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Billet de blog 5 mai 2023

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L'indignité présidentielle ?

Une réflexion sur la méconnaissance de l'esprit du parlementarisme par le pouvoir exécutif dans le cadre de l'adoption de la réforme des retraites. «Dans la perspective classique du parlementarisme dualiste et nonobstant la culture du chef militaire, le chef de l’État a en effet vocation à incarner, de manière presque paternelle, un arbitre pacificateur.»

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Benjamin Constant, chantre du libéralisme et grand orateur parlementaire du premier tiers du XIXe siècle, avait figuré la fonction centrale du chef de l’État sous les traits d’un pouvoir neutre, selon lequel ce dernier devait se trouver « au milieu de ces trois pouvoirs, autorité neutre et intermédiaire, sans aucun intérêt bien entendu à déranger l’équilibre, et ayant, au contraire, tout intérêt à le maintenir ». Dans la perspective classique du parlementarisme dualiste et nonobstant la culture du chef militaire, le chef de l’État a en effet vocation à incarner, de manière presque paternelle, un arbitre pacificateur. Les constituants de la Ve République, notablement Michel Debré et René Capitant, avaient souhaité continuer cette tradition, dont les premières manifestations remontent à la monarchie de Juillet. En ce sens, l’article 5 de la Constitution de la Ve République intime au Président d’assurer « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».

Aussi, l’article 12 de la Constitution, en particulier lorsque le lien entre la majorité parlementaire et le Gouvernement se distend, l’autorise à dissoudre l’Assemblée nationale et d’en appeler à l’arbitre souverain qu’est le Peuple. Il apparaît que l’actuel Président de la République n’ait pas pleinement mesuré la portée de son statut et qu’il a violemment rompu l’équilibre. Non pas de ses pouvoirs, précisons-le, mais de son statut qui renvoie aux droits et obligations qui pèsent sur l’exercice de son mandat. Le mépris, par l’actuel chef de l’Etat, de l’esprit de la Ve République abîme le libéralisme institutionnel qui l’a déterminé. Il ne faudrait pas détourner cet esprit libéral par un maniement illibéral des dispositions constitutionnelles. Le droit constitutionnel est tout autant politique que proprement juridique. L’opinion publique démocratique demeure le curseur de l’action politique légitime. N’oublions pas que les membres du parti de l’Ordre de 1848 avaient finalement accepté la République, faisant œuvre de conciliation. Se prévaloir de l’ordre, c’est, en principe, composer avec le souverain : le Peuple. À moins de préférer une vision personnelle, voire autoritariste du pouvoir présidentiel.

Au-delà de l’utilisation régulière de dispositifs constitutionnels d’accélération de la procédure parlementaire et de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale dans les conditions de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, au-delà d’une décision bancale d’un Conseil constitutionnel acquis à la défense du pouvoir politique en place, le Président de la République est contraint par son statut, historiquement et symboliquement rapporté à la figure du rassembleur, au rôle de garant de la concorde sociale qu’expriment ces formules imprécises de l’article 5 précité. La modération pèse sur l’action du chef de l’État et engage sa responsabilité personnelle, si l’on songe aux insondables termes de l’article 68 de la Constitution qui suggèrent la menace d’une destitution lorsque le Président commettrait des actes signifiant un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». A l’évidence, il n’y a pas lieu de rappeler les termes politiques et sociaux du conflit.

Il suffit simplement de constater la gravité de ce conflit et la menace qu’il représente, notamment sur les institutions politiques existantes, dont on peut considérer qu’elles étouffent l’expression démocratique. Il importe, principalement, de rappeler à l’actuel chef de l’État qu’il est responsable, au regard d’un statut qui le précède historiquement et qui l’encadre juridiquement. Et surtout qui l’oblige, d’autant plus que la source de légitimité qui justifie son mandat lui échappe sensiblement, à savoir le peuple souverain. Quelle que soit la contingence politique du moment, le peuple se trouve être l’arbitre décideur que la dissolution parlementaire, instrument de pacification sociale aux mains du Président, peut utilement apaiser. Le référendum d’initiative partagée étant illusoire, le référendum présidentiel étant incantatoire, la dissolution parlementaire s’imposait et peut encore se justifier, en tant qu’instrument consensuel et opportun de résolution d’un conflit suscité par une mesure politique engagée par le Gouvernement nommé par le Président, mais délégitimée par le Peuple, autorité de désignation du Président.

La représentation nationale peut juger de l’incompatibilité de certains actes présidentiels à la lumière de l’exercice de son mandat, pour prononcer la destitution présidentielle. L’histoire jugera l’action présidentielle, à la faveur d’une certaine exigence de dignité politico-morale qui impose d’apprécier, avec discernement et modération, les circonstances politiques du moment. Tel est le devoir qui devrait conduire le chef de l’État à se saisir de la dimension représentative et pacificatrice de son office. Tel est le devoir qui devrait conduire le chef de l’État à se soumettre à ses obligations statutaires et à le rappeler à sa désignation populaire. On ne voudrait pas croire que le Président actuel brandisse la menace d’emporter avec lui, dans la fin programmée de son deuxième mandat d’ores et déjà cadenassé, le sort des institutions de la Ve République.

Caroline Tixier, enseignante-chercheuse en science politique et en droit public, Université Sorbonne-Paris-Nord

Tanguy Pasquiet-Briand, professeur des universités en droit public, Université Paris-Saclay

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