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Billet de blog 20 juillet 2014

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Lettre de M. Yves Haupert suivie de ma réponse

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

M. Yves Haupert, chargé de communication de la Présidence, avait répondu à ma première lettre ouverte. Son texte est ici à votre disposition, suivie de ma réponse personnelle. Bonne lecture.


Monsieur, 

J'ignore qui se dissimule en réalité derrière votre pseudonyme, puisque celui-ci n’évoque rien à personne parmi les vivants, hormis d’être le nom d’un roi légendaire de Hao. Le projet aquacole se fera finalement sur des terres appartenant au pays, puisque son promoteur a accepté de déplacer sa ferme plus loin que le site initialement retenu. Il n’y aura donc aucune expropriation et demain, vous, comme votre famille et vos enfants, pourrez jouir des bienfaits de ce projet en terme d’emplois dans une commune totalement sinistrée.

Dans tout pays démocratique des procédures d’expropriation encadrées par la loi existent et sont mises en oeuvre. La Polynésie en phase de redressement ne fait pas exception, et le gouvernement fait tout pour n’y avoir recours qu’en cas d’extrême nécessité, en privilégiant d’abord les achats ou les échanges fonciers. J’en veux pour preuve que la solution finalement retenue à Hao exclut toute expropriation et que la recherche d’un site consensuel a été privilégiée. Vous aurez noté qu’aucune procédure d’expropriation n’a d’ailleurs été lancée pour les besoins de ce projet aquacole. Le Président a le souci de l’intérêt général et du développement de notre pays, et il sait entendre sa population.

D’autre part, l’expropriation ne veut pas dire spoliation. Il s’agit certes d’une vente forcée dont le prix est déterminé par le juge sur la base du prix du marché. Il convient de ramener ce problème à son échelle réelle, on parle ici de 16 hectares de terres qui auraient pu être concernées, soit une superficie réduite au demeurant inexploitée.

Le projet de ferme aquacole représente un investissement de 15 milliards de FCFP (12,5 millions d’€) sur 15 ans, des chiffres situés à des années lumières des « quelques centimes » d’économie que vous prêtez aux investisseurs. Lorsque la ferme était pressentie pour être installée à Makemo, la construction du quai a été chiffrée à 1,5 milliards de FCFP (1,2 millions d’€) et la route devant mener au site à plus de 800 millions de FCFP (6,7 millions d’€). Qualifier ces investissements de « centimes » est une insulte au bon sens. Soyons sérieux.

Quant à leur désir d’utiliser les infrastructures laissées par les militaires comme le quai et la piste de format international, il relève du bon sens. Ces infrastructures financées par le contribuable à l’époque du CEP, faute de trouver un nouvel usage, auraient finies par être inutilisables comme tout le reste. Il faut donc se réjouir qu’elles puissent connaître une seconde vie au bénéfice des habitants de la commune de Hao qui en supportent la présence. Vous évoquez une « bassesse », mais je ne sais pas où vous la voyez. Vous faites là un procès d’intention à une société qui ne s’est même pas encore installée. En revanche, si vous résidiez vraiment à Hao, vous sauriez que l'armée y a entamé un programme de nettoyage qui doit s’achever en 2016. Il a pour objet de débarrasser le lagon de toute trace de pollution, preuve qu’il a été considéré durant des décennies comme une gigantesque poubelle dans laquelle furent jetées des tonnes de déchets divers sans que personne ne demande l’autorisation à personne.

Un projet industriel de l’envergure du projet aquacole n’est pas une œuvre philanthropique. Cependant la ferme aquacole reste un projet humain qui va associer les Paumotu, à commencer par les habitants de Hao, qui deviendront des producteurs indépendants et non pas des salariés de la ferme, dans le cadre d’une activité bien plus conforme à leur environnement maritime que ne l’était celle du CEP dont vous semblez regretter l’existence. Tout a été fait à leur avantage dans ce projet, jusque et y compris la fourniture des matériels, des alevins, et le financement des formations. Soyez rassuré, le projet aquacole chinois se fera à Hao, avec la population et non pas contre elle ; avec le soutien des élus municipaux et de son maire. Croyez bien que le président veille à ce que les retombées économiques qui en sont attendues soient durables et profitables pour les habitants de la commune.

Yves HAUPERT

Chef du service de la communication de la Présidence


Monsieur Yves Haupert,  

Bien que ma lettre soit destinée à M. Gaston Flosse et non pas à son service de communication, sachez que je vous remercie pour votre lecture et votre réponse.

Les ayants droits sont heureux que le pays soit finalement revenu sur sa politique. L’investisseur avait apparemment choisi soigneusement de s’installer sur nos terres, mais il a finalement choisi de s’installer sur les terres domaniales que fort heureusement le territoire avait gardé de côté pour nous. Oui, vous ne le savez peut-être pas, mais le gouvernement nous avait « proposé » d’échanger nos terrains contre ces fameuses terres domaniales. Je trouve donc plutôt amusant de voir cette volte-face soudaine lorsque l’opposition au projet se durcît. Le Président sait en effet entendre sa population.

Mon problème n’est pas la démocratie. Je me demandais justement pourquoi la majorité gouvernementale voulait modifier les lois encadrant les procédures d’expropriation en incluant "l'installation de ferme aquacole” dans les activités pouvant bénéficier de procédure d'extrême urgence. Il s’agissait apparemment de gagner du temps sur ces mêmes procédures.

Autre fait, dans son esprit de consensus, le pays ne nous a pas laissé beaucoup de choix : l’échange à perte, la vente à perte ou la vente forcée à perte, puisque qu’on nous refusait catégoriquement la location. Vous n’ignorez pas que la valeur accordée aux terres par le Paumotu, n’est pas une question de superficie. Même si on devait nous prendre 10 m2, notre position serait la même. Mes ancêtres sont nés et sont morts sur ces terres monsieur, j’appelle ça de l’exploitation.

Dans votre approche financière, vous avez probablement fait une coquille. L’ensemble des médias parle d’un investissement de 150 milliards sur 15 ans, soit 15 milliards de francs à l’année potentiellement modulable. Permettez qu’à mon tour je vous ramène à une échelle réelle, la dépense supplémentaire pour Makemo aurait été selon vos chiffres de 2,3 milliards, soit 1/6ème de la moyenne à l’année et 1/65ème de l’investissement total sans prendre en compte les revenus conséquents liés à l’aquaculture et les allégements généreusement offerts par le gouvernement. Ces détails font toute la différence. Je peux légitimer parler de « centimes » dans leur future mer de profit.

Ce n’est pas un procès d’intention, j’observe simplement le comportement de cette société. Je suis tout à fait pour ce projet industriel qui pourrait apporter du travail à Hao et l’utilisation des installations militaires, mais je suis contre le vol de terres paumotu sous prétexte d’« utilité publique ». Je ne suis pas non plus un nostalgique du CEP, mais il faut bien reconnaître que la France a véritablement cherché l’acceptation de la population même si son objectif premier n’était pas non plus philanthropique. Si vous résidiez à Hao M. Haupert, vous sauriez que l’Armée vient surtout nettoyer ses déchets, laissés un peu partout dans les mains d’une population non qualifiée et sans moyens pour les gérer. 

Nous discutons sur un sujet apparemment clos puisque le gouvernement a changé d’avis. Nous voulons bien croire vos bonnes intentions, mais cela n’empêchera pas la communauté Paumotu de rester vigilante.

Teariki Munanui. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.