(Palais de l'Élysée - 55, rue du faubourg Saint-Honoré - Paris 8° 13 Février 2016)
Nous vous avions abandonné, chers lecteurs, il y a quelques jours sur une métaphore batracienne, celle des grenouilles demandant un Roi, métaphore si bien illustrée par Phèdre, le fabuliste latin, dans son fabliau en vers Ranae regem petierunt. Nous vous en citons les deux premiers :
Ranae vagantes liberis paludibus
Clamore magno regem petiere ab Jove... et leur traduction :
Les grenouilles errant libres dans leur marais
A grands cris réclamaient à Jupiter un Roi…
C'est bien de cela que bruisse aujourd'hui le marigot. Du coassement de grenouilles roses et vertes, les deux teintes séparément évidemment, ainsi que du cri du caméléon Danny (rouge plus que rouge, puis verdissant, et maintenant totalement jaune), (on sait que la fourmi cro-onde, mais la langue française ne sait pas encore nommer le cri du caméléon). La clameur est impérative : il nous faut pour l'année prochaine, pas tout de suite, un autre Roi.
Un peu plus loin, dans un marigot voisin, se font entendre d'autres coassements, plus discrets et comme à regret, ceux de Rana Colonela Fabienna, coassements dont les herpétologues peinent encore à décrypter le sens : un roi, oui, peut-être, on ne sait pas, jamais ou pourquoi pas. Les conclusions de nos savants ne sont pas définitives.
(L'herpétologie, du grec ancien herpeton, qui rampe, est la branche de l'histoire naturelle traitant du comportement des amphibiens ou batraciens.)
Seuls semblent s'être dérobés à ce concert généralisé et fort bruyant trois espèces de Bufonidae, nom savant du Crapaud, Bufo Melencho, Bufo Besanceno et le minuscule Bufo Arto, dont les coassements isolés et sporadiques tendraient à signifier la distance qu'ils veulent prendre avec la question du Roi. Le message gagnerait à être clarifié, car nous le savons, qui coasse en cette période préprintanière, le fait toujours pour appeler un nouveau Roi.
Laissons là un instant la métaphore amphibienne, pour une autre empruntée à la nosologie.
Dans 20 ou 30 ans, peut-être même avant si les choses avancent bien, les nosographes, ces scientifiques spécialistes de l'histoire et de la classification des maladies, auront laborieusement analysé, disséqué, catalogué tous les symptômes de la gangrène de notre vie politique et démocratique d'aujourd'hui. Ils pourront alors en dresser la liste.
Nous nous proposons de leur simplifier la tâche, en la leur communiquant déjà bien longue, sinon exhaustive :
- L'hubris du pouvoir personnel et sa propension à vouloir décider de tout, toujours et à tout moment, seul et à son unique avantage, le Mien. Et sa conséquence la plus directe, le dessaisissement citoyen permanent avec pour seul exutoire, celui du spectacle des faits d'armes du monarque et, comme au parterre de la comédie, le seul droit d'applaudir ou de siffler. Voire de coasser pour implorer le changement de comédien.
- Autre conséquence du pouvoir d'un seul, la désignation labellisée dès l'avènement du monarque, trois semaines au plus tard (nous parlons là de l'élection dite législative) de 300 à 350 béni-oui-oui (l'ai-je bien orthographié) dont la tâche principale durant cinq ans sera la proskynèse rituelle et matinale.
(La proskynèse, du grec proskynesis, littéralement envoyer un baiser vers, était un rituel de la Perse antique consistant à s'incliner et se prosterner devant une personne de rang supérieur. Ce geste est repris dans différentes cultures et à différentes époques dans une liturgie tendant à sacraliser, voire à diviniser l'autorité supérieure.)
- Venons-en maintenant à la question du maroquin, ce petit portefeuille qualifié de ministériel. Durant cinq ans, il sera l'objet d'une quête permanente, par d'habiles simagrées et contorsions, de la part d'une troupe de chiens savants. Quête du maroquin pour sa jouissance directe, la proximité du Grand Coryphée, mais aussi des adjointes prébendes et sinécures qui vont avec et permettent à chacun d'apparaître lui aussi roitelet dans son village.
- Spectacle permanent orchestré depuis la fosse par toute une bande de folliculaires et de plumitifs de papier, de héraults médiatiques et porteurs de tam-tam, officiant sous la baguette des grands propriétaires de médias, marchands de béton, marchands d'avions et aussi de canons.
- Seule chose dérobée à la vue du public, l'accès permanent le soir au Château des représentants de l'aristocratie financière venus vérifier que tout se fait et se décide, au sommet, en leur faveur.
La liste des symptômes dressée, il restera à nommer le mal en cause. Gagnons du temps et donnons-lui tout de suite son nom, l'Institution Présidentielle. Institution dans laquelle est fait place, il ne la remet pas en cause, le droit de coasser.
D'où nous vient cette étrange maladie ? Comment s'est-elle développée et propagée ? A ces questions, les nosographes confrontés ont fini par répondre et rendre leur diagnostic.
Terrain génétique tout d'abord, avec le génome très particulier de la Ve République et sa tendance, depuis la conception, à la très forte personnalisation du Pouvoir.
Mais pas que. Un terrain génétique, certes. Mais alors, comment expliquer le peu d'évolutivité du mal durant si longtemps, presque 40 ans, et sa décompensation brutale et foudroyante au tournant des années 2000-2005 ? Quelque chose s'est passé à ce moment-là. Quoi ?
La réponse nous a été donnée par la bactériologie. Eh oui, le terrain propice dès l'origine au pouvoir personnel a donné lieu à l'éclosion d'un processus infectieux par une bactérie peu connue et longtemps considérée dans les milieux spécialisés comme intègre, non pathogène et peu virulente. Non pas Escherischia Coli, cette bactérie commensale et rarement pathogène de notre flore digestive, mais Lionela Jospini. Les tests en laboratoire sont formels : Lionela Jospini est bien à l'origine de cette évolution pernicieuse baptisée Quinquennite, elle-même aggravée par une manipulation de laborantin sur sa paillasse, l'Inversion du Calendrier. Les spécialistes sont tombés d'accord : ce sont bien ces deux phénomènes qui confèrent toute sa gravité à l'affection Institution Présidentielle.
Tous ces exposés savants, chers lecteurs, pour vous dissuader du coassement. Et surtout de vous impliquer dans le classement du plus mélodieux. Particulièrement dommageable serait la rivalité entre le froufroutant de Rana Colonela et celui plus rauque de Bufo Melencho. Un autre Roi n'y changera rien. L'affection est installée et continuera ses ravages si le point final n'y est mis. Nous en somment loin. Tous nos espoirs résident maintenant dans la découverte d'une nouvelle antibiothérapie active contre les Lionela, Nicolea et autre Marinella, ainsi que dans la mise au point d'un vaccin anti-quinquennite.
En attendant ces armes imparables et définitives, sont conseillées à titre préventif, sans attendre et le plus vite possible, des cures d'implication citoyenne et d'insoumission, où que ce soit, au travail, à l'école, à l'usine ou au bureau, dans le quartier ou le village, pour l'obtention de meilleurs salaires et d'activités plus utiles au bien commun, pour la défense de l'environnement et de la justice sociale. En veillant toujours à ce que tout le monde décide et participe. Sans oublier l'invention de nouvelles formes collaboratives, représentatives et révocatoires destinées au moins à limiter les effets de la quinquennite.