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Toujours tenter, derrière les symptômes, d'identifier la maladie ; derrière les faux-semblants, la réalité (Louis Pasteur).

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Billet de blog 4 mai 2015

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(De notre envoyé spécial Jean Casanova - Riyad - Arabie Saoudite     4 Mai 2015)

           En 1962, le Général De Gaulle, soumettant au peuple français par référendum son projet d'élection du Président de la République au suffrage universel, déclarait : « L'élection présidentielle est la rencontre d'un Homme avec son Peuple ».

   Formule ramassée mais pertinente qui lui avait valu, lors de cette consultation, la plus large approbation, plus de 60 % du corps électoral. Formule méritoire car, en son temps et à deux reprises, en Juin 1940 et en Mai 1958, il avait été l'homme de la situation, et pas de n'importe lesquelles : ramasser la souveraineté nationale piétinée par l'armistice du Maréchal Pétain en 1940 ; trouver une issue à la guerre coloniale que lui laissaient en héritage les politiciens épuisés de la SFIO en 1958.

            Plus de 50 ans se sont écoulés et si cette formule peut encore prétendre à une part de vérité, celle qui donne à l'homme du 2° tour une majorité de 50 % plus une voix, une autre nécessité s'est lentement frayée son chemin, secrète d'abord, évidente maintenant : il existe une présélection pour parvenir au 2° tour.

   Les plus naïfs et les moins instruits s'exclament immédiatement : « Mais oui, c'est bien sûr ! Il y a le 1° tour, et avant le 1° tour, les primaires ». Pauvres grenouilles qui veulent un roi (ranae regem petunt) et ne savent pas que l'on le leur prépare secrètement depuis des années.

           L'oligarchie et ses affidés savent que dans l'urne leur bulletin ne pèsera pas plus lourd que celui du pékin. C'est donc en amont du choix des urnes que se décide pour eux le choix de qui sera retenu à la candidature.  Dire cela ce n'est pas nier l'importance de la qualité intrinsèque des postulants, des partis et appareils politiques qui les soutiennent, ni de l'attractivité de leur programme. C'est dire que tout cela ne serait rien sans la visibilité médiatique.  Or celle-ci, qui la maîtrise ?  De la presse écrite quotidienne et hebdomadaire, des chaînes de télévision généralistes ou d'information continue, qui s'est rendu propriétaire ? Sinon l'oligarchie. 

   Les postulants, eux, ne manquent pas. Brillants, séduisants, talentueux, aptes à battre les estrades, mais surtout à signaler en quoi ils seront les plus aptes, les mieux à même pour faire progresser la grande cause du Libéralisme d'aujourd'hui (celui que les théoriciens politiques nomment l'Ordo- libéralisme) que l'on peut résumer par ce principe : rôle est dévolu à l'Etat d'organiser dans tous les domaines la concurrence libre et non faussée pour la marchandisation généralisée de la nature, de l'argent, du travail et des besoins des hommes.

   Lourd, comme programme ! Et il ne suffit pas d'avoir fait HEC et Sciences-Po. Il faut aussi de la méthode, du savoir-faire, de la constance et être entouré d'équipiers compétents.  Et à travers quelle grille, ces postulants devront-ils faire miroiter leurs talents,  sinon celle de l'appareil médiatique, propriété de l'oligarchie ? 

           Chers lecteurs, je vous sens un peu las, voire un peu perdus après ce long préambule. Et je vois venir votre question : « Pourquoi cette un peu lourde carte postale de Riyad ? »

   Eh bien, nous y venons enfin. Je suis à Riyad, capitale de l'Arabie Saoudite, à 500 km à vol d'oiseau d'Abu Dhabi, capitale des Émirats Arabes Unis, et à moins de 300 km de Doha, capitale du Qatar où nous nous transporterons d'un petit crochet cet après-midi pour la signature du contrat de vente Dassault Aviation - Qatar, contrat de vente de 24 avions Rafale. J'accompagne la délégation de presse française pour cet événement historique à Riyad, évènement que salue ainsi mon confrère de Libération : « Hollande à Riyad. Le président français sera le premier dirigeant occidental à participer demain au sommet du Conseil de Coopération du Golfe, instance réunissant autour de l'Arabie Saoudite, le Koweït, le Bahrein, les Émirats Arabes Unis, Oman et le Qatar. La participation du président français à cette réunion illustre l'intensification des liens diplomatiques, économiques et militaires stratégiques entre Paris et Riyad ». Et il conclut ainsi : « Lune de miel franco-saoudienne ». Le Monde n'est pas en reste avec le titre suivant : « Tapis rouge pour le président français ».

   Tout concorde pour présenter cette invitation d'honneur faite au président français à participer, le premier chef d'Etat occidental, au sommet du Conseil de Sécurité du Golfe, ce club des pétromonarchies, comme ayant un caractère politique et stratégique. A Riyad, capitale de la monarchie championne absolue d'un islam rigoriste et obscurantiste.

           Vous vous demandez bien, chers lecteurs, les raisons d'une telle mascarade : la rencontre du Président de la République Française (définie, dans l'article 1 de sa Constitution, comme laïque, démocratique et sociale) avec ce sextuor théocratico-féodal et fondamentaliste, peut-être le plus rétrograde de la planète en matière de libertés politiques, religieuses et d'opinion. À Riyad, on décapite au sabre en place publique. N'allez surtout pas imaginer un projet secret de conversion au wahhabisme ou un engouement subit pour le keffieh ou le tarbouch. Vous n'y seriez pas.

           Je vous livre ici, en quatre lignes, mon analyse. Pas si originale que cela, d'ailleurs.

  La réorientation, patente depuis quelques années, des grandes visées américaines et de leurs intérêts stratégiques de l'Europe et du Proche-Orient vers le Pacifique et l'Asie pour le « containment » de la Chine montante, ouvre un nouvel espace aux visées des transnationales françaises dont, ne l'oublions pas, le Président est aussi le représentant de commerce en chef. Et, à ce titre, chargé de la difficile fonction de prospection, d'exploration et d'établissement de liens privilégiés avec tous les régimes, quels qu'ils soient. Derrière lui, se pressent en rangs serrés avionneurs, fabricants de TGV et d'automobiles, marchands d'armes, géants bancaires et de la grande surface, géants de la distribution d'énergie et du traitement de l'eau, nucléaro-électriciens, laboratoires pharmaceutiques…

           Vous aurez compris maintenant tout l'intérêt de mon préambule. François Hollande est en campagne aujourd'hui, pas auprès de vous, auprès de l'oligarchie. Il lui démontre avec brio sa capacité et celle de son équipe, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian (surnommé aujourd'hui par le Figaro, le Pèlerin du Golfe), capacité à nouer les contacts, tisser les relations, engranger les contrats. Avec tous ceux qui ont du cash ! Pour cela, le moment venu, il lui sera tenu reconnaissance, ce qui veut dire grand concours et large soutien dans l'accès le plus ouvert et le plus avantageux à la fenêtre médiatique. Et donc peut-être, pré-sélection acquise.

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