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Billet de blog 1 mars 2017

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L'espérance

Face à un univers que l’on nous dépeint de plus en plus sombre et contre le défaitisme politique facile incarné par le vote utile, osons aujourd’hui le combat intellectuel et politique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous reproduisons ici l'article de notre blog WordPress, daté du 27 février 2017:  https://amartincontemporary.wordpress.com/.

En 1948, le futur Prix Nobel de Littérature Albert Camus écrivait dans son journal « Combat » un texte intitulé « Le siècle de la Peur », dont voici un extrait :

 Ce qui frappe le plus, en effet, dans le monde où nous vivons, c’est d’abord, et en général, que la plupart des hommes (sauf les croyants de toutes espèces) sont privés d’avenir. Il n’y a pas de vie valable sans projection sur l’avenir, sans promesse de mûrissement et de progrès. Vivre contre un mur, c’est la vie des chiens. Eh bien ! Les hommes de ma génération et de celle qui entre aujourd’hui dans les ateliers et les facultés ont vécu et vivent de plus en plus comme des chiens.

Naturellement, ce n’est pas la première fois que des hommes se trouvent devant un avenir matériellement bouché. Mais ils en triomphaient ordinairement par la parole et par le cri. Ils en appelaient à d’autres valeurs, qui faisaient leur espérance. Aujourd’hui, personne ne parle plus (sauf ceux qui se répètent) parce que le monde nous paraît mené par des forces aveugles et sourdes qui n’entendront pas les cris d’avertissements, ni les conseils, ni les supplications. Quelque chose en nous a été détruit par le spectacle des années que nous venons de passer. Et ce quelque chose est l’éternelle confiance de l’homme qui lui a toujours fait croire qu’on pouvait tirer d’un autre homme des réactions humaines en lui parlant le langage de l’humanité.

C’est là un texte fort rare. Il a beau avoir été écrit dans un tout autre contexte, la tentation est grande, si grande de commettre l’anachronisme. Non, nous ne vivons pas tous comme des chiens, l’avenir nous est sans doute quelque peu plus clair qu’au lendemain de cette période sombre et l’ère des famines et des tickets de rationnement nous semble bien révolue. Mais ceux qui errent sans toit, grelottant dans la nuit à la recherche de la chaleur des soupiraux, ne pourront acquiescer des progrès qui ont été faits depuis ce sinistre temps. Et sans plus insister sur cette commune indigence qui nécessiterait nombre d’appels dignes comme ceux de l’abbé Pierre, observons que nos pauvres sont des chiens que l’on soigne à peine et que l’on n’entretient guère, avec des minimas sociaux qu’on condescend tout juste à leur accorder de peur qu’ils ne se goinfrent de ces quelques oboles.

C’est donc que la situation sociale de notre république n’est guère glorieuse, et nous n’abordons ici toutes ces autres hantises du quotidien : chômage, mal-emploi, déconsidération, pessimisme généralisé, terrorisme, identité bafouée, insécurité et bien sûr, l’immigré. Nos hommes politiques et nos éditorialistes perçoivent des salaires de l’effroi, et l’on consomme aujourd’hui avidement cette peur. Au quotidien, elle s’immisce péniblement dans nos pensées, comme un ver dans le fruit, et c’est une forme de tristesse pénible qui nous gagne progressivement au fur et à mesure que notre monde s’obscurcit. Finalement, avec le temps c’est un avenir aux allures de faillite qui se dessine dans une consternation généralisée. On nous proposera alors la souffrance comme seul et unique remède à cette violente déprime. Votez la peine, fuyons l’honneur, et vous aurez votre salut après nombre des passions rédemptrices et de douleurs austères. Et si ces programmes ne vous allèchent guère, fuyez donc et refugiez-vous dans un vote qui ne vous ressemblera pas : voilà l’état bien consternant de notre débat politique.

  De la nécessité de l’espoir

Eh quoi, faut-il se laisser porter par les sirènes du désespoir ? Faut-il laisser notre pensée et notre volonté sombrer dans ce défaitisme de pacotille ou dans cette fuite ?

Résister à cette sensation n’est pas simplement le mérite d’un citoyen digne qui choisit, c’est là notre condition, celle d’hommes et de femmes formés aux écoles de la République, aux volontés affutées et déterminées. Notre esprit arbore les valeurs de notre République, celle d’une intelligence critique et d’une foi indéfectible en l’homme, et les renier au profit d’un facile défaitisme serait nous renier nous-même. Cultivons là l’intelligence, et si nous sommes aujourd’hui appelés à faire un choix démocratique, nous ne le ferons sous la pression d’aucune menace et sans peur, en notre âme libre et consciente. Ces stratégies de l’effroi doivent cesser, et l’électeur tenté doit demeurer alerte : un vote ne doit être qu’un choix et non une absence d’alternative, le trop commun « vote utile » ou la contrainte par la menace politique.

Soyons fermes et clairs : Il ne s’agit là de jeter l’anathème sur tel ou tel candidat, car son vote appartient à chacun, mais de remettre en question cette bien étrange philosophie politique qui s’est emparée de nous depuis 2002, consacrant le vote de calcul, sans valeur pour les uns et le vote de l’effroi pour les autres. Une vie dans la peur n’est qu’un sursis prolongé, encore et encore, jusqu’à la prochaine échéance, et une élection noyée dans le vote utile n’est que le symptôme d’une parodie de démocratie où les citoyens ne s’expriment que dans la fuite. Le débat n’en est réduit qu’à son expression la plus misérable, celle d’une menace agitée constamment, l’annonce d’une apocalypse politique ou économique imminente suivant les partis choisis.

Osons donc le choix dans l’espoir et l’audace, affrontons un réel qui nous avantage bien plus que nous ne le pensons. La France est la cinquième économie mondiale, la deuxième économie européenne. Ce n’est pas là la récompense d’une fructification bienheureuse d’un capital passif grossissant à l’œil, mais aussi et surtout la récompense d’un travail partagé, les fruits produits par une société que nous avons bâtie, brinquebalante et trop inégalitaire certes, mais qui, par des politiques sociales innovantes et l’invention de nouveaux droits peut parvenir à corriger ses trop nombreuses et insupportables tares. Certains argueront que nous n’aurons pas le choix, la faute à une Europe trop « libérale ».

Pourtant, il faudra bien que cette institution de bureaucrates en discute : notre République est son dernier bouclier nucléaire, la sage garante de la paix aux frontières du continent. Et cela d’autant plus que notre quiétude et notre responsabilité contrastent grandement avec l’attitude excentrique de l’ancien "géant protecteur" de l’autre côté de l’Atlantique. Notre République dispose donc d’une position infiniment favorable pour négocier au sein de cette Europe, celle d’un juge de paix puissant et responsable, non pas menaçant, mais aussi apaisant qu’exigeant.

Mais pour cela, il faudra élire des hommes et des femmes politiques qui ne souhaiteront pas pieusement « le changement », mais qui entendront le grondement sourd remplaçant les débats, cette colère indignée qui s’éveille dans nos faubourgs et que nous ne cessons de montrer l’ampleur. Il faudra parler le langage de l’humanité et nous convaincre, et non pas nous faire commerce de la terreur. En cela, soyons aussi exigeants que nos hommes politiques le sont avec nous, et ne reculons que lorsque tout ce qui n’aura pu être tenté ne l’aura pas été. Cette dernière tentative ne porte qu’un nom, celui de l’intelligence républicaine, dont le vote réfléchi et convaincu n’en est que la manifestation.

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