale, on m’a demandé comment je ferais, sans voiture, si je suis envoyé dans la campagne pour certains sujets. J’avais l’air bien con. Il faut encore que je passe mon permis, sinon je serai bloqué dans le journalisme parisien… et obligé de vivre ici toute ma vie !
Faites des trucs !
Encore une fois, vous allez être en concurrence avec beaucoup de gens, pour peu de places. Partez du principe que les candidats reçus sont presque exclusivement des gens qui ont déjà un peu d’expérience dans le journalisme, ou en tout cas des choses à montrer qu’ils ont faites en amateur. Les écoles vous demanderont des liens vers des choses que vous avez pu faire, et dans beaucoup d’écoles, cela compte dans la note finale. Interdit de venir les mains vides.
Créez un blog, ouvrez une chaine Youtube, ou rejoignez un média étudiant et faites des contenus journalistiques : podcasts, interviews, reportages, flash info, photos de presse, etc. Et faites des choses en rapport avec ce que vous voulez faire. Journalisme politique ? Allez en manifestation, interviewez vos élus locaux, faites des reportages sur des assos. Journalisme culturel ? Écrivez des critiques ciné, des comptes-rendus de pièces de théâtre, des interviews d’artistes. Journalisme police-justice ? Allez voir des procès ! Conseil de lecture pour savoir comment s’y prendre dans l’écriture des différents formats : Manuel de journalisme d’Yves Agnès. Il y a tout dedans.
Une fois que vous avez un petit portfolio de reportages, d’interviews, de critiques artistiques, de photos, etc, essayez de faire un ou deux stages (ou plus, si possible) dans un média local de chez vous, ou de proposer des piges. Cela vous apprendra énormément sur le jargon, le métier, et vous réseauterez avec des journalistes. Et ce sera un très gros argument auprès des écoles : « Regardez, je SAIS ce qu’est le journalisme car j’ai travaillé dedans et de mon expérience je tire blablabla... » La différence est nette avec un candidat totalement vierge.
E-reputation et réseaux sociaux
On dit qu’Internet n’oublie jamais : rien n’est plus faux. Les jurys n’hésitent pas aller voir un peu plus détails qui vous êtes et ce que vous faites par des recherches sur Internet. Votre e-reputation n’est pas terrible quand on cherche votre nom ou votre pseudo sur Google ? Nettoyez vos réseaux sociaux, surtout si vous êtes sur le net depuis votre adolescence et que vous avez pu poster des idioties d’ado ou des blagues potaches. Une fois supprimés, si ces contenus ont toujours un aperçu sur Google, utilisez la console de suppression de Google pour les contenus obsolètes.
Si pour une raison X ou Y vous ne pouvez pas supprimer les contenus gênants, demandez leur déréférencement à Google en faisant valoir le droit à l’oubli. Si Google ne veut pas déréférencer un contenu qui vous porte préjudice et qui date un peu, adressez une plainte à la CNIL, toujours en faisant valoir le droit à l’oubli. Ce nettoyage pouvant prendre du temps, il faut le faire plusieurs mois à l’avance, et parfois s’y reprendre à plusieurs fois.
À l’inverse, si vous n’étiez pas présent sur les réseaux sociaux, il va falloir vous y mettre. À l’heure actuelle, les journalistes utilisent tous les réseaux sociaux. Même si vous n’êtes pas très porté là-dessus, faites-vous violence pour y être un minimum présent et connaitre les spécificités des plus grands réseaux (notamment Twitter, Instagram, Facebook, LinkedIn et Youtube). On attendra d’un jeune journaliste qu’il sache maitriser ces outils bien mieux que ses collègues boomers, car dans une petite entreprise de presse, il est courant que le boulot de community management soit fait par les journalistes eux-mêmes. Ces réseaux sont aussi des plateformes où vous pouvez rencontrer des journalistes, particulièrement sur Twitter et LinkedIn, et ainsi avoir un pied dans le milieu. Cela permet aussi d’établir un contact avec des personnes à interviewer.
Les prépas : c’est bien ou pas ?
Il existe des formations de préparation aux concours des écoles de journalisme, par exemple l’Institut Catholique de Paris, l’IPESUP, La Chance, la Prépa W du CFJ, Égalité des Chances de l’ESJ - Bondy Blog, etc. Elles ont des modalités différentes, la plupart vous forment un jour par semaine pour être compatibles avec des études ou un travail à côté. Certaines peuvent se faire en distantiel, ce qui est plutôt pratique. Point négatif : la plupart de ces prépas sont payantes, ce qui donne un coût supplémentaire aux frais de dossier des concours d’entrée.
Qu’est-ce que vous y apprendrez ? Déjà, vous verrez tout ce que j’ai mentionné dans cet article. En plus de cela, vous aurez des exercices qui seront corrigés, des examens blancs, et des oraux blancs. Ces formations vous expliqueront en détails ce qui est attendu lors des épreuves d’examens (ce que je n’ai pas fait dans ce billet), les consignes de certaines écoles étant parfois un peu cryptiques et jargonneuses, pour s’assurer que le candidat a déjà un bon pied dans le journalisme. Elles vous feront aussi rencontrer des professionnels qui vous parleront de leur travail. Bref, cela donne un indéniable accompagnement, même si on peut très bien réussir sans avec pas mal de travail personnel. Attention cependant : certains jurys ou certaines écoles voient les prépas payantes d’un mauvais œil, car cela va à l’encontre de l’égalité des chances, quand d’autres voient cela comme une preuve de motivation et l’assurance que vous avez des bases sérieuses. Demandez à vos formateurs si cela doit être mentionné ou non dans votre dossier pour telle ou telle école.
Persévérez !
Comme dit au début, la différence entre le nombre de candidats et le nombre de reçus est assez énorme, surtout dans les 14 écoles reconnues par la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme (d’autres écoles ne sont pas reconnues par le CNMJ mais le principal reste que leur diplôme soit reconnu par l’État). Il faudra donc peut-être s’y reprendre à plusieurs reprises, et malheureusement débourser à chaque fois des frais de dossier qui peuvent être rebutants…
Pour ma part, avant de réussir, il m’a fallu tenter trois fois les concours d’entrée, et je postulais pour plusieurs écoles chaque année. Pourtant, cela n’était pas trois années de perdues. Déjà, j’ai travaillé dans un tout autre secteur en attendant, qui est l’animation en accueils collectifs de mineurs, et ça m’a laissé le temps de maxxer ce domaine jusqu’à devenir directeur d’animation. Et à côté, ça m’a laissé le temps d’approfondir tout un tas de sujets en lisant des livres, de faire des reportages, des interviews, des stages dans des médias, de publier quelques piges dans la presse locale, et d’apprendre à manier des logiciels. Un concours raté, ce doit être vu comme la possibilité de se perfectionner pendant un an pour le concours de l’année suivante. Même si ça fait chier d’avoir perdu de l’argent dans des frais de dossier…
Bon courage !