(Siège du PCF - Place du Colonel-Fabien - Paris 10° 1er Décembre 2016)
Pierre Georges, passé à la postérité sous le nom de Colonel Fabien, avait choisi la rupture. Le 21 Août 1941, à la station Barbès- Rochechouart, au plus profond de la nuit de l'Occupation, pour choisir la rupture, il fallait tirer. Il a tiré deux balles.
(L'attentat de la station métro Barbès est le premier commis par la Résistance à Paris. Un officier de la Kriegsmarine, l'aspirant Alfons Moser, est exécuté de deux balles sur le quai de la station. Pierre Georges et ses camarades avaient décidé en abattant de sang-froid un officier de l'armée d'occupation de signifier que la France refusait la Collaboration de Vichy. La scène de l'attentat est évoquée et représentée dans le film de Costa-Gavras, Section Spéciale, tourné en 1974. C'est un des seuls films français, avec L'Armée du Crime, de Robert Guediguian, en 2012, à mettre en avant l'héroïsme de la résistance communiste. Le plus souvent, la glose des commentateurs tourne autour de la signature du Pacte germano-soviétique par Georges Marchais lors de son séjour au STO, ou encore de la demande d'autorisation de parution, en Juillet 1940, faite par le journal L'Humanité aux autorités d'occupation. C'est tellement plus marrant !)
Qui était Pierre Georges ? Il avait 20 ans en 1941. Engagé volontaire à 17 ans dans les Brigades Internationales, il avait caché son âge, il était déjà doté d'une solide expérience militaire lorsqu'il rejoint, en 1943, les FTP, organisation armée de la Résistance communiste. Il devient ainsi le Colonel Fabien. Intégré, après la Libération de Paris, dans l'Armée Française Libre, sous les ordres du Général de Lattre, il participe aux combats de reconquête de la France. Il trouve la mort le 27 Décembre 1944, à la veille de franchir le Rhin, tué par l'explosion d'une mine qu'il était en train d'examiner avec ses officiers. Certains historiens doutent du caractère accidentel de l'événement qu'ils mettent en rapport avec la hantise du Haut État-major : bientôt un général communiste dans l'armée française.
Mais revenons sur la Place du Colonel. 1er Décembre 2016. Il y a moins d'une semaine, les militants du PCF consultés sur l'orientation politique de leur campagne présidentielle et législative 2017 et le nom du candidat qu'ils soutiendraient pour la porter, ont choisi à la majorité, courte majorité, moins de 55 %, le nom de Jean-Luc Mélenchon.
C'est là le motif de notre visite aujourd'hui auprès de Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, dans son bureau, au cinquième étage du Siège de son parti, Place du Colonel-Fabien.
(Œuvre de l'architecte Oscar Niemeyer, l'immeuble et sa coupole sont depuis 1971 le siège du PCF. Situé Place du Colonel-Fabien, le lieu porte sémantiquement les mêmes initiales, celles du PCF et celles du Colonel Fabien, hommage symbolique au jeune résistant mort pour la France.)
L'accueil de Pierre Laurent est cordial. Nous sommes venus lui poser la question du sens de son soutien et de celui de son parti à la candidature du leader de France Insoumise. Ainsi que celle des conditions dans lesquelles ce choix fut acquis, rejeté d'abord par les cadres de la Convention Nationale, puis adopté, trois semaines plus tard, par le vote à la base des militants. Dans les deux cas, à une courte majorité, 55 %. Contradiction ? Peut-être. Nous allons essayer de comprendre.
Pierre Laurent s'attend à nos questions. Il est serein, attentif, comme à l'accoutumée, soucieux d'expliquer la cohérence de ce choix qu'il avait d'ailleurs préconisé. Peut-être un peu tard, et ce flottement a pu être préjudiciable. Nous le devinons prêt à s'en expliquer avec la plus grande sincérité.
Au mur de son grand bureau, la reproduction de la célèbre Joconde de Marcel Duchamp.
Agrandissement : Illustration 4
(Peinte en 1919, elle fut baptisée parodiquement par son auteur L.H.O.O.Q., homophone du « look » anglais, et surtout, scandale, allographe que l'on peut prononcer « elle a chaud au cul ». Vous ne le saviez pas, un allographe est une suite de lettres n'ayant de sens que si celles-ci sont prononcées les unes après les autres. L'original de ce morceau d'anticonformisme est propriété du PCF, cadeau du poète Louis Aragon qui l'avait lui-même reçu de Marcel Duchamp. L'œuvre est placée en dépôt, à l'attention du plus vaste public, au Centre National Georges Pompidou.)
Pierre Laurent, ces référents symboliques autour de vous sont très forts : le Colonel Fabien, l'homme de la rupture, et Marcel Duchamp, l'anticonformiste et le surréaliste radical. Faut-il voir là une des clés de votre soutien, de celui de votre parti, au candidat de la France Insoumise ? Mais alors pourquoi cette relative ambivalence, cette contradiction entre le choix des cadres de la Convention Nationale, ce qu'il est convenu d'appeler l'appareil, et celui des adhérents et des militants de base ?
C'est ici, dans ce bâtiment que nous a légué Oscar Niemeyer, nous venions de l'inaugurer, que fut signé en 1972 entre le PCF, le PS et le MRG, le Programme Commun de Gouvernement de la Gauche.
Tentative enfin aboutie de reconstruire, 40 ans plus tard, l'alliance du Front Populaire de 1936. Cette matrice stratégique, celle de l'Union de la Gauche, en dehors de la période de la Résistance ou notre concept de rassemblement était celui de l'union des forces patriotiques, cette Union de la Gauche est parvenue aujourd'hui, certains pensent depuis longtemps, parvenue à ses limites, dynamitée de l'intérieur par la conversion de la Social-Démocratie au Social-Libéralisme.
Nous sommes à une période cruciale. Une nouvelle Union de la Gauche peut-elle renaître ? Ce concept est-il dépassé ? Et s'il l'est, quel nouveau rassemblement majoritaire de notre peuple lui substituer ?
Pardonnez notre insistance, Pierre Laurent. Mais nous revenons sur les critiques développées par bon nombre de vos camarades quant au style, aux méthodes de Jean-Luc Mélenchon, aux divergences programmatiques, voire théoriques, celles touchant à la question du rassemblement populaire. Tout ceci n'est pas mince certes, mais enfin, en 1965 et en 1974, vos prédécesseurs Waldeck Rochet et Georges Marchais n'étaient pas aussi bégueules avec François Mitterand, le candidat commun de la Gauche à ces élections présidentielles.
François Mitterrand, le « vichysso-résistant » décoré de la Francisque ; François Mitterrand, le Ministre de la Justice de Guy Mollet, de Février 1956 à Juin 1957, le ministre qui inscrivit et signa à 45 reprises au bas du dossier de recours en grâce des condamnés à mort présenté au Président de la République René Coty, qui inscrivit à 45 reprises « avis défavorable au recours » ; le Ministre de la Justice qui, en Janvier 1957, signait l'ordonnance de la Loi Martiale en Algérie et des pleins pouvoirs au général Massu et à la 10e Division Parachutiste ; le François Mitterrand qui, le lendemain même de la signature du Programme Commun de Gouvernement de la Gauche, en Juin 1972, devant l'Internationale Socialiste réunie en congrès à Vienne, déclarait : « Notre objectif fondamental, c'est celui de refaire un grand Parti Socialiste sur le terrain occupé par le PCF ; sur 5 millions d'électeurs commûnistes, 3 millions peuvent voter socialiste. »
Alors pourquoi, Pierre Laurent, cet affichage de réticences, qui de plus ne pèsent pas lourd, vis-à-vis de JLM ?
Voyez-vous, le gros problème pour certains de mes camarades va, probablement s'ils n'en sont pas tout à fait conscients, au-delà de la question de l'homme. Ils ne peuvent envisager notre avenir politique au sens large, et donc également matériel, que dans le cadre de l'Union la Gauche.
La Ve République, avec ses institutions, l'élection présidentielle, mais aussi toutes les autres, locales et nationales, a mis en place une logique de bipolarisation incontournable. L'accès aux mandats électifs est subordonné immanquablement à une alliance majoritaire de deuxième tour. Regardez a contrario l'incapacité du FN, malgré des scores élevés de premier tour, à conquérir ou des mandats électifs. Il n'a pas d'alliés de deuxième tour.
Nous nous sommes laissés enfermer dans cette bipolarisation. En l'absence de mode de scrutin proportionnel, elle nous enferme dans l'Union de la Gauche. Et, c'est devenu dramatique, avec cette dernière nous concourrons nous-mêmes au renforcement de la bipolarisation. Je vous dis cela pour vous faire comprendre le tragique de notre situation : dénoncer les institutions et leur mode de scrutin, tout en comptant sur eux pour notre survie politique et matérielle, la conquête de mandats électifs.
J'en suis moi-même un exemple, pour ne pas dire un produit. Un sénateur communiste est élu par des grands électeurs socialistes. Peut-être m'est-il d'ailleurs promis le destin tragique de mon prédécesseur Robert Hue, lui aussi encore sénateur, et totalement satellisé avec son groupuscule MDP (Mouvement des Progressistes), satellisé par le PS. Je me refuserai de toutes mes forces à cette déchéance.
Merci, Pierre Laurent, pour votre franchise. Cruelle, elle vous fait cependant honneur. Renversez, vous aussi, renversez la table ! Retrouvez l'esprit de Rupture du Colonel Fabien ! Sans oublier, et nous lui désignons la Joconde qui nous regarde, l'anticonformisme ravageur de Marcel Duchamp.