(De notre envoyé spécial J. Casanova à Savannah - Géorgie - États-Unis)
Sa famille et ses derniers amis, il avait 93 ans, viennent de l'accompagner pour sa dernière promenade terrestre, de sa maison de retraite au cimetière de Savannah. Funérailles dans l'intimité et sans pierre tombale, c'étaient ses dernières volontés ! Et pour nous, représentants de presse, de la part de ses proches, pas de déclaration !
93 ans, dont presque 70, à porter, avec ses 11 compagnons d'équipage, la lourde charge, peut-être la plus lourde qu'ait connue l'Histoire de l'Humanité : survivre après avoir précipité, en un instant, 150 000 hommes, femmes et enfants dans un océan de lumière, de chaleur et de feu. Hiroshima, 6 Août 1945, 8h15.
Les exécutant d'un meurtre de masse à une telle échelle, même dans la guerre, sont aussi des victimes. Car sain et sauf, au retour du vol au-dessus d'Hiroshima en cendres, un chaudron de goudron noir et bouillant, Théodore Van Kirk s'était dit soulagé, ne réalisant pas encore quelle croix il allait porter jusqu'à son dernier souffle.
Fêté, décoré dans un premier temps, puis quittant l'armée un an plus tard et vite anonyme, il a passé sa vie à essayer d'oublier, son propre fils Tom, rapporte The Guardian, n'ayant eu connaissance de l'histoire de son père qu'il y a une dizaine d'années.
Il s'appelait donc Théodore Van Kirk, dit "Le Hollandais". Il a beaucoup souffert. Paix à son âme !
Chers lecteurs, ce long et nécessaire préambule pour introduire une idée forte: "Soldat courageux et discipliné, citoyen honnête et respectueux de l'Etat démocratique, si l'ordre est criminel, écoute ta conscience, elle seule ! Sois un insoumis ! Tu auras des comptes à rendre, non aux généraux, non aux Présidents, mais aux autres hommes, donc à toi-même."
Théodore Van Kirk et ses 11 compagnons, exécutants et victimes. Harry Truman, son Secrétaire d'Etat à la Guerre et le Chef d'Etat-Major Général, criminels de guerre.
Car si la fiction historique et la propagande soutiennent toujours que le feu atomique a raccourci la guerre et épargné de nombreuses vies, les travaux historiens de ces 50 dernières années versent au dossier de nombreux éléments :
(1) Le projet Manhattan lancé par le Président Roosevelt en 1942, pour se doter de l'arme qui prendrait trois ans plus tard le nom d'atomique, faisait suite aux informations des services secrets américains et britanniques selon lesquelles Hitler et les savants nazis travaillaient à un projet identique depuis plusieurs années.
(2) L'Allemagne nazie capitulait le 8 Mai 1945, alors qu'à Palo Alto (désert du Nevada), la dernière main et les derniers essais de Manhattan étaient encore en cours.
(3) Le pacte secret passé à Yalta, en Février 1945, entre Staline et un Roosevelt pressé de voir capituler le Japon, prévoyait que 3 mois au plus après la capitulation allemande, l'Armée Rouge devrait retourner ses forces du front occidental et, au terme d'un transfert de plusieurs milliers de kilomètres, déclarer la guerre et attaquer le Japon. Ce qu'elle fit le 2 Août.
(4) S'il est évident que les 2 bombes du 6 et du 10 Août (Hiroshima et Nagasaki) n'ont pu que précipiter la capitulation, force est de reconnaître que, même sans les bombes, le Japon était déjà le dos au mur avec la hantise de Hiro Hito, l'entrée au Japon des troupes soviétiques et la chute de la dynastie impériale. La capitulation rapide devant les États-Unis était pour lui la seule issue. Les mêmes États-Unis, craignant toute dérive communiste dans l'Empire du Soleil Levant, avaient fait le choix du maintien de la dynastie sur son trône. Guerre raccourcie donc, rien n'est moins sûr ! Elle était déjà terminée.
(5) C'est à Potsdam (Allemagne), en pleine conférence interalliée (EU-GB-URSS) que le Président Truman donna l'ordre définitif de larguer Little Boy sur Hiroshima, abattant ainsi sur le tapis vert de la négociation avec Staline, au cœur de l'Allemagne vaincue, le joker de la suprématie militaire complète. Coût de la démonstration : H + N = 250.000 morts civils.
Et c'est sur ce dernier point que nombre d'historiens concluent : 250.000 morts civils, carte maîtresse pour Truman, pour montrer à Staline, allié du moment et déjà pressenti rival, qui était le maître ! On ne peut pas donner meilleure définition du crime de guerre.
Nous laisserons le dernier mot à Léo Szilard, compagnon de recherche d'Albert Einstein : "Si les Allemands avaient largué les bombes atomiques sur nos villes, nous aurions qualifié ce geste de crime de guerre. À Nuremberg, nous les aurions condamnés à mort et pendus." Jugement sans concession mais entàché de naïveté et d'idéalisme, faiblesse et grandeur de nos savants. Car si l'Allemagne nazie avait utilisé le feu atomique, elle aurait gagné la guerre. Et celui qui gagne la guerre n'est jamais jugé pour crimes de guerre.