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Billet de blog 28 février 2017

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Emmanuel Macron, candidat qu'une France voudra voir perdre

L'élection présidentielle de 2017 est une élection fort originale : elle possède un candidat se présentant comme n'affilié à aucun parti, aucune obédience politique "classique", et bénéficiant d'une couverture médiatique particulièrement large. Mais ne serait-ce pas là un bien triste leurre, qui nous permettrait d'oublier une année 2016 de vote historique extrême ?

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Note de l'auteur : nous reproduisons ici l'article que nous avons publié il y a de cela un mois sur notre  blog à l'adresse suivante: https://amartincontemporary.wordpress.com/. Les évènements récents (ralliements de Bayrou et de Cohn Bendit) nous laissent à penser que cet article est plus que jamais d'actualité. 

Il est intéressant de constater depuis quelques semaines, entre les quelques rebondissements d'une affaire Fillon, un certain engouement médiatique pour le candidat Macron. Jeune, brillant orateur, formulant des propositions consensuelles, s’affichant en dehors des partis traditionnels, le candidat à l’élection présidentielle possède vraisemblablement toutes les qualités requises pour réussir cette élection, surtout dans un contexte de marasme du bipartisme de gouvernement politique. Il est probablement le seul candidat "consensuel", le vote "utile"  d'une élection présidentielle particulièrement disputée.

C’est très précisément pour toutes ces raisons que la surmédiatisation de Macron est le dernier piège tendu à la démocratie française, l’arbre cachant la forêt de colère qui se réveillera en mai prochain, colère qui prendra la forme d’un vote extrémiste, de droite très probablement. Faut-il que nous soyons si aveugles pour ne pas le voir ? Non, parfaitement conditionnés dans une société isolant ses composantes sociales les unes des autres.

Dressons là un portrait de la France qui votera aux prochaines élections. Pas de cette France, jeune, urbaine, diplômée, qui se déplace aux meetings de Macron le sourire aux lèvres, ou de ces jeunes cadres dynamiques, faisant l’ascension du monde de l’entreprise au dos de leur start-up. Nous parlons plutôt de la France au revenu médian à 1612 euros (ce qui signifie que 33 millions de Français vivent avec moins que ce salaire),  qui passent une vie à rembourser un emprunt, des paysans vivant avec 700 euros par mois, se levant avec le soleil le matin et tractant dans la boue jusqu’au soir.

Cette population historiquement à droite, trahie par les promesses d’un Chirac, d’un Sarkozy, et qui conspue Hollande s’est considérablement appauvrie tout au long de ces années, du fait d’une surabondance agricole, de la perte progressive des emplois, et de la désaffection au fil des ans des petits bourgs peuplés aujourd’hui de spectres. Elle ne perçoit le monde qu’à travers la crise des réfugiés, la violence exhibée par les médias, le terrorisme, et l’apocalypse annoncée de leur monde par les hommes politiques de droite. Isolés dans ce monde phtisique sans frontières mais aux barrières sociales infranchissables, les jeunes du bas pays sont confinés intellectuellement. La fréquentation quotidienne de Facebook et de Google amène mathématiquement à l’entre-soi, puisque les algorithmes ne montrent que ce que nous avons envie de voir. Nous, citoyens des villes, sommes également prisonniers de cet univers de miroirs, qui fait que nous ne voyons pas nos semblables, leur colère. Nous sommes ainsi habitués à notre confort et à notre mode de vie ; tandis qu’ils sont allaités au lait amer de la rancune face à l’abandon du monde et de la nation. Jour après jour, leur haine grandit qu’ils soient jeunes ou âgés, et fort heureusement, la démocratie permet de canaliser cette colère par le vote plutôt que par les armes.

En décembre dernier, aux élections régionales, le FN était premier parti de France, et obtenait 30% des votes. Un votant sur trois, à une élection à très faible taux de participation (et d'ordinaire lui étant très défavorable), a voté extrême droite. Si le FN réussit une percée historique dans les villes, c’est dans les campagnes où sa victoire au premier tour a été écrasante. Là, l’orage est passé, les alliances politiques ont fait leur effet, et le FN n’a rien remporté à l’échelle nationale, une fois de plus. Chacun rentre donc chez soi, témoignant de la peur qui s’est emparée de la démocratie, mais qu’heureusement, les intérêts de tous étaient désormais sauvegardés, même s’il faudra faire attention la prochaine fois. Ecoutons un peu nos pauvres, que diable ! En juin dernier, le " Brexit" est voté d’une courte majorité, malgré un "Remain" tout à fait "consensuel", "raisonnable" et même acquis, et un "Brexit" défendu par certains mensonges et des hommes politiques considérés au mieux comme extravagants. Ce sont les campagnes anglaises et galloises qui ont très largement voté le Brexit, ainsi que le Nord de l’Angleterre, du côté de la région de Manchester et Birmingham, respectivement très similaires à nos campagnes françaises et à notre Nord-Pas-de-Calais de par leur histoire et leur état de décrépitude actuelle (auxquels la concision m’oblige à ne m’étendre). Qu’importe la marée, le Brexit n’a toujours pas été enclenché, et il est probable du fait de la pression de la City que le gouvernement britannique continuera de saboter toute rénovation ambitieuse de l’Europe en y restant. Les Britanniques ont même l’humour de dire qu’ils n’avaient pas fait exprès de voter ainsi ! Note post-scriptum du 2 février 2017: aujourd'hui a été débouté un texte de députés écossais au Parlement Britannique visant à bloquer le Brexit. Si la procédure de Brexit aura lieu, l'accès du Royaume Uni au marché unique ne semble pas menacé par un projet de loi à l'heure actuelle... Et au cas où ce marché unique ne leur serait pas acquis, le gouvernement britannique a d'ores et déjà prévu de devenir un paradis fiscal "opaque" dans l'optique de saper une fois des politiques européennes ambitieuses.  

Cinq mois plus tard, Donald Trump accède à la Maison Blanche grâce au vote de la Rust Belt, de ces états peuplés de ce que l’on appelle parfois avec dédain les "White Trash", votant pourtant traditionnellement démocrate. Et cette élection se sera produite malgré beaucoup d’insultes, et une Hillary Clinton "consensuelle", candidate parfaite des "modérés", sûre de gagner, au point d’avoir taillé la primaire démocrate à sa mesure en ne se mesurant à aucun candidat de son propre parti (Sanders n’était pas encarté démocrate). Seul un certain Michael Moore aura entrevu et prédit les raisons de la déconfiture démocrate en constatant sur le terrain de l'Illinois et du Michigan l'émergence d'un vote bien sombre. Les conséquences de cette élection sont graves, car elle a mené à la Maison Blanche un multimilliardaire mégalomane désirant mener (entre autres) des politiques de discrimination envers les musulmans à l’échelle fédérale.  Les avertissements de 2012 et de l’émergence du Tea Party n’auront pas servi à réformer et à resocialiser un parti démocrate aujourd’hui en position de grande faiblesse.

Le rapport de ces élections à la nôtre, que l’Europe entière regarde avec inquiétude, est qu’il s’agit de la même population qui a voté en Angleterre, aux Etats-Unis, et dans nos campagnes françaises. Elle votera comme un seul homme pour le candidat de l’extrême droite. Ces hommes et ces femmes seront galvanisés par le fait que le meilleur candidat qui s’opposera à lui sera un ancien banquier d’affaires, Enarque, promu par tous les médias voyant en lui un nouveau messie de la politique. Ce sera la meilleure confirmation des thèses de Madame Le Pen pour ses votants, celle d’un système médiatico-politico-financier qui s’organise à lui barrer la route, à elle et au "peuple de France", et fournira des arguments aux plus conspirationnistes de ses détracteurs. En cas d’échec de Marine Le Pen et dans la configuration actuelle, la légitimité démocratique d’un président qui ne se déplacera plus jamais dans ces terres qui auront voté unanimement contre lui, sera quasi nulle. Il se profile encore en France une élection où le vote utile noiera tout potentiel de représentation "conséquente" aux législatives pour cette population.

Cependant, Macron est lucide. Il a ainsi compris que l’élection présidentielle se jouera aussi ici, dans la France pauvre, et s’y déplace donc, distribuant çà et là des "médailles du travail", reprenant tristement un paternalisme bourgeois d’un siècle précédent. Aucune mesure de son programme, reprenant la ligne politique des socio-démocrates proches des grandes entreprises ne convaincra cet électorat radical, car elles ne le concernent pas et ne l’affecteront pas.   Il faudra dépasser par la gauche Marine Le Pen, réduire la misère de nos campagnes en France, parler de ces univers mornes où ne se déroule que la lente agonie économique et sociale de ces bourgades. Une phtisie qui n'est pas simplement celle des entreprises et industries de la région: c'est aussi celle d'un service public qui, diminué par les coupes budgétaires, était une présence essentielle dans ces régions (voir à ce sujet une étude intéressante de l'IFOP corréléant vote FN et absence de services et commerces de proximité) . Lorsque l'ensemble de ce microcosme de vie de proximité disparaît, le long travail de sape intellectuelle d'un certain Pierre Poujade prend racine et fait front, dans le geste triste et sombre d'un vote autoritaire.

Il faudra donc cesser d’être ce candidat consensuel aux "mesures de bon sens" comme on peut le lire parfois, promus par tous les canaux de diffusion, ce candidat qui satisfera tout le monde et personne, des Juppéistes tristes aux socialistes démocrates déçus ; tout comme l’étaient cette constitution européenne que tous vantaient, ce Remain que l’on chantait, ce Jospin de 2002, cet Al-Gore de 2004 et cette Clinton évidents pour tous, qui ne proposaient rien d’autres qu’eux-mêmes. Là, alors, l’espoir aura du sens, là, promouvoir partout Macron sera légitime, car il ne sera pas le candidat des villes et banlieues huppées "qui marchent"; il sera le candidat d’une nation réunifiée par un programme.

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