(Brooklyn College - 2900 Bedford Avenue - New York 11210 - USA 10 Décembre 2015)
Robin Hood n'est pas, vous vous en doutez bien, le célèbre Robin des Bois, héros archétypal (il volait les riches pour donner aux pauvres) du Moyen - Age anglais et de votre adolescence. Le brigand au grand cœur, Robin Hood (Robin la Capuche et non pas Robin des Bois, comme cette paronymie de hood avec wood l'a souvent laissé penser), le brigand au grand cœur ignorait tout du Brooklyn College des années 2015. Il vivait caché dans la forêt de Sherwood du comté de Nottingham, vers la fin des années 1190, époque où Richard Coeur de Lyon partait pour la Croisade.
Non, le Pr Robin Hood d'aujourd'hui enseigne les Sciences Politiques. Il est l'auteur de nombreux essais, le plus fameux, L'Histoire du Gouvernement par la Peur, dont la trame centrale, comment gouverner par la peur, comment la susciter, se conclut par la thèse que la gouvernementalité moderne repose sur sa capacité à l'apaiser. Apaiser quoi ? La peur, bien entendu.
Chers amis, ne vous offusquez pas ! Vous n'êtes pas des moutons, mais des brebis craintives. Du moins, si l'on veut bien suivre les propos du Pr Robin Hood.
Dans la ligne directrice de cette thèse, Robin Hood assimile, dans un article célèbre du Washington Post en 2005, la politique sécuritaire du regretté Georges Bush et sa législation sur la sécurité nationale, celle du Patriot Act, à une ruse du pouvoir : l'instrumentalisation de la menace extérieure pour la mise à la raison des oppositions intérieures.
Les tragiques événements des dernières semaines à Paris, les angoisses et les inquiétudes suscitées par la culmination électorale d'un discours extrémiste, nous amènent aujourd'hui à interroger le Pr Robin Hood sur les similitudes, si tant est qu'il y en est, entre la France de 2015 et les États-Unis des lendemains de l'effondrement des Twin Towers.
Prendre son avis nous a paru d'autant plus nécessaire que, en France, toute la profession de penseur politique est aujourd'hui plus occupée aux jérémiades, litanies, palinodies et autres psalmodies à la destination du Mur des Lamentations de la Rue Solférino, qu'à la réflexion sur les maux qui nous frappent, leurs causes et leurs remèdes. Nous avons traversé l'Atlantique et l'interrogeons.
Pr Robin Hood, qu'entendez-vous par cette expression si étrange : administrer la peur ?
La Peur a toujours fait l'objet d'un travail politique : structurer la peur des citoyens, l'organiser dans la construction du rapport gouvernant - gouverné. Et pour cela, l'aide de l'appareil médiatique est déterminante.
Pr Robin Hood, merci pour ces réponses lapidaires. Car nos lecteurs sont souvent paresseux et nous ont fait savoir leur grande préférence pour le succinct. Une phrase revient souvent dans vos essais : avoir peur, c'est se préparer à obéir.
Administrer la peur, c'est d'abord désigner l'ennemi, l'islamisme fanatisé à l'extérieur, le vote extrémiste à l'intérieur, le second se nourrissant du premier. Et l'ennemi une fois désigné, construire l'image d'un pouvoir pastoral apaisant, car la peur appelle le Maître qui doit bientôt venir.
Pr Robin Hood, diriez-vous qu'en France, et surtout à l'avant-veille de la grande échéance électorale de 2017, les prétendants à l'exercice du pouvoir suprême, sortant ou challengers, vont se lancer dans la course du bon Pasteur à la houlette ?
Elle a déjà commencé. Au lendemain du 7 Janvier et de sa grande secousse émotionnelle, vous avez eu la loi sur la Sécurité Intérieure, que certains chez vous ont comparé à notre Patriot Act. Au lendemain du 13 Novembre, au-delà de l'état d'urgence, dont la justification technique ne posait pas de problèmes de principe, se profile maintenant une Révision Constitutionnelle, visant très probablement au renforcement du pouvoir du chef et à l'affaiblissement de ses oppositions.
Ce ne sont pas sur les facteurs ayant engendré ces catastrophes, inconséquents engagements depuis plusieurs années dans d'incertaines et interminables guerres extérieures, abandon d'une partie, même infime, de la jeunesse à la dérive nihiliste, ce ne sont pas sur ces facteurs que vont porter débats, analyses, tentatives de correction ou de solution, mais sur la gestion de la Peur.
Oui, le mot d'ordre au sommet sera : cultiver la peur, meilleur moyen de se faire obéir. Car la peur porte au despotisme, à l'autorité d'un seul.
La République ne prétendant pas avoir un visage incarné, Marianne n'ayant qu'une effigie, c'est une autre configuration institutionnelle qui pourrait s'installer de façon rampante, celle du pouvoir d'un Homme Seul : la dictature, sous la forme de la monarchie élective, élective, forme la plus adaptée à notre époque, celle du libre choix du consommateur.
Votre Maupassant l'avait dit beaucoup mieux que moi dans Les Dimanches d'un bourgeois de Paris : « Ce que je veux moi, Monsieur, je veux connaître mon gouvernement ! J'ai vu Charles X et je m'y suis rallié, Monsieur ; j'ai vu Louis-Philippe, et je m'y suis rallié, Monsieur ; j'ai vu Napoléon, et je m'y suis rallié ; mais je n'ai jamais vu la République ».