Terrible année 1964. Ou nous perdions Zappo Marx, Don Redman, Alton Delmore des mêmes Delmore Brothers, mais aussi l'immense Cole Porter...
C'était là le titre, sous lequel nos deux correspondants Jean Casanova et Stéphane Baudelaire, toujours aux États-Unis, comptaient faire paraître leur grande étude "Il y a 50 ans, le jazz américain perdait un géant", étude consacrée à l'anniversaire de la mort de Cole Porter à Santa Monica (Californie).
(Oui, le peuple français doit bien un hommage au grand Cole engagé, en Argonne,en 1918, dans notre Légion étrangère, lui qui aimait tant la France et sa tradition musicale classique).
Et pourtant, c'est d'autre chose dont nous voulons entretenir nos lecteurs, à la découverte aujourd'hui de ce pays aux aspects si contrastés.
Car, à Santa Monica, à quelques heures de notre visite au Santa Monica UCLA Medical Orthopaedic Hospital Center, où avait séjourné notre héros, au comptoir d'un motel tel qu'aimait les peindre le regretté Edward Hopper, nous fîmes la plus étrange des rencontres
Attablés devant de plantureux crispies hash brown accompagnés de petites saucisses et de haricots à la sauce sucrée, le tout arrosé de grandes tasses de café fumant, nous voilà abordés par un de ces si typiques voyageur-représentants, ceux que le cinéma américain a popularisé chez nous, toujours en vadrouille, à l'affût du client facile et de la petite escroquerie. Savourant lui aussi un scrambed eggs, un grand verre de bourbon à la main, il guettait là le chaland, à la sortie si fréquentée de ce grand centre hospitalier. Mais pour quelle démarche ?
Son commerce, notre homme ne se fit guère prier pour l'étaler : le "life settlement", dans notre bon français, le rachat d'une police d'assurance-vie à son souscripteur et, ceci n'apparaissant pas dans le contrat, en pariant sur son décès le plus proche.
Et quel plus facile endroit pour lancer les filets d'une telle pêche miraculeuse que les abords hospitaliers, où, pour financer leur fin de vie, dans cette si belle formule qu'affectionnent les adeptes du libre marché, le gagnant- gagnant, pour financer leur fin de vie, nombre de malades ou d'éclopés liquident et échangent à 50 % de sa valeur faciale, leur police d'assurance-vie, l'heureux acheteur empochant le solde au décès du souscripteur.
Et par les temps qui courrent, le marché était florissant : seniors cherchant dans la dernière partie de leur vie l'argent nécessaire à se soigner ou à financer les études de leurs petits-enfants ; sidéens en mal de fonds pour acheter leur trithérapie ; coronariens à la recherche d'un stent à bon marché et hésitant quant au moyen le moins funeste pour se le procurer, surtout ne pas avoir à vendre leur petit pavillon, leurs enfants n'ayant plus alors que leur garage pour les héberger...
Un véritable marché estimé aujourd'hui à 5 milliards de dollars. Marché prometteur et même garanti, pour reprendre le célèbre aphorisme de Benjamin Franklin : "Rien dans ce monde n'est certain, excepté la mort".
Et n'allez pas, chers lecteurs, voir là, affaire à la petite semaine : Goldman Sachs est sur les rangs pour explorer industriellement ce juteux marché. Les agents de son fonds QxX Mortality Index recrutent des médecins pour scruter les dossiers médicaux les plus prometteurs et ainsi sélectionner les contrats offrant le retour sur investissement le plus rapide. On va chercher les vendeurs là où ils sont : maisons de retraite, hôpitaux où sont commissionnés, pour des réunions-Tupperware du life-settlement, infirmières et directeurs d'établissement. Tout le monde y trouve son compte.
Évidemment, dans un pays comme le nôtre, aux préjugés si ancrés, où l'immédiate question qui vient aux lèvres, celle de la morale, constitue un bien dommageable obstacle aux affaires, beaucoup ne verront dans ces pratiques que la marque d'une certaine barbarie.
Nos sympathiques cousins américains nous administrent la preuve qu'il n'en est rien !
Et si, c'est une hypothèse, il faut la tenir pour sérieuse, par les vertus du futur Grand Marché Transatlantique, dont notre Président a récemment déclaré vouloir pousser les feux, de telles dispositions venaient à être légalisées en France, on pourrait voir Goldman Sachs attaquer, devant un tribunal arbitral, la Sécurité Sociale française pour, par la gratuité des soins qu'elle instaure , constituer un obstacle au libre commerce.
Grâce à Dieu, nous n'en sommes pas là. Mais il serait peut-être bon, d'ici huit jours, de garder le problème en tête et de réfléchir au meilleur moyen, le 25 Mai, de faire un croc-en-jambes à tous les représentants de ces formules -fétiche telles que "gagnant-gagnant", "libre marché", etc...Et ils sont nombreux. A vous de les identifier ! Car, dans cette affaire, beaucoup dépend de votre perspicacité. Correspondants de presse et tenus à un relatif devoir de réserve, nous ne pouvons vous en dire plus.