Leur film préféré.
(De notre envoyé spécial J. Casanova à Avignon- Vaucluse).
Quelle était charmante, en cette matinée des derniers jours de juin, à la veille de l'ouverture du Festival, la petite terrasse du Grand Café, ombragée de tilleuls, rue des Escaliers Ste-Anne, à deux pas du Palais des Papes! Et bien sûr, lieu de rendez-vous de tous ces heureux envoyés de presse, posant déjà leurs repères et leurs jalons à quelques jours du grand jour: l'ouverture du Festival et la première du Prince de Hombourg.
Inquiétude palpable malgré tout parmi nous, quant aux menaces pesant sur l'édition 2014, mes confrères du Figaro et des Échos trouvant là, une fois de plus, l'occasion de pester sur la mortelle et insupportable mainmise de la CGT (c'étaient leurs propres termes) sur la vie économique et culturelle de notre pays, d'autres, plus nuancés, dont je faisais partie, espérant que notre si ferme Premier Ministre et sa gentille Ministre de la Culture sachent faire entendre au MEDEF que l'activité culturelle était aussi source d'activités économiques rentables, seul langage que cette secte de la profitabilité soit à même d'entendre, et que l'on ne traite pas les gens de culture comme des boîtes de conserve ou des rouleaux de papier peint.
Nous en étions là donc, échotiers en attente d'ouverture festivalière et tuant le temps dans d'interminables conversations à bâtons rompus, attablés sous les tilleuls, autour du rituel café-croissants des début de matinée journalistiques.
J'ai bien dit "à bâtons rompus", car le jeu du moment consistait en la révélation des petits secrets de nos grands, entendez par-là politiques, quand a leurs goûts et préférences en matières diverses, et là précisément bien que nous ne soyons ni à Cannes, ni à Venise, en matière de cinéma! Quels étaient leurs films préférés? Conversation pas si innocente, car il est bien connu que les goûts en disent beaucoup sur la personnalité de chacun. Et re-chacun (pardonnez-moi cette répétition) d'entre nous, bien sûr, avait en la matière quelque information privilégiée tenant souvent à la proximité, disons politique, qu'il entretenait avec tel ou tel de nos dirigeants.
Pour ma part, je ne faisais pas grande sensation en révélant que "Quand passent les cigognes", "Vacances romaines" et "Guerre et Paix", celui de King Vidor et non de Serge Bondartchouk, ce qui surprenait bien mes interlocuteurs, étaient les fétiches de Pierre Laurent, lequel, à chacune de leur diffusion, publique ou privée, ne manquait jamais d'écraser une larme, à la vue d'Audrey Hepburn en Princesse Ann ou Comtesse Natacha.
Pour François Hollande, le mystère restait entier, notre confrère de Libération nous révélant qu'il n'était jamais allé au cinéma, dure discipline imposée à l'adolescence par un père rigide et méprisant cet opium du peuple, ce qui avait peut-être valu à ce brillant jeune garçon de telles réussites scolaires, puis universitaires. Mais, revers de la médaille, la cinquantaine passée, son engouement pour les danseuses et les actrices, les révélations de tout ceci ayant largement fait le bonheur de la presse à scandale. Ne nous y attardons pas!
Personne ne fut étonné d'apprendre que les "Jeanne d'Arc" étaient officiellement les films préférés de qui vous savez. Entre nous soit dit, je pense qu'elle n'en avait vu aucun, sa vulgarité et sa rigidité n'allant en aucune manière avec le mysticisme de Renée Falconetti dans la version de Carl-Théodore Dreyer, pas plus qu'avec la noblesse d'Ingrid Bergman dans celle de Victor Fleming ou le Jeanne au Bûcher de Rossellini, encore moins avec celle de Michèle Morgan dans la version de Jean Delannoy et sûrement pas avec l'émouvante beauté de Jean Seberg sous la direction d'Otto Preminger.
Mais enfin, la légende était là et il fallait bien lui donner corps : elle avait entendu, dans le parc de son Château de Saint-Cloud, telle Jeanne à Domrémy, d'étranges voix célestes, provenant en réalité d'un parc voisin où se tenait une teuf organisée par la JC (Jeunesse Communiste) des Yvelines, teuf dont la sono, de mauvaise qualité bien sur, crachotait: "Il faut bouter l'oncle Sam hors de France!". Et, peut-être troubles auditifs ou presbyacousie débutante, elle avait retenu: "Bouter Islam hors de France".
Plusieurs spécialistes ORL de mes amis avaient validé cette hypothèse, nul n'ignorant qu'encore au berceau, la petite Marion Anne Perrine, son prénom officiel dûment enregistré sur le registre paroissial de l'Eglise de la Madeleine, à Neuilly, était déjà exposée aux traumatismes sonores les plus lésionnels à cet âge de la vie, ceux occasionnés par un père dont la marotte musicale, à savoir les chants bavarois genre Festivals de la Bière et les chants de marche des Chasseurs d'Afrique, lui faisait, interminablement, sur la chaîne hi-fi installée dans le grand salon et malgré les injonctions de la maman, re et repasser ses extraits préférés, les petites aiguilles du vu-mètre de la chaîne indiquant l'intensité du signal électro-acoustique, complètement bloquées au bord droit du compteur.
Le seul effet à long terme de tout cela, en dehors du divorce de la maman et de la psycho-rigidité de l'enfant, ne pouvant être que la lésion irréversible des petites cellules ciliées de l'oreille interne dont nous savons bien que l'intégrité est nécessaire pour discriminer "Oncle Sam hors de France" de "Islam hors de France".
Après ces un peu fous bâtons rompus, vous pensez bien qu'allait arriver sur le tapis le cas du petit Nicolas. Mais de ça, je vous entretiendrai demain.
Car inopinément, Olivier Py, le Directeur du Festival nous conviait de tout urgence à sa conférence de presse que, vous comprendrez, je suis surtout payé pour ça, je ne pouvais rater sous aucun prétexte. À demain donc!
- © 2014 Microsoft
- Conditions
- Confidentialité et cookies
- Développeurs
- Français