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Toujours tenter, derrière les symptômes, d'identifier la maladie ; derrière les faux-semblants, la réalité (Louis Pasteur).

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Billet de blog 8 janvier 2016

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Toujours tenter, derrière les symptômes, d'identifier la maladie ; derrière les faux-semblants, la réalité (Louis Pasteur).

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Fortuna et virtu. Visite à Nicolas Machiavel.

Des circonstances exceptionnelles, hasards heureux ou malheureux de la fortuna, savoir tirer profit par la virtu (du latin virtus, le courage). Ou, comme le formulait Machiavel, comment, pour prendre, stabiliser et conserver son pouvoir dans l'Etat, le Prince doit faire preuve de virtu, s'adapter au mieux aux aléas et les utiliser.

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(Palazzo Medici - Via Larga, angle de la Via Cavour - Florence - Italie      8 Janvier 1515)

           La fortuna (les circonstances), ce n'est pas le Prince qui la forge. Elle survient ! Sans pour autant être le fruit du hasard. Elle se construit à bas bruit, fruit heureux ou vénéneux de politiques et d'actions entamées et menées de longue date, puis fait brutalement irruption .

   Vous en serez probablement d'accord, chers lecteurs, la tourmente terroriste qui nous surprend en cette année 2015 ne tombe pas du ciel. Elle est en grande partie l'enfant de nos inconséquents engagements extérieurs depuis près de 10 ans dans des aventures exotiques fortement épicées de pétrole et de contrats d'armement. Enfant elle est encore, de l'abandon social et éducatif, sur le territoire national cette fois, depuis presque deux générations, d'une partie de la jeunesse dont une fraction vient de découvrir la drogue dure du nihilisme.

   Voilà pour la fortuna, les circonstances !

           Charge au Prince aujourd'hui, sinon de la combattre, comment d'ailleurs la combattrait-il, toute son action extérieure et intérieure ne concourant qu'à l'alimenter, charge à lui de l'utiliser au mieux pour conserver son pouvoir et en obtenir son maintien aux affaires. Et comment mieux faire, dans cette ambiance de psychose et de peur savamment entretenue par un appareil médiatique qui vient de trouver là le carburant idéal à ses visées manipulatrices et mercantiles, comment mieux faire que de s'appuyer sur la recette longuement éprouvée depuis des siècles : celle du bon Pasteur protégeant ses brebis rassemblées. Ce sera sa virtu.

           Curieux de vérifier cette adéquation et de la soumettre à qui de droit, nous sommes retournés 500 ans plus tôt, à Florence, à la rencontre de Nicolas Machiavel, le célèbre théoricien de la politique et de la guerre. En 1515, au lendemain de l'écriture de son ouvrage qui a traversé les siècles, Le Prince, ouvrage dans la dédicace duquel à Laurent de Médicis, il écrit « oser donner des règles de conduite à ceux qui veulent gouverner ».

   Pour Nicolas Machiavel, plus que l'art de bien gérer la Cité, la Politique est celui de se maintenir au pouvoir dans une situation ouverte à tous les retournements.

   « Si tu sais changer ton caractère quand changent les circonstances, alors ta puissance ne changera point » dit-il en le vouvoyant humblement à Laurent de Médicis. Et de développer : la Fortuna est une force non humaine, bonne ou mauvaise qui intervient dans les affaires humaines. La Virtu, qualité du Prince, est sa disposition d'homme face à cet évènement. Elle est la souplesse : celle de s'adapter aux circonstances pour se maintenir. Quitte à instaurer pour cela le venin de la discrimination parmi ceux qu'il pense être ses sujets.

            Nous venons d'arriver au Palais Medici, aujourd'hui Medici-Riccardi depuis son rachat en 1659 par la riche famille de négociants Riccardi. Après avoir traversé sa magnifique cour ouverte à péristyle entourée de façades à bossage rustique et de ses originales inginocchiati de finestre, après avoir longé ses longs bancs de pierre, nous sommes conduits à l'étage pour traverser la Capella dei Magi (Chapelle des Mages).

 (La finestra inginocchiata, fenêtre agenouillée, désigne un type d'ouverture utilisée à partir du Cinquecento dans les palais toscans.)

   Nicolas Machiavel nous accueille dans sa cellule située dans un recoin de la Galerie des Glaces. Ne laissant pas voir sa surprise devant notre étrange accoutrement de reporters des temps modernes, il nous écoute pensivement. Notre parallèle, à 500 ans de distance, le laisse cependant longuement songeur quand nous citons le mot de Souverain.

          Nicolas, l'interrogeons-nous, nous vous voyons prendre peut-être quelque distance avec notre comparaison. Ferions-nous fausse route dans cette juxtaposition ?

   Dans le chapitre IX du Prince, nous répond-il, chapitre intitulé De la Principauté Civile, je traite de la manière de parvenir à l'autorité suprême pour un bourgeois d'une République devenant Prince par la faveur de ses concitoyens, et cela sans employer ni violences, ni crimes, en général par une heureuse finesse jouant de deux sortes d'humeur : celle du peuple qui ne veut pas être opprimé par les grands et celle des grands qui veulent continuer à commander et opprimer. L'aspirant bourgeois à la Principauté civile parviendra à ses fins en jouant de ces humeurs antagonistes. En faisant, par exemple, un discours au Bourget, il gagnera la faveur du Peuple.

   Mais, la comparaison s'arrêtera là, car dans nos Républiques de l'Italie du Cinquecento, le Prince ou le Souverain, enfin celui qui exerce le pouvoir suprême, qu'il l'ait conquis par la violence ou la faveur, est le véritable Souverain.

   Pour ce qui se rattache, par contre, à votre, pardonnez-moi, république dégénérée de 2015, si, en droit, il est écrit que le Souverain est l'instance qui détient le pouvoir politique, qu'il s'agisse du Peuple ou de son représentant, une Assemblée ou un Président, la lucidité commande de voir qu'aujourd'hui tout ceci n'est plus qu'une fiction. Votre véritable Souverain, non en droit, mais dans les faits, est l'oligarchie financière.  Par quelle consanguinité a-t-elle colonisé l'Etat, je ne saurais répondre. Mais pour elle, point besoin de virtu, son caractère souterrain la met à l'abri, c'est un paradoxe, de la fortuna.

   Quant aux artifices dont vous me parlez, ce sont tout simplement ceux d'un locataire qui, à l'échéance du bail, trouvant la maison confortable et la table bien servie, ne veut pas rendre les clés.

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