(De nos envoyés spéciaux Andrée Bourdieu et Jean Casanova - Siège de la Délégation Départementale de Paris de la Croix Rouge Française - 12, rue Chardin - Paris 16° 4 Juin 2016)
Nous sommes aujourd'hui 12, rue Chardin à Paris, 16e arrondissement, au siège de la Délégation Départementale de la Croix-Rouge Française. Et sur le point d'être reçus par Mme Georgina Lagarde, directrice, à la Délégation, des Ateliers de réapprentissage des savoirs de base.
L'institution est effectivement engagée depuis de longues années dans l'aide aux personnes vulnérables en les soutenant dans l'acquisition des savoirs de base fondamentaux, ceux qui permettent d'éviter le dangereux glissement vers l'isolement ou l'exclusion. Et Dieu sait si la chose est souvent nécessaire dans cet arrondissement si dépourvu de la capitale.
Mme Lagarde, ancienne directrice d'école actuellement retraitée, fait partie de ces nombreuses personnes qui ne se sont jamais résolues à la cessation d'activités, surtout celles tournées vers l'aide et l'éducation d'autrui, et qui ont trouvé dans le bénévolat de la Croix-Rouge raisons de vivre et d'espérer en leur prochain.
Grâce à la mise en place d'ateliers transversaux, Mme Lagarde et ses collaboratrices travaillent au réapprentissage ludique des différents savoirs de base. Ces ateliers s'adressent aux personnes dont la langue maternelle est le français, qui ont été scolarisées mais ont désappris ou mal acquis les compétences de base.
Mme Lagarde a gentiment accepté de répondre à nos questions dans le cadre de notre grande enquête sur le rôle des institutions caritatives dans la lutte contre l'exclusion dans la société française. Elle nous reçoit dans son modeste bureau de la rue Chardin. Derrière elle, le portrait du fondateur, Henry Dunant, et le fac-similé de la Charte du Mouvement avec en lettres d'or, ces principes fondamentaux : Humanité, Impartialité, Neutralité et Indépendance.
Soucieux de ne pas en rester aux souvent peu concrètes déclarations de principes, nous lui demandons, Andrée et moi, de nous relater une de ses heureuses expériences récentes, dans le cadre de ces fameux ateliers de réapprentissage des savoirs de base.
Mme Lagarde, commence gentiment Andrée, cette journée du 4 Juin, a-t-elle été bien remplie pour vous ? Ce travail bien souvent ingrat de réapprentissage des savoirs de base, aujourd'hui, comment s'est-il passé ?
Chère Mme Bourdieu, comme le dit l'adage, « A chaque jour suffit sa peine ». Aujourd'hui, nous pensons avoir été utiles à notre jeune ami Emmanuel M… et également, en conséquence, à la collectivité. Eu égard à sa délicate situation, nous conserverons son anonymat. C'est un principe, dans notre institution. Emmanuel, certes actuellement attaché à de très hautes fonctions au Ministère de l'Économie, arrivait ce matin, désemparé dans nos services, adressé par la permanence sociale du quartier. Il ne savait plus, peut-être l'avait-il oublié, on ne peut avoir la tête à tout, ne savait plus qu'il était assujetti à l'ISF.
Par une démarche ludique, participative et responsable, nous l'avons aidé en conséquence à remplir une déclaration rectificative pour les années 2013 et 2014.
(L'ISF (Impôt de solidarité sur la fortune), ce descendant de l'IGF (Impôt sur les grandes fortunes) établi dans les années 80, institue une contribution obligatoire des fortement nantis à la marche de l'État en matière de Solidarité. Son principe est naturellement l'objet de fortes critiques. C'est bien compréhensible. Nous passerons rapidement sur celles formulées trivialement, « Les pauvres n'ont qu'à se démerder », justifiées par tout ce qu'ont d'odieux selon certains l'obligatoire, le péremptoire et le confiscatoire. Nous aurons cependant une pensée émue pour celles arguant que la Solidarité, ce noble sentiment, ne devrait pas être instrumentée par l'impôt. La Charité existe pour cela. Retenons également celles, pertinentes, arguant de la difficulté pour les humbles gens, soit de connaître qu'ils y sont assujettissables et, si oui, des différents moyens légaux de s'y soustraire. Assertions pleines de bon sens, nous allons le vérifier.)
Mais Mme Lagarde, interviens-je, ne pouvons-nous pas soupçonner une certaine malveillance de l'intéressé ? Être en charge d'aussi hautes responsabilités, au Ministère de l'Économie de surcroît, et ne pas connaître le b,a ba de l'évaluation de son patrimoine, est-ce crédible ?
Vous n'y êtes pas, M. Casanova. Notre jeune ami avait certes gagné et déclaré 2,9 millions d'euros entre 2009 et 2012 par ses activités de conseil à la Banque Rothschild, et l'on pourrait effectivement s'étonner qu'il ait pu déclarer rester sous le seuil de 1,3 millions d'euros de patrimoine net taxable, au-dessus duquel l'on est assujetti à l'ISF. Mais enfin, il menait grand train, achetait souvent des costumes, et vous ne l'ignorez pas, la garde-robe n'est pas comprise dans le calcul du patrimoine ; de plus, vous le savez, il distribuait généreusement force donations à des associations et à des mouvements sportifs de jeunes marcheurs au porte-à-porte. Argent dépensé, argent non accumulé, argent conséquemment non patrimonialisé !
Mais alors, Mme Lagarde, dans cette affaire, où est, trivialement parlant, le lézard ?
(D'où nous vient donc l'expression «Y a pas de lézard », ou encore « Y'a pas de problème » ? A contrario, celle « Il y a un lézard », ou « Il y a un souci » ? Au milieu des années 70, dans le milieu de la musique et des techniciens preneurs de son, le terme de « lézard » désignait un sifflement parasite de la sono obligeant les techniciens à de nouveaux réglages. L'expression Y'a pas de lézard a ainsi fini par signifier Y'a pas de problèmes, la sono marche bien. Le lézard, lui, signifiant le problème.)
Eh bien voilà, M. Casanova ! Insouciance, péché de jeunesse, notre jeune homme n'avait pas intégré à sa déclaration le patrimoine immobilier de son épouse, une somptueuse résidence en bord de mer au Touquet. Or vous le savez, l'ISF s'apprécie en agrégeant le patrimoine du couple, du ménage pour parler fiscalement.
Quoi qu'il en soit, désormais, la chose est corrigée. Lors de notre atelier de réapprentissage des savoirs de base, Emmanuel a scrupuleusement rempli sa déclaration rectificative. Et pour qu'à l'avenir, tout ce fâcheux ne se reproduise plus nous lui avons prodigué quelques conseils : tout d'abord, Emmanuel aurait pu investir dans des PME via un FIP (Fond d'Investissement de proximité), ce qui lui aurait permis de réduire son ISF de 50 % du montant engagé. Et par là même, de soutenir notre économie par un geste citoyen. Certes, l'investissement est bloqué de 6 à 9 ans et il n'est pas sans risques. Mais en tous les cas, c'est un point important, les plus-values réalisées à la sortie du fond ne sont pas imposables.
Merci Mme Lagarde de toutes ces précisions. Nous les recueillons d'autant plus volontiers que, retournement de fortune toujours possible, elles pourraient nous être très utiles, à nous-mêmes, un jour.
Et ce n'est pas tout, prenez note. Emmanuel aurait également pu acquérir la nue-propriété d'un bien immobilier pour en obtenir la pleine propriété au bout de 15 ans. Avantage, la somme investie est sortie du patrimoine taxable.
De toutes façons, nous lui conseillons à l'avenir : afin d'éviter d'être rattrapé par ses propres services, Emmanuel doit impérativement faire appel à un conseiller en gestion de patrimoine.
Autre solution, Mme Lagarde. Et si nous supprimions tout simplement cette contribution dont, nous venons de le voir, l'élaboration est si fastidieuse.