Tassadit Yacine et Omar Hamourit

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Billet de blog 23 novembre 2023

Tassadit Yacine et Omar Hamourit

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La guerre de 1967 et l’éclosion du messianisme religieux en Israël

Cet article est un récit qui raconte, sur une période d’un peu plus d’une décennie environ, l’histoire des messianiques religieux israéliens et la stratégie qu’ils avaient mis en œuvre pour coloniser les terres sur lesquelles vivent les Palestiniens. Ces extrémistes constituent une grande force politique et ont une influence majeure dans le jeu politique israélien. Par Tassadit Yacine (anthropologue) et Omar Hamourit (historien). 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article est un récit qui raconte, sur une période d’un peu plus d’une décennie environ, l’histoire des messianiques religieux israéliens et la stratégie qu’ils avaient mis en œuvre pour coloniser les terres sur lesquelles vivent les Palestiniens. Ces extrémistes constituent une grande force politique et ont une influence majeure dans le jeu politique israélien, car ils ont réussi à gagner la connivence de certains hommes politiques rongés par la corruption. Leur présence empêche réellement une évolution saine de la région, en raison de leurs revendications territoriales incompatibles avec une solution à deux Etats. 

En Juin 1967, l’armée israélienne rentrait à Jérusalem (el Qods), une municipalité « arabe »  (mis pour palestinien) avant cette date, avec à sa tête Moshé Dayan (l’homme au bandeau sur l’œil) alors ministre de la défense. Cette arrivée massive des forces armées israéliennes, fut accompagnée par un mysticisme et messianisme juif exalté et une volonté de s’accaparer rapidement du Mont du Temple. Il se raconte que Moshé Dayan était subjugué par les mosquées de la Ville et fut choqué lorsque certains soldats avaient accroché le drapeau israélien sur le dôme de la mosquée el Aqsa et ordonna son retrait.  Moshé Dayan a fait savoir par un communiqué lu à la radio « nous ne sommes pas venus pour conquérir les lieux saints des autres ou pour restreindre leurs droits religieux, mais pour assurer l’intégrité de la ville et y vivre avec d’autres dans la fraternité ». Ce fut une vaine déclaration, en raison de la forte agressivité des messianiques, et peut être aussi d’un manque de volonté flagrante de les contrarier. Les messianiques sont les faiseurs de premiers ministres. Les événements avaient rapidement pris une autre tournure qui devenait de plus en plus difficile à gérer par le gouvernement. 

L’agitation d’un rabbin et en même temps général du Tshal, nommé Shlomo Goren, un natif de Pologne, agaçait par ses propos, car déjà, en 1967, il exprimait, sa volonté qui est celle des messianiques en général,  non seulement d’annexer Jérusalem mais aussi toute la Cisjordanie dans sa totalité. Tout est dit. Ce pur produit de l’enseignement du grand rabbin Zvi Yehouda Kook, défendait l’idée que chaque millimètre  de la Cisjordanie d’al Khalil (Hébron), en passant par Naplouse, Jéricho, à Jénine dans le nord, appartenait aux Juifs. De l’effervescence latente qui bouillonnait dans les yesheva (écoles religieuses juives) depuis longtemps,  le courant  messianique prit une ampleur politique considérable avec la guerre de 1967, et se déclara pour mission de repeupler les terres de la Torah, sans aucune concession ne soit faite aux Palestiniens. Comme on peut l’imaginer, les partisans sont évidemment  et violemment contre la création d’un Etat palestinien.  Déjà, dès 1948, ils avertissaient David Ben Gourian à ne pas se prononcer favorablement à la proclamation d’un Etat palestinien, conformément à la décision des Nations Unies.

A la mi-août 1967, toujours le rabbin/général Shlomo Goren qui ne faisait que selon son bon vouloir, revendiquait le Mont du Temple, c’est-à-dire l’espace du dôme du rocher ou de la mosquée d’al Aqsa. Il s’était alors rendu, avec de nombreux élèves des écoles religieuses, sur l’esplanade de la mosquée dans laquelle ils rentrèrent sans retirer leurs chaussures. Yitzhak Rabbin et Ben Gourian n’approuvèrent pas cette provocation. Pour le déloger, il fallait l’intervention directe de Moshé Dayan, ministre de la défense. Au moment d’évacuer la mosquée, Shlomo Goren avait déclaré que  les Juifs reprendront un jour ou l’autre ces lieux. 

La technique des messianiques : créer des tensions et obliger l’Etat à faire des compromis

Un autre rabbin, appelé Moshé Levinger, peaufina la technique du harcèlement qui consiste à occuper un lieu sur lequel vivent des familles arabes, et susciter des tensions qui obligent le gouvernement à intervenir et à trancher en leur faveur, en accédant à une partie de leur objectif. Mais l’opération d’occupation était souvent appelée à être renouvelée, pour acquérir l’autre partie de la terre voulue initialement. C’est la technique qui a permis de déloger de nombreux palestiniens de leurs terres, avec la complicité de l’Etat, au vu et su de tout le monde. 

Moshé Levinger, accompagné de Hanan Porat, un rabbin aussi farouche que lui, et  d’une soixantaine de personnes, avaient obtenu, en aout 1968, l’autorisation de séjourner à al Khalil (Hébron). Ils avaient loué des chambres à l’hôtel Park qui appartenait à un Arabe, Faiz Kawasmek. Après avoir célébré la Paque juive (Pessah) et visité le tombeau des Patriarches, les messianiques ne voulaient plus repartir. L’affaire a pris une tournure bien plus compliquée.  Des tensions importantes avec la population palestinienne avaient éclaté.  Pour régler le problème, le premier ministre de l’époque, Levi Eshkol, a accepté finalement la construction d’une ville juive à l’Est du caveau des Patriarches, c’est Kyriat Arba.  La technique messianique a fonctionné à merveille. Ils s’installent par surprise dans un lieu sur lequel vivent des familles « arabes » (palestiniennes), pour y prier. Ils refusent ensuite de quitter les lieux, en invoquant des motifs religieux. Ils obligent l’Etat à intervenir et trouver un compromis, en créant une petite école sur les lieux. Pour calmer la situation, l’Etat accède à une partie de leur demande, le seconde partie  se ferait  généralement lors de la prochaine tension et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ils obtiennent la totalité de leur projet d’occupation. Une technique bien rodée qui fut fructueuse, et continue à l’être, avec l’appui de l’Etat.

La naissance du mouvement Goush Emounim 

Au début années 1970, les rabbins Hanan Porat et Moshé Levinger créèrent, avec d’autres, un mouvement religieux nommée Goush Emounim (le mouvement ou le parti des fidèles), qui a pesé fortement sur la vie politique en Israël. C’est ainsi qu’en juin 1974, les partisans de ce mouvement avaient pris d’assaut Naplouse, dans la partie nord de la Cisjordanie, pour créer une implantation. Ariel Sharon (futur premier ministre) était parmi eux et c’est lui qui avait négocié avec Yitzhak Rabbine, alors premier ministre, l’issue de cette crise. Le  gouvernement accéda à une partie de leur demande et Goush Emounim finit par créer l’implantation d’Eilon Mozeh. 

Le 25 novembre 1974, des centaines de volontaires de Goush Emounim rentrèrent à Sebastia, un village au Nord de Naplouse. Cette fois ci, ce n’était pas Ariel Sharon qui était avec eux, mais Ehoud Olmert, le futur premier ministre du parti Kadima. Autrement dit, le passage par les messianiques est très important pour espérer être élu un jour premier ministre. Devant la pression, Yitzhak Rabbine céda aux religieux et permis à des nombreuses familles juives de s’installer à Sebastia. Ce même Rabbine écrivait plus tard que Goush Emounim était un cancer dans la vie israélienne. Naturellement, Rabbine perdit les élections en mai 1977, au profit de Menahem Begin qui arriva avec un discours extrêmement favorable au projet messianique de Goush Emounim. En se rendant à la Yesheva (école religieuse juive) du grand rabbin Zvi Yehouda Kook, il déclara que la Cisjordanie est une terre israélienne et parlait désormais beaucoup plus de Juifs que d’Israéliens. Il donna l’impression que l’annexion de la Cisjordanie était pour demain, lançant les messianiques dans une course effrénée de recensement de tombeaux. Alors, les lieux de mémoire juifs avaient fleuri partout, au point tel que les choses avaient tourné au ridicule quand le tombeau d’un Imam du 19ème siècle, fut déclaré comme étant celui de Joseph (Youssef). Les travaux scientifiques avaient fini par les désapprouver. 

Menahem Begin se retourna cependant contre les messianiques, en opérant, en 1977, un tournant dans sa politique avec ses voisins arabes immédiats, sous l’impulsion du président américain Jimmy Carter. Il accepta de négocier la rétrocession d’une partie du Sinaï à l’Egypte et du Golan à la Syrie, mais sans revenir aux frontières d’avant 1967.  Les messianiques n’apprécièrent pas ce retournement de Menahem Begin, d’autant plus qu’il avait fait savoir qu’il n’approuvait plus le projet de création de douze nouvelles colonies. Le clou fut enfoncé lorsque Begin rencontra secrètement Anouar Sadate, le président égyptien, qui se rendit à Tel Aviv, le 19 novembre 1977.

L’idéologie de Goush Emounim, un fond constant  

Fondé en février 1974, le mouvement de Goush Emounim n'a pas été officiellement dissous, mais son influence et son activité ont évolué au fil des ans. Certains de ses membres ont continué à être actifs dans la promotion des colonies et de l'implantation juive en Cisjordanie, tandis que d'autres ont poursuivi des engagements politiques et religieux indépendants. Ils ont infiltré les partis traditionnels  de droite dure  et, plus particulièrement, le parti du Likoud et restent très influents dans les grandes décisions, comme c’est le cas du gouvernement israélien actuel. Leur idéologie a influencé énormément le récit ou le roman national israélien sur plusieurs points. Tout d’abord, ils ont fait de l’histoire du peuple hébreu un droit et un titre de propriété. Ensuite, le Mont du Temple qui comprend l’espace de la mosquée d’al Aqsa, est, pour eux, juif aussi bien en haut qu’en bas. Enfin, la terre est plus importante que la notion du peuple d’Israël, ce qui ouvre la voie à une colonisation malgré les interdictions. En vertu de ce principe, un Arabe israélien a le droit d’acheter un appartement du deuxième ou troisième étage mais jamais en rez-de-jardin, parce que la terre appartient aux Juifs. Leur programme a fini par gagner partiellement les couches de la société qui leur étaient hostiles, car le récit national passe par l’école.

Cette synthèse  historique raconte comment, depuis 1967, les messianiques ont mis en place la technique de colonisation des terres sur lesquelles vivent des Palestiniens. Il faut cependant être prudents dans le regard que l’on doit poser sur les événements car ils sont précisément très graves et peuvent entraîner  à des  dérives que l’on ne peut maîtriser. L’ignorance  conduit à la systématisation, à la confusion voire même à la radicalisation.  C’est bien d’être informé et de s’informer, mais il est aussi prudent de ne pas verser dans le simplisme, car le but est que les Palestiniens puissent créer leur propre Etat. Ainsi, lorsqu’on aborde un sujet comme le nôtre, il faut avoir à l’esprit que de nombreuses personnalités israéliennes tant politiques, intellectuelles, que religieuses expriment d’importantes réserves, des critiques envers le messianisme, les rejettent et luttent pour les droits des Palestiniens à disposer d’un Etat.

Tout au long de sa vie Uri Avnery, avant sa disparition en 2018,  avait lutté contre le messianisme religieux dans ses écrits et a formulé des inquiétudes quant à son impact sur la société israélienne et son avenir même. Le journaliste Franco-israélien, Charles Enderlin, l’auteur de nombreux livres, notamment « au Nom du Temple », dans lequel il décrit toute la stratégie des messianiques religieux et leur influence sur les politiques. Cet homme a fait preuve d’un grand courage et honnêteté intellectuelle qui lui ont valu beaucoup de difficultés dans sa vie quotidienne. C’est aussi lui qui a réalisé le reportage, qui montrait les images du jeune garçon, Mohamed el Dura, et son père se protégeant derrière un muret. Un reportage qui a été largement diffusé dans le monde entier et provoqué une indignation internationale.

Enfin, il y a aussi cette communauté de Mea Sharim,  un quartier enclavé de Jérusalem où vivent des religieux ultra-orthodoxes antisionistes et pro-palestiniens. Nombreux sont donc les Israéliens qui aspirent à la paix, avec deux Etats, l’un à côté de l’autre. Il est important de reconnaître cette diversité d'opinion, et d’éviter d’avoir une vision globalisante et réductrice du problème et construire avec ceux qui veulent la paix dans la justice. L’histoire a montré, par le passé, que les idéologies fondées  sur la religion  conduisent assurément à l’échec parce qu’elles réduisent des problématiques politiques et culturelles complexes à une simple croyance. Or, la seule région du  monde, qui peut faire pression sur le gouvernement israélien, à l’instar de l’Occident, a terriblement échoué dans l’appréciation générale du conflit israélo-palestinien actuel en fermant les yeux sur des violations des droits internationaux.

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