Attendez-vous pour la période qui vient, un an, deux ou plus, à voir le mille-feuilles se transformer en tarte-à-la-crème.
Le nom de cette délicieuse spécialité pâtissière par lequel la novlangue technocratico-libérale a décidé, le pas immédiatement emboîté par tout ce que compte le pays d'hommes sensés, avertis, soucieux du bien public, de désigner l'organisation des collectivités territoriales françaises héritées de la Révolution, oui, le mille-feuilles a toutes chances de tourner à la tarte-à-la-crème, c'est-à-dire, vous m'avez compris, de devenir le poncif et nouveau dénominateur commun des débats télévisés à venir, qu'on vous resservira à satiété.
( - Précaution première: ne pas voir dans l'exposé qui suit, l'approbation de l'existant. Il y a beaucoup de choses à changer et c'est de cela que nous voulons parler.
- Conseil second: si vous avez mal à la tête, laissez tomber tout de suite! Sur votre platine vinyle, déposez "Fools rush in" et laissez vous bercer par Frank Sinatra: "Fools rush in, where angels fear to tread and so I come to you my love...")
Mais pourquoi donc aujourd'hui, cet engouement généralisé pour la formule pâtissière, déclinée bis et ter repetita, véritable marronnier du discours politique et médiatique ?
Poser la question, c'est chercher la réponse.
Posons en axiome que le discours sur l'exigibilité de la dette, dogme intangible de toutes les politiques publiques depuis 2008, est un discours destiné à obtenir le consentement, de plein ou de mauvais gré, du peuple, c'est lui l'endetté, à la refonte socio-politico-administrative de la société française.
Si l'on admet ce présupposé, il est discutable, j'en conviens mais allons jusqu'au bout, deux chantiers clandestins ou déguisés doivent être ouverts, et je pense que ce sont eux qui constituent la feuille de route que la Troïka a discrètement remis au candidat Hollande, les mois précédant son élection. Ces deux chantiers sont :
- la déconstruction, par effet de sape de l'État Social à la française : ses services publics, son système de Sécurité Sociale, ses retraites par répartition, son statut de la Fonction publique, son Code du travail... Mais venons-en au deuxième, car c'est de lui qu'il s'agit dans la fable du mille-feuilles,
- la dépossession de la souveraineté républicaine et sa reconversion dans une gouvernance technocratico-managériale, avec l'éradication des principes jacobins de 1793, principes encore enfermés dans les choses que sont l'État central, le Département et la Commune.
Tout devra être fait, au prétexte de la chasse aux dépenses, aux doublons (autre mot dont la fortune est déjà faite), et ceci est déjà entamé, pour obtenir la reconversion du trépied républicain Commune-Département-État Central vieux de 200 ans, en un appareil de gouvernance arépublicain Communauté de communes ou district-Région-Commission Européenne, où l'Etat, d'ancien stratège, deviendra le simple facilitateur de cette nouvelle articulation. À propos de ce nouveau trépied, vous remarquerez, avisés que vous êtes, que déjà deux d'entre eux n'ont pas de référent en terme de souveraineté, ou alors de façon assez obscure, l'élu de la Communauté de communes étant le plus souvent inconnu de ses électeurs, l'élu du Parlement européen n'ayant, lui, aucun pouvoir réel sur la Commission.
L'affaire n'est pas simple. Car si elle a été bien menée sur le plan de la bataille des idées, on le vérifie dans les conversations de tous les jours et dans les sondages sollicités pour faire progresser la question, il n'en demeure pas moins que, sur le plan de la technique juridique constitutionnelle et sur le plan politicien, l'affaire est semée d'embûches :
- pour faire aboutir légalement un tel projet, il faut modifier la Constitution. Référendum ? C'est le plantage certain. Majorité des trois cinquièmes au Congrès? C'est compter sans la droite qui, si elle partage le projet sur le fond, va sûrement essayer de faire trébucher Hollande sur la forme. 2017, c'est demain.
- pour faire consentir élus PS et UMP à un tel dépouillement des prébendes obtenues dans la gestion des collectivités, il va falloir des ruses tactiques et des artifices, qui ne sont pas sans danger, y compris pour leurs instigateurs.
Convaincus que pour 2017, cette question, si elle est bien menée, leur vaudra, juste retour des choses, le soutien clandestin de la finance et des marchés, convaincus également, qu'à la manœuvre dans ce champ de mines politicien, ils peuvent réussir à piéger la droite, le duo Hollande-Valls va jouer la carte à fond, chacun des deux marquants l'autre à la culotte, les yeux rivés sur la ligne d'arrivée de 2017. Mais ceci n'est pas l'essentiel.
Sur le fond, vous l'avez compris, au prétexte de la rationalité et de l'économie, l'objectif est de substituer la gouvernance technocratique à la souveraineté populaire.
(Bien entendu, la démonstration ne tient qu'une fois admise l'hypothèse du paragraphe n°2.
Sans elle, j'en conviens, on est dans l'élucubration, la mauvaise foi, le machiavélisme, toutes accusations dont j'attends le retour de votre part. À moins que...)
Jean Casanova