(De nos envoyés spéciaux Jean Casanova et Samantha Ekberg - Centre Hospitalier National d'Ophtalmologie des Quinze-Vingts - 28, rue de Charenton - Paris 12° 10 Mai 2015)
L'Institut de Veille Sanitaire (IVS), établissement public rattaché au Ministère de la Santé, vient de tirer la sonnette d'alarme. Chargé de la surveillance et de l'observation permanentes de l'état de santé de la population, il vient de lancer, adresse sans délai au Ministère de la Santé, une alerte sanitaire. Motif : la recrudescence en flèche ces deux dernières années d'un trouble sévère, caractérisé par l'altération de la perception visuelle des couleurs dans la population âgée de plus de 18 ans. Sans attendre qu'aient pu être identifiés l'origine, les mécanismes et les éventuelles pathologies associées de ce mal mystérieux, le comité d'experts en charge du dossier vient d'en décider l'appellation officielle : dyschromatopsie, terme médical proposé par l'Académie de Médecine pour désigner l'ensemble des troubles affectant la vision des couleurs.
Dyschromatopsie, de dys (difficulté), khrôma (couleur) et opsis (vue).
L'affaire est très sérieuse. Les estimations de l'IVS seraient qu'actuellement près de 60 à 70 % de la population âgée de plus de 18 ans serait atteinte de cette dyschromatopsie. Et ceci, dans une forme particulière très différente du daltonisme, cette anomalie héréditaire classée comme infirmité légère et responsable de la confusion entre le rouge et le vert.
Décrit, d'après l'observation sur lui-même, par le physicien John Dalton en 1798, dans une communication célèbre « Faits extraordinaires à propos de la vision des couleurs », le daltonisme a pu être mis depuis en relation avec une déficience d'origine génétique de plusieurs variétés de cellules rétiniennes. Curiosité dont Darwin nous donne probablement l'explication, le daltonisme est plus fréquemment retrouvé sur les côtes italiennes qu'à l'intérieur des terres. L'hypothèse darwinienne est qu'il donnerait un avantage aux pêcheurs, leur permettant de mieux distinguer les poissons par une plus fine discrimination des tons bleu-gris.
Oui chers lecteurs, nous sommes là bien loin du daltonisme, à la fréquence peu élevée dans la population générale, infirmité relativement légère et n'interdisant pas la vie normale, en dehors de l'accès à certains métiers particuliers, tels que pilote de ligne, contrôleur aérien ou ferroviaire ou artificier-désamorceur de bombes (en raison de la nécessaire distinction entre les fils blancs et les fils rouges).
L'alarme déclenchée par l'IVS est beaucoup plus préoccupante en raison du caractère extensif du phénomène, menaçant, on le craint maintenant, toutes les populations adultes des villes, mais également des campagnes, campagnes pas seulement rurales, vous comprendrez plus loin cette précision. Ceci d'autant plus étrangement que les couleurs habituellement concernées dans le daltonisme, le rouge et le vert, sont dans cette dyschromatopsie si particulière, le rose et le bleu, le rose n'étant plus correctement repéré et de plus en plus confondu avec le bleu.
Une première observation de ce phénomène avait été faite, deux dimanches du mois de Mars 2014, où des parents, égarés dans des écoles, que faisaient-il un dimanche à l'école, avaient été signalés l'air hésitant et hagard quant au choix qu'ils devaient faire de petits bulletins de papier à l'entrée de cabines d'essayage disposées dans les salles de classe.
Le phénomène signalé à cette époque avait déjà paru étrange, mais son élucidation n'avait pas été poursuivie.
Rebelote, toujours deux dimanches, cette fois-ci en Mars 2015, conjecture saisonnière évoquée, parents égarés aux mêmes airs erratiques et hésitants. La chose était cette fois-ci prise au sérieux.
Incapacité, sinon générale, mais à la proportion préoccupante, la population française adulte serait en voie de ne plus distinguer le rose du bleu. Et vous devinez déjà, avec quelles conséquences. Paraphrasant Jean de La Fontaine dans Les Animaux Malades de la Peste, certains commentateurs ont déjà cité les vers célèbres :
Ils ne mouraient pas tous, mais beaucoup étaient frappés,
Ni Loups, ni Renards n'épiaient la douce et l'innocente proie,
Les Tourterelles se fuyaient : plus d'amour, partant plus de joie.
Et de pointer là l'annonce, peut-être, chez nos concitoyens, du désintérêt le plus total pour toutes les choses habituellement représentées sous cette sympathique couleur ! Et elles sont nombreuses. La Panthère Rose du génial Blake Edwards, mais surtout, souvenez-vous, La vie en rose de l'émouvante Édith Piaf, reprise avec tellement de style et de blues à l'âme par Louis Armstrong.
Etrangement, et le corps médical y voit là la preuve du caractère non congénital de l'affection, les adolescents et les enfants en sont totalement épargnés, l'usage persistant des crayons de couleur et des cahiers de coloriage dans les maternelles l'attestant formellement.
Le mystère est loin d'être levé sur l'origine de cette épidémie. Quant aux parades préventives préconisées par la Ministre de la Santé, le brandissement itératif de panneaux bleu marine sous les yeux des malvoyants, elles semblent n'avoir eu aucun effet quant à la réactivation de la perception du rose. Les experts l'ont reprécisé : il s'agit là de bien d'autre chose que du daltonisme, la couleur verte et la couleur rouge sont parfaitement distingués.
Ce long préambule, chers lecteurs, pour vous expliquer les raisons de notre déplacement aujourd'hui, Samantha Ekberg et moi-même, à l'Hôpital des Quinze-Vingts pour y rencontrer le Docteur Elodia Cardinale.
L' Hospice des Quinze-Vingts a été fondé vers 1260 par Saint-Louis (Louis IX de France). Son nom de Quinze-Vingts (15 × 20 = 300) indiquait alors le nombre de lits de l'Hospice dont la mission était de recueillir les aveugles de Paris, fort en détresse à cette époque. Le fait que lors de la 7° Croisade, nombre de Croisés eurent les yeux crevés par les Sarrasins, joua très certainement un rôle dans cette création par ce roi très pieux. Accueillant aujourd'hui les plus grands experts en Ophtalmologie, en liaison avec l'Inserm et la Fondation Ophtalmologique Rothschild, l'établissement est à la pointe du diagnostic et du traitement de toutes les pathologies oculaires.
Le Docteur Élodia Cardinale est une des éminentes spécialistes des Quinze-Vingts et nous avons souhaité avoir son avis pour tenter de vous permettre d'y voir plus clair (nous n'avons pas trouvé d'autre mot) dans cette ténébreuse affaire.
Dr Cardinale, s'enquiert Samantha, nous venons d'en avoir confirmation, il ne s'agit pas d'une affection congénitale. Qu'elle pourrait bien être donc l'origine de cette étrange maladie oculaire ?
N'allons pas si vite en besogne avec ce terme de maladie. Tout d'abord, regardons ensemble ce panneau représentant les voies optiques. Selon le siège de l'anomalie pathologique en cause, on parle, dans un trouble de la vision, de défaut de perception (touchant au globe oculaire et à la rétine), de défaut de transmission (touchant aux nerfs optiques) ou de défaut d'intégration (touchant à un dysfonctionnement des aires corticales cérébrales de la vision, près de 5 milliards de neurones).
Dr Cardinale, poursuit Samantha, entrevoyant que tout cela était un peu compliqué, mais bonne élève malgré tout, qu'en est-il donc ? Défaut de perception, de transmission ou d'intégration ?
Rien de tout cela, ma chère amie ! Toutes les investigations réalisées sur un échantillon-test de 100 sujets prétendument frappés de cette dyschromatopsie nous montrent la parfaite intégrité de leur appareil visuel. Et quand je dis toutes les investigations, croyez-moi, nous n'avons pas lésiné : champ visuel, électrorétinographie, étude des potentiels évoqués du nerf optique, enregistrement IRM de l'activité des aires visuelles après stimulation chromatique etc., etc. Tout est absolument normal.
Mais Dr Cardinale, intervins-je, nous restons en plein mystère. Qu'en conclure donc ?
Pour une scientifique comme moi, la réponse est simple. Aucun mal secret ne frappe nos concitoyens quant à la vision des couleurs et du rose en particulier. L'explication ne sera pas médicale mais d'ordre optophysique.
Vous savez que la couleur n'est rien d'autre qu'un segment déterminé de la gamme de longueur d'onde de la lumière, segment de longueur d'onde retenu à la surface d'un objet par sa structuration et son agencement atomique particulier. La couleur est un segment de longueur d'onde ; elle n'est visible qu'en pleine lumière. Dans l'obscurité, pas de couleur. La nuit, tous les chats sont gris comme le disait la mère Michel avant de perdre le sien. Pour dire simple et être bref, la couleur est en rapport avec une structuration atomique particulière de la matière.
Nous sommes obligés d'admettre, c'est ma conclusion, que les objets toujours vus comme roses ont vu leur structuration atomique totalement modifiée et ne sont plus aptes à réfléchir ce court segment de longueur d'onde de la lumière naturelle qu'est le rose.
Mais Dr Cardinale, votre conclusion serait-elle également valable pour ce qui concerne les programmes électoraux ou les bulletins de vote ?
Là, mes amis, vous voulez m'entraîner sur un terrain où je n'ai pas compétence. Disons que c'est votre conclusion.
Eh bien merci Docteur ! Nous voilà tout de même en partie rassurés. La santé de nos concitoyens n'est pas en jeu. Il n'empêche, le problème demeure de ce néo-daltonisme et de la confusion du rose et du bleu. Comment y porter remède ?