L'abondance des commentaires et des jugements sur la conférence de presse des derniers jours de notre Président, l'arrivée de Rachida à la Culture, la polémique Oudéa-Castera sur la « guerre scolaire », cette abondance masque mal l'indigence de l'analyse.
Commenter les symptômes n'a jamais fait un bon médecin ! S'interroger sur leurs significations, identifier les lésions en cause et, encore plus en amont, les causes et les facteurs de leur développement, voilà la seule démarche à même de déboucher sur un éventuel traitement et, s'il en est encore possible, de prévenir d'éventuelles contagions, en un mot, faire acte utile.
Allons plus au fond que nos éditorialistes. Pour ma part, je risque une hypothèse, simplement une hypothèse. Le mal est systémique et a pour nom : institution présidentielle. L'État français, à l'encontre de sa fondation républicaine, est le seul de tous les états occidentaux à présenter cette tare fondamentale : la prééminence de l'exécutif et la subordination du législatif. Pour l'indépendance du judiciaire, on y regardera de plus près.
Toute la théorie de l'État de droit, héritée de plus des Lumières françaises, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Condorcet..., fondement de toutes les démocraties parlementaires, articulée sur la séparation des pouvoirs, est dans notre beau pays, fondamentalement contredite par l'organisation et le mode de désignation des organes du pouvoir.
Ce qui dans d'autres pays, ou en France, à d'autres époques, n'a pu advenir qu'à la faveur d'un coup d'état (18 brumaire, 2 décembre 1851, 10 juillet 1940 ...), s'est organisé en France de façon clandestine et pernicieuse, par glissements progressifs étalés sur plusieurs décennies, chaque étape étant paradoxalement présentée à l'opinion comme un renforcement de la souveraineté populaire. Il n'y a pas là, bien sûr, un deus ex machina à l'œuvre, mais une dynamique rampante de subversion de la logique républicaine.
J'en distingue au moins 3 étapes :
- Septembre 1958, avec l'adoption par référendum de la constitution de la Ve République, effaçant le régime parlementaire de la IVe, et plaçant les chambres sous la tutelle du Président de la République avec le droit de dissolution de l'Assemblée et la nomination d'un Premier ministre qui cesse d'être responsable devant l'Assemblée.
- 1962, toujours par référendum, l'institution de l'élection du Président de la République au suffrage universel, lui assurant désormais la prééminence sur toutes les autres fonctions électives, pauvrement issues, elles, de scrutins locaux.
- dernière étape, décisive celle-là, le fonctionnement de la Ve ayant suivi jusque-là, cahin-caha, cohabitations comprises, le train-train d'un régime hybride baptisé de mi-parlementaire mi-présidentiel (ce qui ne veut rien dire), dernière étape donc le couple des années 2000-2001. Où on assiste au massacre par, une majorité parlementaire PS-RPR-UDF, de ce qui persistait encore en France du régime d'assemblée : instauration du quinquennat (2000) et fixation des élections législatives six semaines après l'élection présidentielle (2001), mettent définitivement le Parlement à la botte du Président.
(Les férus d'histoire feront le parallèle - attention, comparaison n'est pas raison - avec cette autre date noire du parlementarisme français, le 10 juillet 1940, dans une salle de cinéma de Vichy, où gauche socialiste et droite bradèrent la IIIe République, en votant les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain). C'était une parenthèse.
Un jour peut-être, des historiens désigneront ces années 2000-2001 comme la date du basculement de la République dans le despotisme. J'en donne immédiatement la définition pour éviter toute polémique. Despotisme : forme de gouvernement ou l'autorité est exercée par un individu qui règne avec un pouvoir politique absolu.
Les années Sarkozy, puis celles Macron, en sont la plus belle illustration : autorité totale sur le gouvernement ; Assemblée godillot, car élue dans la foulée présidentielle (exception faite de la cuvée, 2022) ; mainmise directe ou indirecte sur le système médiatique audiovisuel ; injonctions permanentes et menaces à l'encontre de l'appareil judiciaire ; chef des armées entrant en guerre sans autorisation des chambres ; passage en force de la réforme, des retraites à l'aide du 49-3...
Voilà pour la façade. Dans l'ombre, les courtisans à la recherche de prébendes, des policiers et des procureurs stipendiés, tous les déchus d'une fonction officielle recasés dans des sinécures dévoreuses d'argent public, des services secrets au service des secrets privés, des financements clandestins pour tous les coups de force, jusqu'au ridicule népotisme d'État bananier avec la récente nomination d'un nouveau Premier Ministre…
Voilà cette maladie de système ! Elle tient en un principe : l'élection au suffrage universel du Président de la République, subordonnant à elle toute l'action publique. La direction de la chose publique, je ne dis même plus la République, est malade de sa propre structure. Comme la défunte IVe, minée elle par la question coloniale, la Ve est condamnée par ce qui fait sa substance : le pouvoir d'un Seul.
La République ne renaîtra en France que VIe, constituée par le seul souverain, c'est-à-dire le peuple, et destituant la monarchie élective.
Conclusion forcément optimiste, mais comment faire autrement ?