Nous sommes là bien loin du merveilleux Baisers Volés de François Truffaut. Vous découvrirez un peu plus loin que les baisers ont été payés.
Vous connaissiez déjà Homo Œconomicus, ce concept-représentation théorique du comportement de l'être humain, à la base de la philosophie néolibérale utilitariste et de son application économique : Homo Œconomicus est rationnel ; il utilise au mieux ses ressources pour en maximiser profit et utilité.
La somme des utilités des individus d'une société représentant le bien-être social. Et si le marché est entièrement libre, la concurrence libre et non faussée, alors est atteinte l'efficience de la société de marché.
C'est en fonction de cette ligne directrice fondamentale, l'efficience du marché, que mène aujourd'hui sa politique – et avec le succès que vous lui connaissez – le CEO (Chief Exécutive Officer) de la Maison France, CEO, cette nouvelle formulation de l'ancien terme Président de la République. Mais, that is an other question.
À côté d'Homo Œconomicus, heureuse époque de la parité et de l'égalité des genres, se fait jour aujourd'hui son pendant et alter ego, Mulier Œconomica. La Femme Économique, n'allez pas entendre là la femme de ménage ou la nounou à bon marché dont vous réglez les émoluments à l’aide de Chèque - Emploi - Service, ni l'hôtesse de caisse sous-payée de votre supérette, voire la prostituée croisée aux heures sombres sur les trottoirs des Grands Boulevards.
Non ! Mulier Œconomica aussi, comme Homo Œconomicus, est rationnelle et utilise au mieux ses ressources pour en maximiser l'utilité et profit.
Une enchère conclue à 1,2 millions d'euros, voilà le montant déboursé, le mot est-il le bon, par un banquet de Wall Street, pour s'offrir, la chose était en vente sur le site Cinderella Escorts, s'offrir la virginité de Jasmine, une jolie parisienne de 20 ans.
Aujourd'hui, les vierges ne sont plus des vestales. Elles font du business.
(Une vestale, du latin virgo vestalis, était une prêtresse de la Rome Antique dédiée à la divinité Vesta. Les vestales choisies dès l'âge de 6 à 10 ans, accomplissaient un sacerdoce de 30 ans durant lequel, vouées à la chasteté, symbole de pureté, elles veillaient et entretenaient la flamme sacrée du foyer du Temple de Vesta situé sur le Forum romain. Toute relation sacrilège était punie de mort : la vestale coupable fouettée nue puis enterrée vive, son amant flagellé à mort par le Grand Pontife.)
« O tempora, o mores ! » Là n'est pas aujourd'hui heureusement le sort réservé à Jasmine et à son banquier.
Quant à Cinderella Escorts, le site où fut noué, non cette idylle, mais ce lucratif marché, il poursuit honorablement ses activités, affirmant avoir agréé 400 candidatures de vestales sur 20 000 proposées ces deux dernières années. Tout est ici respecté, concurrence libre et non faussée, bien-être social et efficience de marché. N'est-ce pas là l'essentiel, chers lecteurs.
Interrogée par The Mirror, Jasmine a assuré n'avoir aucun regret. « Ma virginité était importante, mais nous croulions sous les dépenses. Une maison, une voiture, tout cela coûte très cher. » Contactée par Libération, Rose, 21 ans, autre jolie commerçante, a répondu : « Je fais ça pour m'aider à payer mon université et mon master. »
Adepte comme vous de la Société de Marché, mais n'ayant jamais songé à toutes ces extraordinaires et merveilleuses implications, soucieux de comprendre le sens et la portée de tels événements, nous avons interrogé, aura-t-elle éclairé notre lanterne, la sociologue féministe Brigitte Macho, auteure de cet ouvrage encore confidentiel et que nous ne manquons pas de vous recommander, Tu seras une femme, mon fils.
Brigitte Macho, en tant que féministe, n'êtes-vous pas révoltée ou, sans aller jusque-là, au moins réprobatrice ? Vendre sa virginité !
Non cher ami ! J'y vois là une simple et toute légitime réappropriation de son corps par la femme. Si elle veut en tirer profit, pourquoi pas ? Elle vend quelque chose qui lui appartient, elle en dispose, c'est en cela que je trouve que c'est une position féministe. Est-elle aussi celle du missionnaire, je parle de la position, c'est évidemment une autre question.
La nouvelle morale de notre temps n’est-elle pas : « Dieu vient en aide à ceux qui s’aident eux-mêmes ». Rentabiliser une chose qui n'a que la valeur que l'on veut bien lui donner est très intelligent et très émancipateur.
Mais Brigitte Macho, nous sortons là, peut-être à jamais, du fond des âges et de millénaires, à travers quasiment toutes les civilisations, de millénaires de sacralisation de la virginité. Certes, c'est là un des effets bienheureux de la société de marché, mais tout de même ! Même notre valeureux Chief Executive Officer (CEO) n'avait pas pensé à inscrire la chose à son programme électoral du Printemps 2017.
Sacralisation, sacralisation, vous avez dit sacralisation ! Il serait temps d'en sortir. Je ne vois pas pourquoi la vierge serait sacralisée, alors que le puceau est en général ridiculisé.
Mais je suis cependant attentive et un brin perplexe. Cette valeur financière ne va-t-elle pas redonner une aura à la virginité ? Si cela rapporte tant, c'est que cela a de la valeur. L’hymen en Bourse ? Nous n'en sortons pas. Je crains, vous me pardonnerez la formule, est-elle de circonstance, que nous soyons là devant le Serpent qui se mord la queue, cette expression dont le sens est tourner en rond en s'enfermant dans un cycle dont on ne peut sortir, n’y voyez là aucune allusion graveleuse.