(Siège du CEVIPOF - Institut d'Etudes Politiques de Paris - 27, rue Saint Guillaume - Paris 7° 13 Novembre 2015)
Andrée Bourdieu et Jean Casanova
Nous venons de rejoindre, Andrée et moi, Pascal Perrimet au 27, rue Saint Guillaume, le siège du CEVIPOF (Centre d'Etudes de la Vie Politique Française). Vous savez déjà que c'est là que nous avons coutume de le rencontrer, chaque fois que nous avons besoin de quelque éclairage quant aux agitations et aux turbulences de notre vie politique.
Nous vous avons déjà présenté Pascal Perrimet. Il nous faut récidiver, brièvement si possible, car nos chroniques rencontrent un tel succès que, de mois en mois, la liste de leurs lecteurs ne cesse de s'allonger. Nécessité donc, de temps à autre, de quelques retours en arrière informatifs.
(Pascal Perrimet est politologue et spécialiste de sociologie électorale. Professeur à l'IEP, il est un des animateurs les plus remarqués du CEVIPOF. À ce titre, il a pu vous arriver de le voir sur le plateau de C dans l'air du vrai faux-benêt ou faux vrai-benêt, je ne sais plus, Yves Bonifacio. Pascal Perrimet est l'un des rares invités de cette machine à décervelage néolibéral à garder quelque distance avec les platitudes de l'émission, peut-être le seul à ne pas se vautrer systématiquement dans la fange néolibérale. Nous lui en gardons grande gratitude.)
Nous évoquions dans notre premier paragraphe les turbulences de la vie politique française. Eh bien, nous y voilà !
Déclaration tonitruante du Premier Ministre Manuel Valls, sur les modes Sale air de la Peur ou No Pasaran, lors d'une récente conférence de presse, reprise le jour même au Palais Luxembourg, devant les sénateurs, déclaration faisant déjà la une du Monde et de Libération, avec les habituelles et serviles explications de texte de Laurent Joffrin. Quelle déclaration ? Rien moins que la proposition de fusion des listes PS et Les Républicains, dans l'entre deux tours des élections régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, le tout dans l'objectif de barrer l'accès à la Présidence de Région de Marine Le Pen.
L'émotion est considérable. La volière solférinienne en ébullition. La tête de liste régionale PS, M. Saintignon, renchéri par Martine Aubry, crient au sabotage et à la démoralisation du petit peuple de gauche, c'est ainsi qu'ils nomment leur raréfié électorat. Jean-Christophe Cambadélis, avec cette élégance du phrasé qui nous change de son habituelle langue de bois d'apparatchik, enrage : « Je ne mets jamais mon caleçon par-dessus mon pantalon ». Pas sûr qu'on ne le voit pas déambuler les prochaines semaines dans cet accoutrement quelque peu exhibitionniste.
Certains commentateurs, quelle lucidité, commencent à s'interroger. N'y aurait-il pas là, ballon d'essai en vue d'autres échéances, voire en vue d'une grande recomposition à la mode libérale – démocrate ?
Au point où nous en sommes rendus de ce court billet, certains d'entre vous s'interrogent déjà sur son titre : Le Baiser de la Mort. Eh bien, justement ! Voyons ce qu'en pense Pascal Perrimet.
Pascal Perrimet, commence Andrée, allons plus loin que l'effet d'annonce. La chose n'aura d'ailleurs peut-être pas lieu. Mais quelle signification accordez-vous à sa simple évocation ?
Andrée, j'irai tout de suite sur le fond. Le présidentialisme à la française s'est bâti sur l'élection d'un Homme, un seul, pour exercer le pouvoir étatique suprême au niveau le plus totalitaire qui soit. Je vous fais remarquer qu'en dehors de Kim Jong-Un, en Corée du Nord, aucun dirigeant dans le monde ne concentre sur sa personne une telle étendue du pouvoir exécutif. Ni même Obama, ni même Poutine, ni Madame Merkel évidemment, ni Xi Jinping, le président chinois. À cette différence près avec Kim Jong-Un, elle n'est pas mince, je vous le concède, le mandat est remis en jeu tous les cinq ans.
Et nous y venons, l'accès à la fonction suprême suppose l'arme de guerre absolue d'un parti à sa dévotion pour la conquête du pouvoir.
Pascal Perrimet, interviens-je, iriez-vous jusqu'à dire que tout ceci est fatal dans notre système institutionnel ?
Oui, Jean, tous les Présidents, depuis la disparition du général De Gaulle, ont dû au préalable à l'accès élyséen, conquérir ou créer un parti à leur main, j'allais dire à leur botte. Georges Pompidou avec l'UDR ; Jacques Chaban-Delmas a échoué, car il n'avait pas pu prendre en main cette machine UDR ; Valéry Giscard d'Estaing, avec la création de l'UDF ; François Mitterrand lui-même, s'emparant à Épinay, en 1971, du PS, le jour de sa création sur les décombres de la SFIO ; jusqu'à Nicolas Sarkozy, dérobant l'UMP à son fondateur Alain Juppé, mis provisoirement sur la touche par une condamnation, en 2004, à deux ans d'inéligibilité.
Mais Pascal Perrimet, reprend Andrée, François Hollande constitue donc une exception. Le PS existait déjà depuis 40 ans et il n'en était pas le dirigeant lors de sa désignation à la candidature pour l'échéance de 2012.
François Hollande est un accident. Sans les ennuis de salle de bains de Dominique Strauss-Kahn, il ne serait pas parvenu à plus de 10 % lors de la primaire socialiste de 2011. Martine Aubry avait secrètement fait le choix de DSK mais, après son éviction forcée, peu motivée elle-même personnellement, malgré sa célèbre formule « quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup », elle n'a pu barrer la route à François Hollande. Je le reconnais, c'est une exception. Nous ne le revivrons plus.
Soit, Pascal Perrimet ! Mais alors Manuel Valls ?
Mon cher Jean, Manuel Valls vient de donner le baiser de la mort au PS et aux Républicains.
(Dans la mafia, le baiser de la mort (kiss of death) est l'assurance de la mort violente prochaine pour celui qui le reçoit. Et c'est celui qui le donne, qui est le commanditaire.)
Sa proposition, copie conforme en creux de la thèse du Front National, celle de l'UMPS, est d'abord un coup de Jarnac pour la Droite. Mise au pied du mur, si elle accepte, elle verra une partie non négligeable de son appareil et de son électorat basculer vers le FN. Il ne s'en faut déjà d'ailleurs pas beaucoup. C'est l'objectif recherché par MV à moyen terme : simultanément renforcer le FN et fracturer la Droite ; certains ont utilisé le terme de fracturation lepénique.
Mais attention, la lupara a deux coups.
(La lupara est un fusil de chasse à deux canons juxtaposés qui ont été sciés pour faciliter son utilisation en forêt, et pour être aisément dissimulé sous un manteau, en ville ou dans les villages. C'est l'arme à feu la plus ancienne utilisée en Sicile. Le nom de lupara (lupo : le loup) vient de l'italien, car c'est avec elle que l'on chassait le loup. On connaît l'usage qu'en fait maintenant Cosa Nostra.)
La deuxième cartouche est destinée au PS. MV n'a jamais caché son intention d'en finir avec lui. Et dans cette proposition d'expérimentation d'une fusion électorale avec la Droite, il indique à son appareil intermédiaire et à son électorat actuel le chemin de la recomposition libérale – démocrate, pour préparer, à son avantage, face au seul FN, 2022. Exit le PS. Dans cette perspective, il a déjà un chevau-léger en piste : Emmanuel Macron.