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Billet de blog 16 janvier 2014

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Le graffiti dans le monde arabe

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Considérations sur les arts urbains #2

Les cultures urbaines s’installent timidement mais sûrement dans les pays arabes… Voici un petit tour d’horizon pour mieux comprendre les nouvelles évolutions artistiques dans cette partie du monde.

La pratique du graffiti, au sens moderne et artistique, est assez récente dans le monde arabe pour plusieurs raisons. La première, et la plus importante, est d’ordre culturel puisque la rue (et plus généralement l’espace public) n’a jamais été envisagée comme un lieu où l’on pouvait s’exprimer à titre personnel. La seconde est liée à l’absence d’art mural dans la civilisation islamique : les mosquées n’étaient pas peintes comme les églises mais décorées avec des stucs et des mosaïques… Ce n’est que depuis la fin de la seconde guerre mondiale et encore plus avec la mondialisation, que le monde arabe s’est mis progressivement à utiliser ses murs comme support pour la communication politique, idéologique, artistique parfois et contestataire rarement… Le graffiti s’est donc engouffré dans cet interstice, mais il est resté très longtemps marginal…

Les arts urbains ont été utilisés de manière quasi scientifique par la plupart des régimes politiques dictatoriaux dans le monde arabe (l’exemple du parti Baas en Syrie est certainement le plus emblématique de tous) ou par des mouvements d’opposition, comme l’OLP face à Israël, le Hamas plus récemment ou encore le Hezbollah et le Amal au Liban… Cette pratique murale autorisée ou encadrée a forcément suscité du graffiti illégal en réponse ou en réaction aux slogans répétitifs des autorités officielles. Ainsi, des écritures, des dessins, des graffitis et des peintures sauvages ont commencé à fleurir un peu partout dans divers lieux publics comme les arrêts de bus, les toilettes ou les abords des écoles. La plupart du temps, ce sont des jeunes qui ne peuvent exprimer leur malaise que par ce biais. À cela s’est ajouté un phénomène assez récent lié au monde des supporters de Football. Ainsi de Tunis au Caire, en passant par Damas ou Alger, les aficionados de tel ou tel club ont choisi de marquer leur territoire par des graffitis : ce phénomène est important puisque certains vont basculer à la suite des révolutions arabes dans le graffiti politique ou artistique. C’est le cas en Egypte, en Tunisie et même au Maroc ! Paradoxalement, les pays arabes n’ont pas de législation pénalisant le graffiti comme c’est le cas en Europe ou aux Etats-Unis.

Parler de cultures urbaines dans cette partie du monde est possible depuis peu, mais il existe une culture millénaire, et de très haut niveau, autour de la lettre avec la calligraphie. En effet, la plupart des enseignes sont peintes à la main même si cela se perd de plus en plus avec l’industrialisation des enseignes commerciales. Les affiches de cinéma également le sont, comme en Inde ou au Pakistan ! Techniquement, les artistes de rue dans ces pays savent peindre sur de grandes surfaces sans aucun problème mais avec des pinceaux ou des rouleaux. Les bombes de peinture demeurent très coûteuses et servent essentiellement à l’automobile.

Comment expliquer l’apparition du graffiti art dans ces pays ? On peut l’affirmer sans trop se tromper que c’est un phénomène très récent… Le premier contact de cet art avec les pays du Maghreb est le fait de graffeurs français d’origine arabe qui ont peint durant leurs vacances suscitant des vocations locales. Ensuite, Internet a diffusé de nombreux modèles et des informations pour les plus curieux ou ceux qui voulaient en faire… Enfin, le vent de liberté dans les pays arabes a eu pour conséquence une floraison d’écritures sur les murs des grandes villes de ces pays, même dans ceux où la contestation a été étouffée rapidement. Le peuple s’est exprimé de manière anarchique sur les murs. Ainsi à Tunis, le quartier des ministères a été recouvert de graffitis sur de nombreux murs qui auparavant n’étaient pas accessibles aux citoyens. Au Caire, les manifestants ont agi de la sorte… Une fois, la parole libérée des graffeurs locaux ont pu s’exprimer au grand jour ainsi que des pochoiristes. Des artistes urbains, comme JR ou l’Atlas, se sont rendus sur place pour y effectuer des happenings permettant de créer un buzz mondial autour d’eux mais aussi sur ces villes où la liberté de parole permettait tout… Et parfois n’importe quoi !

Des graffeurs français d’origine arabe ont commencé à peindre avec des graffeurs locaux créant de nouvelles dynamiques ; c’est le cas à Tunis ou encore au Maroc. Un excellent ouvrage intitulé Arabic graffiti, publié chez From here to fame, présente des artistes urbains arabes d’un niveau mondial et de plus en plus sollicité en Europe. Ces derniers réalisent des peintures comme leurs confrères sur les spots du moment, bénéficiant ainsi de la médiatisation d’Internet… Finalement, la jeune génération a assimilé assez rapidement les dernières années d’histoire et de pratique des artistes urbains occidentaux. Cependant, le monde arabe au sens plus large n’est qu’à ses balbutiements dans le domaine du graffiti et des cultures urbaines mais les progrès et l’engouement des jeunes est un signe positif quant à son devenir.

Photographies : Elodie Coubard, Ophélie Mercier et Tarek

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