( Siège du CEVIPOF - Institut d'Etudes Politiques de Paris - 27, rue Saint Guillaume - Paris 7° 31 Octobre 2015)
Andrée Bourdieu et Jean Casanova
« Ne s'use que si l'on s'en sert. » A l'image de la pile Wonder, le « vote utile », en service électoral depuis maintenant près de 15 à 20 ans, ne va-t-il pas cesser d'éclairer notre choix quant au bulletin à disposer dans l'enveloppe, celle que nous déposons dans l'urne ? Pire encore, c'est l'avis de nombreux commentateurs, le « vote utile » pourrait bien se mettre maintenant à fonctionner à l'envers. Nous voulons dire par là que, aujourd'hui, l'unique moyen de conjurer le démon à tresses blondes pourrait devenir le vote à Droite.
Inquiétude et perplexité confondues à l'extrême : après tant d'années à opter, comment faire autrement, pour le « moindre mal », la « Gauche de Marché », il nous faudrait maintenant nous résigner à un autre moindre mal, plus ou moins moindre, là n'est pas la question, le vote pour la « Droite elle aussi de Marché ».
Les plus blasés, s'en consolant, il nous restera toujours le Marché, les plus émotifs, y cédant le cœur brisé, contraints et bouleversés, les plus lucides déclarants, à force de viser le moindre, on obtient toujours le pire !
Voilà, chers lecteurs, le petit préambule nécessaire à la compréhension de notre intitulé Les pieds dans le tapis ?
Manuel Valls, invité du Bondy Blog, a déclaré être favorable au retrait de la Gauche, aux prochaines élections, là où le FN serait susceptible de l'emporter. Suicide électoral ?
Tout s'embrouille dans notre esprit. Pour tâcher d'y voir plus clair nous avons rejoint Pascal Perrimet au 27, rue Saint Guillaume, siège du CEVIPOF (Centre d'Etudes de la Vie Politique Française). Nous vous avons déjà présenté à plusieurs reprises Pascal Perrimet. Politologue et spécialiste de sociologie électorale, professeur à l'IEP de Paris (Sciences Politiques Paris), nous le considérons comme l'un des plus éminents spécialistes en France de l'étude des comportements et des attitudes politiques. Et ne manquons jamais de solliciter son avis quant à l'apparent embrouillamini de notre vie politique.
Notre seul regret, nous n'avons jamais osé lui en faire part : comment n'a-t-il pas encore songé, la requête serait légitime, à demander auprès du Ministère de la Justice, la modification de son patronyme, au motif tout simple, il est prévu par la loi, de sa consonance ridicule : Perrimet.
Pour un esprit aussi moderne et novateur que le sien, ce Perrimet est d'un total contre-pied, toujours prétexte à la raillerie de ses contradicteurs. Et ils sont nombreux. Mérimée, par exemple, conviendrait beaucoup mieux. C'est notre suggestion, elle n'est pas limitative. On pourrait tout à fait conserver Pascal sans aller jusqu'à Prosper.
(Prosper Mérimée est un écrivain, historien et archéologue français du XIXe siècle, membre de l'Académie française. Longtemps Inspecteur des Monuments Historiques, il a voyagé, à ce titre, à travers toute la France du Second Empire. Il est resté célèbre dans nos mémoires lycéennes pour ses nouvelles, souvent à caractère exotique, en particulier celles écrites sur la Corse : Colomba et Mateo Falcone, où il a si bien su décrire la fierté et le sens de l'honneur insulaires, héritage de l'antique vertu romaine. Mais laissons cela. C'est une autre question.)
Revenons-en donc à Pascal Perrimet et à la question des pieds dans le tapis.
Pascal Perrimet, commence Andrée, vous nous trouvez à la fois inquiets et perplexes. Allons droit au but ! Après avoir servi plus de 20 ans d'étendard de ralliement à la Gauche de Marché, le thème impératif du « vote utile » ne va-t-il pas nous contraindre maintenant à voter à Droite ?
Vous vous débrouillerez comme vous pourrez, ma pauvre Andrée. Je ne suis pas directeur de conscience. Eclaireur, tout au plus ! Mais mon impression, voyez-vous, est que cette thématique, prise dans un sens comme dans l'autre, n'a pas fini de jouer un rôle central.
La seule chose qui va changer, c'est l'objectif qu'elle s'assignera désormais.
Mais Pascal Perrimet, interviens-je, la chose n'a pas changé, et l'objectif demeure : la conjuration du démon, racisme, populisme, souverainisme, nationalisme, identitarisme et j'en passe…
Vous savez très bien, cher ami, que tous ces dangers, bien réels certes, ne sont artificiellement brandis, agités, ad nauseam diraient certains, que dans l'objectif de nous faire avaliser la Société de Marché néolibérale.
Oui, Pascal Perrimet, tout à fait, et alors, quoi de nouveau ?
Ce qui est en train de changer, chers amis, c'est le modus operandi.
(Modus operandi, expression latine de modus (manière) et operandi (d'opérer). Cette expression désigne la façon de réaliser un objectif, mieux que l'utilitariste terme de mode d'emploi.)
Jusqu'à aujourd'hui, la mise en œuvre de l'ordre néolibéral était confié à une « alternance démocratique » entre deux formations ayant trouvé, malgré tout, moyen de différer tant par le style de direction que par l'agitation de « grelots sociétaux », certes importants, je ne veux pas les énumérer tous, cannabis, mariage pour tous, euthanasie, le terme de grelot ne visant pas pour moi à minorer ces questions, mais à montrer que leur agitation ne remettait pas en cause l'ordre fondamental de la Concurrence Libre et non Faussée.
Or, aujourd'hui, il y a épuisement de la crédibilité de cette « alternance ». Il faut lui en substituer une autre, surtout au moment où nous voyons surgir en Europe, pour des raisons qui remontent à loin, ce serait l'objet d'un autre débat, pulsions identitaristes et nationalistes. Suivez mon regard : Hongrie, Pologne, Catalogne, Flandres…
Nous avons bien compris, Pascal Perrimet. Faisons court pour nos lecteurs maintenant passablement épuisés. Quelle tournure cette question du vote utile pourrait-elle prendre, dans la période à venir ?
Je terminerai sur une évocation très simple et toute symbolique. Allons plus loin que le galop d'essai de Manuel Valls à propos des élections régionales. Projetons-nous en 2017.
- 23 Avril 2017. 20h30. Le Président François Hollande est éliminé au soir du premier tour. Retiré à l'Élysée, il n'a pas encore parlé. Le Premier Ministre Manuel Valls, en direct de Solférino, appelle, au milieu des cris déchirants de ses amis en larmes, au Rassemblement de tous les démocrates et républicains et à soutenir et à voter pour le candidat Républicain Alain Juppé.
- 7 Mai 2017. Alain Juppé est élu Président de la République.
- 8 Mai 2017. Défilé de la Victoire sur les Champs-Élysées, en présence des deux Présidents.
- 9 Mai 2017. Alain Juppé appelle Emmanuel Macron à composer le Gouvernement.
- 18 Juin 2017. Premier tour des élections législatives. Dans chacune des 577 circonscriptions de France et d'Outre-Mer, 3 candidats sont en lice : 1 RB, 1 FGEC, 1 LD.
Petit glossaire : RB (Rassemblement Bleu) : Réunion autour de l'ancien FN, des débris des Républicains ayant refusé l'option LD. LD (Libéral et Démocrate) : Rassemblement issu de la fusion de Solferino et des Républicains. FGEC (Front de la Gauche Ecologique et Citoyenne) rejoint in extremis par les amis de Patrick Besancenot.
Dieu garde ! L'Histoire n'est jamais écrite d'avance. Mais beaucoup travaillent déjà sur cette hypothèse. Seul élément pouvant encore enrayer cette inexorable dynamique : la présence sur la ligne de départ de Nicolas Sarkozy, sa personnalité se prêtant difficilement à ces nécessaires effusions.