Un constat alarmant pour la démocratie en France
Cela peut sembler bête ou anecdotique de commencer par cette remarque, mais les français de 2017 ne sont plus les français de 1962. Si la France a été capable de républicaniser son penchant historique pour l'absolutisme sous la tutelle de De Gaulle, force est de constater que dans la France du 21ème siècle, le culte du chef et le mode de scrutin qui l'encourage ont privé les citoyens de leurs moyens d'expression les plus élémentaires. La Vème République aurait pu survivre à l'évolution du monde si nos dirigeants successifs en avaient gardé le principe fondateur, transcendant : la souveraineté populaire.
Car si De Gaulle a souvent été taxé d'autoritarisme, parfois à raison, il n'est jamais allé contre la volonté des français. Lorsque sa tentative de référendum a échoué en 1969 et que les français se sont exprimés contre, le Général, grand Chef d'Etat, a compris que son temps était révolu. Chirac, en se déresponsabilisant de l'échec du référendum sur la Constitution européenne et en acceptant de mettre en place le quinquennat, a rompu deux piliers de la Cinquième. C'est donc sous son septennat que le référendum est devenu un outil que l'on peut brandir sans risque politique et que l'Assemblée, dont les députés sont désormais élus après le Président de la République, s'est transformée peu à peu en chambre d'enregistrement des décisions de l'exécutif. A l'aube du XXIème siècle, alors que le parlementarisme devenait la norme en Europe occidentale et dans le monde moderne, la France s'est empêtrée plus encore dans le marasme de l'absolutisme républicain et du présidentialisme à outrance.
Quid des deux principaux contre-pouvoirs, les citoyens et le Parlement, qui permettaient au Chef de l'Etat de se rappeler qu'il n'était rien d'autre qu'un citoyen parmi des millions d'autres ?
Si nous devions tirer les leçons de l'élection présidentielle de 2017 et des législatives qui ont suivi, c'est que nos institutions et notre mode de scrutin sclérosés sont au bord de la faillite, rongés par les intérêts particuliers et le pouvoir de l'argent. Il est devenu impérieux, à défaut de changer la Constitution, de repenser notre mode de scrutin pour l'élection du Chef de l'Etat. Cette idée m'est venue le soir du 23 avril lorsqu'il est devenu évident que ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen ne représenteraient l'ensemble des français. Le débat du deuxième tour a d'ailleurs mis en lumière la honteuse médiocrité des candidats à la fonction suprême. Entre une Marine Le Pen hargneuse et xénophobe et un Emmanuel Macron flou et soumis aux intérêts particuliers des mécènes de son aventure présidentielle, j'ai eu honte. Qu'a-t-on retenu de ce débat ? Rien, si ce n'est la "poudre de perlimpinpin" et le "ils sont partouuuut".
Lorsqu'on s'adresse aux français, peu importe leur âge, leur classe sociale ou leur sexe, une grande majorité d'entre eux ne sont pas dupes. Dans la France de 2017, il suffit d'être contre le candidat du Front National pour être certain d'accéder à l'Elysée. Entre les deux tours, personne n'en doutait. Pis encore, cela a été la stratégie d'Emmanuel Macron dès le début de sa campagne. Si les français ne votent pas pour lui, ils voteront contre son adversaire. Pour la première fois de ma vie, j'ai perdu foi en nos institutions politiques et médiatiques, à quelques exceptions près. Je ne suis malheureusement pas le seul, loin de là... Mais tout n'est pas perdu ! Si cette séquence électorale est terriblement alarmante, dresser un diagnostic nous permettra de guérir notre République. Critiquer notre système n'a rien de négatif, au contraire. Cela pourrait même être salvateur. Attaquons-nous donc aux causes du mal pour le soigner : l'omnipotence des instituts de sondage et l'organisation du scrutin présidentiel qui la confirment.
L'asphyxie sondagière
L'omniprésence et l'omnipotence des instituts de sondage n'est plus à démontrer en France. L'instrumentalisation de la notion fallacieuse de "vote utile" avant même le premier tour n'en est qu'une preuve supplémentaire. Le vote n'est-il pas utile lorsqu'il exprime une opinion personnelle et qu'il renseigne sur la composition politique de la nation ? Si la présence du vote utile au second tour est une évidence - il faut bien choisir le moins pire à défaut du meilleur - il ruine toute représentativité des forces en présence au premier tour. Or, quand la nécessité du vote utile est brandie dès le premier tour par les principaux médias et commentateurs des mois avant le vote pour favoriser un affrontement Macron - Le Pen, l'effet d'exposition remplit son office et la finale promise depuis des mois apparaît comme une malheureuse évidence.
Les mécènes de la campagne En Marche! l'ont bien compris. Lorsque leurs intérêts étaient menacés, c'est à dire dès que leur candidat apparaissait en difficulté, les apprentis sorciers sortaient de leur chapeau un nouveau sondage le donnant archi gagnant, comme à l'issue des débats télévisés du premier tour où beaucoup, sur les réseaux sociaux, déploraient l'inconsistance du candidat et le flou artistique qu'il entretenait volontairement. Et si d'autres candidats - hors Front National - remontent dans les sondages, on les cloue au pilori médiatique. Pour Fillon, c'était relativement simple, il suffisait de déterrer son passé douteux. Pour Mélenchon, la tâche s'avérait plus complexe : l'éditocratie en a donc fait un hybride entre Chavez et Robespierre. Pour couronner le tout, le Président sortant, à seulement quelques jours du premier tour, dénonce le danger de "l'extrême gauche" qui l'avait pourtant aidé à accéder à la fonction suprême en 2012. En bref, la collusion entre les élites politico-médiatiques et l'utilisation à outrance de sondages biaisés ont décapité l'essence même de notre démocratie. Mais comme pour toute maladie, il existe un remède. D'aucuns le trouveront radical et inapplicable, je le considère criant de justice.
Pour une élection présidentielle à trois tours
La solution peut paraître simpliste, elle est pourtant adaptée aux problèmes que rencontre le système politique français. Nous devons mettre en place une élection présidentielle à trois tours, avec interdiction des sondages en période électorale et décalage des calendriers présidentiel et législatif pour redonner à la séparation des pouvoirs la dimension qu'elle n'aurait jamais du perdre. "Beaucoup seront vent debout contre cette mesure !" me dira-t-on.
Hormis les professionnels de la politique et les instituts spécialisés, personne n'y perdrait, au contraire. Si les sondages sont d'ores et déjà interdits le jour du scrutin, cela ne veut-il pas dire qu'ils sont pleinement en capacité d'orienter l'opinion ? Si ce constat est fait et partagé par l'ensemble des observateurs, pourquoi ne pas simplement les interdire en période électorale ?
Voici comment se déroulerait l'élection présidentielle à trois tours :
- Le premier tour n'aura aucun impact sur la suite des événements mais remplacera les sondages désormais interdits en période électorale. Même si seulement 30% des inscrits vont voter, le résultat sera infiniment plus parlant que n'importe quel sondage. A l'issue de ce vote, les citoyens pourront donc, s'ils le souhaitent, changer d'avis et diriger leur vote vers un autre candidat. En faisant face à la conséquence de leur vote, les électeurs se repolitiseront et se mobiliseront au second tour pour affirmer ou infirmer le résultat du premier.
- Le second tour sera l'équivalent du premier tour actuel : les deux finalistes pourront prétendre à la Présidence de la République.
- Le troisième tour sera l'équivalent du second tour actuel : celui qui obtient la majorité absolue devient Président-e de la République.
Si la solution était si simple, pourquoi ne l'avons nous jamais mise en place ? Précisément parce que le mode de scrutin actuel permet de conserver le statut quo qui plait tant à ceux qui gloutonnent sur le dos du peuple. Quelles externalités négatives apporterait ma proposition ? Oui, les instituts de sondages verraient leur activité décroître en période électorale. Oui, les éditorialistes et la presse d'opinion auraient moins de grain à moudre sur ces mêmes sondages. Oui, les élections dureraient deux semaines de plus. Mais à la fin, l'ensemble de la Nation y gagnerait un système plus sain et représentatif. Pourquoi ne sauterions nous pas le pas, nous dont les ancêtres ont su renverser l'absolutisme monarchique ? Valons-nous moins qu'eux ? Je suis persuadé que non.