(De nos envoyés spéciaux Jean Casanova et Stéphane Baudelaire - Ministère de la Défense Nationale - 14, rue Saint-Dominique - Paris 7° - 15 Février 2015)
Il n'est pas dans nos habitudes, chers lecteurs, et vous le confirmerez aisément, sous notre plume, les lauriers et appréciations élogieuses sont plutôt rares. Mais pour une fois, vous verrez qu'investigation ne débouche pas toujours sur dénonciation. L'investigation est quelquefois nécessaire pour rendre justice à ceux qui ont bien mérité.
Aujourd'hui nous voulons vous parler d'un homme de gauche. Ne lui lancez pas la pierre ! Son élévation d'esprit, son sens du devoir, son dévouement aux idéaux les plus nobles lui ont permis de surmonter ces pauvres petites considérations partisanes. Servir d'abord, est sa devise ! A qui, à quoi ? Nous allons tâcher de vous éclairer.
Nommons-le d'abord. Jean-Yves Le Driant ! Ministre de la Défense Nationale. Nous tenons d'une source proche du dossier de la vente des Rafales les temps forts de son agenda des prochains jours.
Dès lundi, aujourd'hui pour vous, signature à Paris avec son homologue égyptien du contrat de vente de 24 avions de combat Rafale. Le week-end prochain, départ pour le Golfe, à Abu Dhabi où, pour la 13e fois en moins de 3 ans de ministère, il rencontrera ses homologues saoudien et qatari, Cheikh Ahmed Al Tahri et Cheikh Abdel El Souissi, avant de participer, toujours à Abu Dhabi, au 10e grand salon de l'armement IDEX (International Defence Exhibition), le plus grand rendez-vous du genre au Moyen-Orient, les contrats conclus lors de l'édition 2013 totalisant 5 milliards de dollars. On doit faire mieux cette année. La conjoncture n'a jamais été aussi favorable.
Les points forts de Jean-Yves? Disponibilité d'abord! 200 000 km parcourus depuis Juin 2012, pour ce que, modestement, il dénomme "le soutien à l'export". 200 000 km et un tiers de son temps, nous a confié un vétéran du ministère.
Le sens du contact, ensuite. Avec chacun de ses partenaires saoudien, qatari, pakistanais ou israélien, une relation de confiance et personnelle. C'est ainsi que les dossiers progressent le mieux.
Le secret encore ! Pas d'annonce intempestive avant que l'essentiel n'ait été conclu. On est loin de l'amateurisme sarkozyen et alliot-mariesque qui avait lamentablement planté avant l'heure par leurs rodomontades nos projets Rafale, en Inde et au Brésil. Nous avons posé la question à Marcel Dassault. Sa réponse est sans ambages : "Je ne veux plus avoir affaire à des Pieds-Nickelés" (allusion directe aux minables petits filous sans envergure de la bande dessinée du regretté Louis Forton).
Le sens du collectif, toujours ! C'est le format et la méthode de Jean-Yves avec la création, dès son arrivée au Ministère de la Défense, du COMED (Comité Ministériel des Exportations de Défense), où l'on réunit autour d'une même table industriels (Dassault, Thalès, Matra...), Bercy et le Quai d'Orsay, l'Etat-Major et la Direction du Renseignement Militaire.
Enfin et ce n'est pas rien, le work-shop permanent (en français, l'atelier) que constituent les opérations militaires françaises en Afrique et, depuis Septembre 2014, en Irak où se pressent attachés militaires de tous pays venus vérifier in situ la qualité des matériels proposés: systèmes radar, avions de chasse, hélicoptères, chars de combat…
L'homme est sérieux, efficace et sûr de lui. Confident du Président, il a aussi son oreille et certains pressentent que si la configuration politique l'exigeait, Ukraine par-ci, djihadisme en veux-tu en voilà par là, il aurait l'étoffe et la stature d'un Premier Ministre. Attention au joli coup politicien de François : je squeeze Marine et Nicolas. Gageons que les obstacles à une telle promotion ne viendront pas de Marcel.
Nous ne pouvons pas finir, chers lecteurs, sans vous parler du long chemin parcouru par ce petit breton têtu et appliqué, depuis son enfance à Lanester et au lycée Saint-Louis à Lorient. Sans vous parler de la table familiale autour de laquelle s'échangeaient les propos les plus généreux, ceux d'un père ouvrier et sympathisant communiste et d'une mère, couturière en usine, militante de l' Action Catholique Ouvrière. Jusqu'aux premiers engagements de l'adolescent au sein de la Jeunesse Étudiante Catholique, dont il devenait le premier secrétaire dans le Morbihan, l'année du baccalauréat. Puis l'UNEF en 1968, la ferveur pacifiste et antimilitariste. Certains camarades se souviennent encore de sa belle voix de basse entonnant, les larmes aux yeux, cela reste à vérifier, nous y travaillons, Le Déserteur de Boris Vian. Nous vous laissons la fredonner, vous avez encore en tête ces notes tristes :
Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir.
Monsieur le Président,
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer les pauvres gens. (Musique de Boris Vian et Harold Berg)
Certains d'entre vous parleront de reniement. C'est bien vite dit ! Surtout quand il s'agit de servir, ce beau mot à la si belle résonance patriotique.
Oui, servir ! Mais la question demeure. A qui ? A quoi ? Si l'on admet, mais c'est fort schématique nous en convenons, qu'en France, l'onction des marchands de canons est nécessaire pour être propulsé au plus haut du pouvoir, Jean-Yves a le droit d'avoir des ambitions.
Information de dernière minute. Elle a son importance et nous permettra peut-être de mieux cerner l'homme. En tous les cas, d'apprécier son humanité et l'intérêt qu'il porte aux choses de la nature. La signature qu'il vient d'apposer, de sa main propre, ces derniers jours, au bas d'un protocole officiel adressé à la Ligue de Protection des Oiseaux. Les avions et hélicoptères de l'armée ne dérangeront plus le gypaète barbu ! Le plus grand rapace d'Europe dont il ne persiste plus que 53 couples en France dans les espaces montagnards: 39 dans les Pyrénées, 9 dans les Alpes et 5 en Corse. Par cette signature, l'armée de l'air s'engage à adapter ses activités d'entraînement, de liaison et d'essai dans ces trois régions pendant la période de reproduction du rapace, du 1° Novembre aux 15 Août. En évitant les survols de ces falaises, on peut espérer limiter l'échec de la reproduction et l'abandon de la couvée. Et, mauvaises langues, n'allez pas dire que l'attention du ministre tient au fait que cet oiseau est un rapace ! De votre part, je m'attends à tout.