Lettre ouverte à François Bayrou
Cher François,
Un mercredi du mois de février 2017, je vous ai envoyé un mail sur votre boite mail à la mairie de Pau.
Il disait : « Allez-y, le moment est venu de tenter une quatrième fois la présidence de la République et de gagner ! ».Je vous encourageais, comme d’autres, à y aller, à vous lancer pour la dernière fois dans cette aventure. Malgré le peu de chance de l’emporter, malgré le climat et la situation. On vous encourageait à prendre, le cas échéant, de bonnes décisions, de faire les bons choix, car comme troisième homme, vous étiez selon l’expression, le faiseur de roi. De là où je me trouvais, je ne pouvais pas m’informer, ni de votre réponse qui n’est jamais venue, ni des élections françaises qui se préparaient. Mais, le 19 février, j’ai reçu un message de ma fille : « Inutile maman, Bayrou rejoint Macron ! »
Ce fut pour moi, à la fois une déception et un soulagement.
Je savais, à mon échelle, la pénibilité de la campagne de 2007, l’enthousiasme, l’euphorie, la dureté du monde politique, 12 h par jour pour convaincre les Français, pour faire triompher l’idée de « la politique autrement ». Sept millions de français vous encourageaient avec nous et vous ont fait confiance. Comme nous, les Français ont été séduits par votre personnalité, par la vérité qui émanait de la parole politique de l’élu incorruptible, mettant toute son intelligence à démêler le vrai du faux, le bon du mauvais, le juste de l’injusteNous relayions, nous, militants de la première heure, cette parole vraie qui refusait tout à la fois, la sclérose de nos institutions, la paralysie de notre pays, l’opacité de l’exercice du pouvoir et qui défendait la justice sociale comme point cardinal.
Bref, vous n’y alliez pas, aux élections, et c’était votre choix !
Vous n’y alliez pas mais vous y étiez quand même !
Alors, je me résignais et suivais d’assez loin, en traînant un peu la patte, il faut bien le dire, votre nouvel allié, candidat fougueux, libéral s’il en fut et neuf pour porter auprès d’un auditoire qui n’était pas vraiment le vôtre, la thématique de l’exemplarité comme condition pour réparer le lien des Français avec leurs élus, avec la politique ? Qu’importe, on ne nous demandait pas notre avis, nous autres militants du MODEM et l’offre d’alliance était déjà faite. On espérait seulement qu’elle ne se transforme pas en liens de vassalité.
J’imaginais le duo possible, souhaitable, le ticket gagnant.
J’avais quelques doutes, vite dissipés dès lors que le cahier des charges allait être respecté. On imaginait une charte destinée à consigner les droits de chacun et à régler les intérêts, mais politiquement et moralement, on imaginait cette charte aussi solennelle que les lois constitutionnelles d’un pays.
Cette charte, c’était la moralisation de la vie politique, le point de ralliement de l’essentiel des militants du MODEM.
Et vous avez gagné ! Il y eu quelques discordes vite réglées et qui portaient sur le retour sur investissement, sur la juste récompense du soutien, pas encore sur le fond du programme. Sur 458 candidats labellisés LREM, 308 sièges reviennent au seul parti de Macron et 42 au MODEM. Un triomphe comptable mais un triomphe quand même. C’était mieux que Jean Lassalle tout seul qui fait vibrer ses cordes vocales à l’Assemblée Nationale.
Mais vite, vous êtes rattrapé par les affaires, car tout est allé trop vite, au rythme imposé par ces jeunes loups du nouveau président. Vous avez changé de tempo. Impétuosité contre sérénité. Le tempo n’était plus celui qu’on vous connaissait, lenteur et réflexion philosophique autant que politique. Vous n’aviez plus que le mot « Reforme », le mot « Dette » et le mot « Croissance » dans l’oreille et dans votre bouche. Les passages à la télé vous montraient fébrile, le triomphe en ligne de mire, la revanche, contre les deux camps qui peuvent indifféremment être les vôtres, revanche vis- à -sis de la droite et vis-à-vis de la gauche. Et une sortie de l’ombre, une résurrection.
Alors se sont abattues sur vous, comme sur les autres, les affaires, les emplois présumés fictifs au parlement européen. Ce ne sera pas vous qui porterez la première loi du quinquennat : la moralisation de la vie politique. Vous étiez en un instant disqualifié. Vous tombiez par la loi « S’en aller quand on a une affaire sur le dos » que vous aviez fortement défendue sous Balladur.
Pour nous aussi, c’était fini. Mais, ne perdant pas courage, vous aviez votre relais Marielle à la commission des affaires étrangères, poste un peu discret pour influencer, et Fesneau comme chef de groupe à AN.
« J’ai planté des vignes, Macron a récolté les vendanges » Vous avez, à la manière de mes parents en Algérie, planté la vigne et laissé à d’autres le soin de sarcler, entretenir puis savourer le bon raisin puis le bon vin. Le vin que les nouveaux maîtres de l’Algérie ne boivent pas. Votre conception du pouvoir, Macron n’en a que faire ! La morale en politique, il ne boit pas de cette eau-là ! Comme ces vignes si amoureusement entretenues puis rendus aux friches. Vous étiez parti. Même s’il restait toujours les moines soldats, Marielle De Sarnez et les quarante élus. Vous n’étiez plus là. Alors on a rebaptisé votre loi de moralisation, « loi pour la confiance dans notre vie démocratique ». On l’expurgea de votre moralisme catholique, on diminua la dose de proportionnelle à 15% aux législatives, loi qui, du coup, ne devrait pas bouleverser les grands équilibres de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas le quart des députés comme vous le demandiez mais une « aumône à la démocratie ». Je pense qu’une partie de vos députés va disparaître comme on disparaît dans le triangle des Bermudes, corps et biens. Comme dans l’affaire de votre démission du ministère de la justice, vous êtes tombé par la loi que vous aviez initiée et si farouchement défendue. Vos députés disparaîtront par la Réforme constitutionnelle que vous appeliez de vos vœux. Ainsi vont peut- être les choses de la politique ! Et ce n’est pas le président de la République qui va voler au secours de vos députés quand on charcutera les nouvelles circonscriptions. Il y avait, chez le président de la République, un plaisir pervers à fouler aux pieds la charte tacite qui vous liait, le même plaisir pervers qui lui fait dire à l’opposition qui demandait des explications au nom du respect de l’opposition, au nom du respect de la démocratie « Venez me chercher ! » Il pérorait au milieu de 350 députés enthousiastes et bouillonnants pendant que l’émoi gagnait la France. Cette tentation hégémonique, vous la fustigiez jusque-là.
Et à cet instant, malgré tout, on y croyait encore. La dernière université d’été à Guidel sentait pourtant déjà un désappointement. Elle était morne et attristante. Elle était un maelstrom au bord de l’océan. Seule la présence d’Emmanuel Todd a mis un peu d’esprit, un peu d’espoir et un peu de liberté. On vous sentait moins exubérant, plus raide mais vous vous posiez encore en pilier de la majorité avec des arguments d’autorité sur lesquels ironisait le démographe.
Tout cela pour vous dire, François, que nous sommes déçus, que nous sommes dépités, que nous sommes assommés. Que nous sommes déjà partis.
Je vous ai écouté sur Europe 1 la semaine dernière sur l’affaire Benalla. Vous parliez de disproportion entre les faits et le maelstrom médiatique et politique.
Lui, le président de la République : « tempête dans un verre d’eau »
Vous : « Un maelstrom », le trou noir d’eau. Ensemble, vous utilisez le même vocabulaire marin. Vous : « faute individuelle ». Lui : « faute personnelle ».
Vous : « instrumentalisation de l’affaire »
Lui : « exploitation politique de l’affaire »
Puis Fesneau, à la suite, répète comme un vassal et non comme un allié libre et un élu intègre.
François, on ne vous reconnaît plus. Au conseil national du Modem à l’époque où j’y siégeais, vous critiquiez l’excès de présidentialisme. Dans Abus de pouvoir, contre Sarkozy, vous condamniez son goût immodéré pour les riches, et l’exercice solitaire du pouvoir. Qui a oublié vos saillies contre l'Etat-Ump, l’Etat partial, l’État voyou ? L’affaire Benalla est symptomatique non seulement d’un présidentialisme renforcé, mais aggravé avec un recours à la violence illégitime. Elle est l’exemple même du non -respect de l’Etat de droit.
La justice sociale aussi n’est plus votre cheval de bataille, diluée dans l’idéologie macronienne des premiers de cordée, du « button up », des winners.
Au sujet de la domination des puissants sur les faibles, qui a oublié votre saine colère dans l’arbitrage rendu entre Tapie et l’ancienne banque publique Crédit Lyonnais qui avait accordé 400 millions d’euros à l’homme d’affaire ? Pour vous, l’argent volé par le riche Tapie était l’argent des Français. Les riches ne vous font plus horreur François. Et le prélèvement de la CSG sur des retraites de 1200 euros ne vous a pas ému non plus. On vous a souvent entendu parler de la faible pension de votre propre mère.
Je ne peux pas conclure sans me présenter un minimum. Vous ne vous souvenez probablement plus. Depuis les premières heures du MODEM, et depuis un an, d’autres figures exaltées, jeunes et encore groggy par leur arrivée à l 'Assemblée, mais vite relevés et vite en marche,(En Marche, vite caporalisés) nous ont jetés dans l’oubli. Ils ont éclipsé la vieille garde par laquelle, vous avez à trois reprises brigué la présidence de la République. Et ressuscité. Politiquement. Chaque fois.
Je suis membre du Modem depuis sa création, j’ai porté les couleurs du MODEM fièrement aux élections municipales, départementales, législatives forte de l’ossature morale qui ne fait pas un programme politique mais qui le sou-tend. Historienne, je lisais avec délectation vos livres en étant capable d’en citer de mémoire de longs passages. Je relisais Henri IV, roi de France et dernier comte de Foix-Béarn et recherchais ce qui pouvait vous inspirer chez ce roi tolérant et stratège. Et bien qu’engagée depuis l’adolescence, et malgré les sollicitations de la droite et de la gauche, je n’ai jamais adhéré qu’au Modem. Vous étiez l’homme politique que mes exigences démocratiques attendaient.
Tout cela pour vous dire, François, que nous sommes déçus, que nous sommes dépités, que nous sommes assommés. Que nous sommes déjà partis.
Laura Tared, Metz