Incompréhensible folie collective! Mais la raison a fini par l'emporter.
(De notre envoyé J. Casanova à Saint-Martin Valmeroux - Cantal.)
Saint-Martin Valmeroux, petite bourgade aux pieds du plateau de Salers aux renommées vaches laitières et savoureux fromages, à quelques kilomètres de Mauriac (sous-préfecture du Cantal), dont il sera un peu plus loin question.
Dans tout le pays, le trafic ferroviaire reprend, pratiquement normalisé à ce jour. Il était temps! Temps que cesse cette interminable grève dont malgré l'abondante couverture faite par nos quotidiens, JT et chaînes d'information continue, nul n'a jamais vraiment compris la raison.
Le Premier Ministre déclarait encore hier à la presse: "Cette grève est incompréhensible". Et nous prenant à témoins: "Non, les Français ne comprennent pas!" La direction de la SNCF qui avait pourtant reçu les représentants du personnel, faisait état, elle aussi, de sa totale incompréhension quant à l'entêtement des grévistes, surtout après les substantielles concessions accordées à l'ensemble des personnels et que nous détaillaient les mêmes JT: départ à la retraite à taux plein à 25 ans pour les roulants, à 27 pour les administratifs et les commerciaux ; élargissement de la gratuité du transport en 1°classe à tous les parents et amis des agents; jusqu'à la gratuité dans les cantines, uniquement, mais c'était déjà énorme, pour leurs parents et grands-parents. Les journalistes experts en dossiers sociaux y perdaient leur latin.
Des dirigeants syndicaux et Laurent Berger de la CFDT en tête avouaient: "Nous n'aurions jamais du en arriver là!", ajoutant que le rôle d'une organisation syndicale responsable était de collaborer et, après un instant d'hésitation tenant, dans notre pays, à la connotation fortement péjorative du terme, précisait dans cette jolie formule glosso-ligneuse, "dans l'intérêt bien compris des salariés et des usagers, évidemment".
Mystère, donc! Et jusqu'à l'homélie de dimanche dernier de Monseigneur Vingt-Trois, en chaire à Notre-Dame des Blancs-Manteaux, homélie intitulée "Dona nobis pacem in ferroviae", où le saint homme rappelait que la discorde sans motif entre les hommes était un blasphème.
Les JT, toujours si prompts à discerner par des interviews audacieusement ciblées les motivations réelles des agents, échouaient cette fois dans ce difficile travail démocratique, celui d'informer. Les grévistes eux-mêmes, toujours affairés à actionner sirènes et alarmes, détonner pétards et fumigènes, restaient incapables d'expliquer les raisons de leur colère. On marchait sur la tête en apprenant de plus qu'ils perdaient ainsi plusieurs journées de travail, 250 à 350€ pour un petit salaire à 1100€.
Et si l'incompréhension confinait à l'absurdité, le tragique n'était pas en reste. Avec ces deux dramatiques événements que nous ne pouvons pas ne pas relier à cette folie collective des derniers jours. Tout d'abord le geste désespéré de cet usager, Gare du Nord, apprenant qu'il ne pourrait pas ce soir retrouver à Évry, dans la banlieue sud, d'anciens camarades de chambrée régimentaire, pour un dégagement (vieux terme de biffin pour désigner une sortie entre camarades), dégagement déjà prévu de longue date, jamais annulé, toujours espéré, au McDonald's le plus proche, et qui s'était précipité sur les voies, y trouvant une mort affreuse et embouteillant de surcroît la circulation des rares rames de RER encore en service.
Plus terrible encore, le geste de désespoir de ce jeune lycéen de 17 ans, arrivant exténué avec 10 minutes de retard devant les grilles du lycée de Juvisy, 10 minutes de retard malgré les efforts consentis par le Papa levé dès 4h. du matin pour amener à temps son fiston à son centre d'examen, grilles du lycée maintenant irrémédiablement fermées, et qui, sortant de son plumier un vieil Opinel émoussé qui lui servait d'ordinaire à affuter ses crayons noirs, s'immolait par hara-kiri sous les yeux des mamans présentes et devant la caméra de l'envoyée spéciale d'A2, laquelle s'effondrait en sanglots, chapitrée qu'elle avait été, la veille, par David Pujadas la déléguant aux portes des lycées avec cette formule surréalistement prémonitoire: "Je veux du saignant!".
Queue-de-poisson finale et peut-être pied-de-nez à nos confrères, la découverte dans une pile d'invendus, chez un buraliste-kiosquier de province, à Mauriac dans le Cantal, d'un exemplaire déjà jauni (probable mauvaise qualité du papier ou temps pluvieux dans le département, toute la semaine dernière) de L'Humanité du 17 Juin avec à sa une: "SNCF: l'autre réforme que défendent les grévistes" et en pages 4-5 et 6, un dossier complet sur la gouvernance du rail à la veille de la libéralisation totale du transport ferroviaire prévue et exigée par la Commission Européenne; la dette accumulée de 40 milliards et les moyens d'y remédier; ainsi que le problème des conditions de travail des cheminots et du rôle de l'Entreprise Publique dans la desserte du territoire, toutes questions arides et bien sûr secondaires en regard de celles des amitiés contractées lors du Service militaire, et du contrôle des plumiers à l'entrée des centres d'examen.
Dossier qu'illico, nous faisions parvenir aux services du Premier Ministre et à M. Pépy.
Mais n'était-il pas déjà trop tard?