Faillite a 41 milliards de dollars...
... D'un grand producteur d'électricité américain. Energy Future Holdings est victime de sa dette et des gaz de schiste.
(De nos correspondants, Jean Casanova et Stéphane Baudelaire - Wilmington - Delaware USA)
Stupeur à Wilmington, où nos deux correspondants séjournaient, travaillant à une grande rétrospective que notre journal prépare pour le 60e anniversaire de la disparition de Clifford Brown, grand trompettiste de jazz, justement enfant de Wilmington, ami et compagnon d'enregistrement des célèbres Art Blackey (avec les Jazz Messengers), Miles Davis, Max Roach et Sonny Rollins. Clifford Brown disparu tragiquement, la nuit du 25 juin 1956, au côté de Richie Powell, dans un accident de voiture qui laissait orphelines nos jeunes années de l'après-guerre.
Oui stupeur car, sans connexion aucune avec la mémoire du merveilleux Clifford, dans la patrie des anciens Hurons et Mohicans, ces mêmes bons sauvages de nos philosophes, à Wilmington la terre tremblait : EFH déclarait faillite.)
Un petit « Enron » par l'ampleur. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la faillite de l'électricien texan Energy Future Holdings (EFH) qui détient 41 milliards de dollars d'actifs. Le groupe qui dispose de plusieurs centrales thermiques et d'une centrale nucléaire dans le Texas, a demandé, mardi 29 Avril, sa mise sous protection de la loi américaine sur les faillites à un tribunal du Delaware.
Il s'agit de la deuxième plus grosse faillite dans le secteur de l'énergie et de la huitième, tous secteurs confondus, aux États-Unis selon le cabinet spécialisé BankruptcyData.com. EFH tombe, victime de son endettement et des gaz de schiste. Alors même qu'il représentait la plus grosse acquisition par effet de levier (leveraged buy-out, LBO) de l'histoire, devant le rachat de RJR Nabisco en 1989 par le fonds KKR. C'est ce même fonds qui s'était allié, en octobre 2007, avec le TPG et le fonds de capital-investissement de la banque Goldman Sachs, GS Capital Partners, pour acheter le groupe -qui s'appelait encore TXU Corporation- pour 45 milliards de dollars, dont 13 milliards de dettes.
Un montant d'autant plus colossal que le timing s'est révélé catastrophique. Rachetée à la veille de la crise financière, la société a très vite été asphyxiée par la chute des prix du gaz naturel, provoquant l'effondrement du tarif de l'électricité et ruinant l'avantage compétitif de ses centrales à charbon.
La ruée sur les gisements de gaz de schiste a provoqué un effondrement du marché. Le cours du million de BTU (British Thermal Units, l'unité de référence) était monté jusqu'à 13,50 dollars en 2008 avant de plonger à 3,60 dollars fin 2013. Les 8 milliards de dollars d'investissements qu'ont réalisé les nouveaux actionnaires n'ont pas pu changer la donne.
La société a commencé à accumuler les pertes, l'empêchant d'honorer les échéances fixées par les créanciers. Même le rusé Warren Buffett s'était laissé prendre au piège, qualifiant ses 2 milliards d'investissements dans la société de « grosse erreur ».
Un plan de restructuration de la dette est en cours de mise en œuvre. Certains créditeurs vont se voir proposer une partie du capital contre l'effacement d'une ardoise de 25 milliards de dollars. « Nous sommes heureux d'avoir le soutien de nos partenaires financiers clés dans le cadre d'une restructuration consensuelle », a assuré le patron de EFH, John Young.
Au terme du plan qui reste à être approuvé par le juge, le groupe devrait, en principe, conserver une ligne de crédit de 11 milliards de dollars pour continuer à fournir l'électricité à ses clients et à payer leur dû aux 9000 salariés du conglomérat.
Au récit de ces palpitantes et pleines de rebondissements aventures, on s'interroge encore sur la frilosité de nos dirigeants à achever la privatisation de notre EDF. Créée en 1946, au lendemain de la Libération, par le ministre communiste de la Production Industrielle Marcel Paul, ce géant mondial, que d'aucuns décrivent comme l'un des plus monstrueux héritages de l'ère soviétique, plus gros producteur et fournisseur d'électricité au monde, comble de la ringardise, tarde encore à achever sa mue en de multiples sociétés concurrentes qui, à l'instar de nos cow-boys de voisins, pourraient installer dans notre paysage hexagonal ces scènes de western capitaliste.