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Billet de blog 20 février 2018

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Presse profesionnelle : un problème ? Quel problème ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’ensemble de la presse n’est pas touché au même niveau par le manque de confiance de ses lecteurs. La presse professionnelle ne va ainsi pas si mal que cela de ce côté. D’après une étude, réalisée par l’IFOP pour la FNPS (Fédération Nationale de la Presse d´Information Spécialisée) en 2016, la presse professionnelle est perçue comme Crédible et fiable par 91% des sondés, et pour 88 % d’entre eux, elle est utile dans l’exercice de leur métier. De bons chiffres pour une presse, qui ne jouit pourtant pas d’une grande liberté.

Je suis amené pour mon travail à scruter la presse spécialisée en bâtiment, énergie, menuiserie et isolation. A la lecture de cette presse, il n’y a jamais de problème. Bien sûr quand les chiffres de la construction ne sont pas bons, tous les titres de presses reprennent gentiment les mêmes chiffres et les mêmes analyses que ceux du ministère. Quelque soit son sujet, lors de la lecture d’un article, je m’attends à une analyse de la situation, à un décryptage des nouvelles réglementations ou des déclarations d’un Ministre. Rien de tout cela dans la presse Bâtiment. Il n’y a qu’à voir les articles du Moniteur ou de Batiactu (titres de références), dès qu’ils peuvent interviewer Jacques Mézard (Ministre de la Cohésion des territoires) ou Julien Denormandie (secrétaire d’Etat). Une interview d’un homme au pouvoir, c’est vendeur, ça engendre des clicks. C’est sans doute pour cela qu’on a toujours affaire  à un entretien « façon Delahousse ». Aucune question déstabilisante. L’interviewé se trouve sur un tapis rouge, et peut dès lors lire son discours déjà préparé.

Aucune critique ne semble autorisée. Par exemple, lors de l’annonce du plan logement, Le Moniteur, s’est contenté d’une approche factuelle, en reprenant les déclarations des Ministre, sans oser la moindre analyse, ni même sans pointer les contradictions avec la loi déjà appliquée (le plan vise 150 000 rénovations par an de passoires thermiques occupées par des ménages en précarité énergétique, alors que la loi de transition énergétique déjà en vigueur prévoit de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017). Suivra un article un peu plus critique tout de même « Le BTP divisé sur la stratégie logement du gouvernement », mais qui n’est là que parce que les corporations du bâtiment ont montré leur mécontentement. Cela dit, impossible d’être trop négatif. Ainsi les promoteurs seraient les « grands gagnants » de la stratégie logement selon l’article, simplement parce que les dispositifs Pinel et PTZ sont prorogés pour quatre ans ! Eh oui, des gagnants simplement parce qu’ils pourront effectuer leur travail dans des « conditions équivalentes » à celles de 2017.

Outre l’angle (purement formel), ce positionnement a aussi des conséquences sur les informations que l’on retrouve dans cette presse spécialisée, ou plutôt que l’on ne trouve pas.  Par exemple, le dirigeant du groupe Lorillard (spécialistes français de la fabrication et de l’installation de menuiseries extérieures) a été pris la main dans le sac et condamné pour corruption passive, faux, usage de faux et blanchiment. Il faut se rendre sur le journal local L’écho Républication pour avoir vent de l’affaire. Le Moniteur n’en pipera mot. Lors de l’arrivée d’un nouveau dirigeant, il écrira simplement « Il succède ainsi à Loïc Bréhu, démissionnaire ». Même constat, en novembre dernier où un ex-directeur financier de la société Millet Portes et fenêtres est tombé pour avoir détourné 1 600 000 € sur 14 ans. Le Courrier de l’Ouest s’en est fait l’écho. On attend toujours une brève sur la presse bâtiment ou spécialisé menuiserie.

Cette façon de procéder est symptomatique de tout le secteur de la presse bâtiment. La ligne éditoriale est tout simplement inexistante. Elle n’est trop souvent que le relais des décideurs ou des organisations professionnelles. Le Moniteur n’a finalement que peu évolué depuis sa création au XVIIIe siècle. Il s’agissait alors d’un journal d’annonces officielles. Après tout pourquoi ne pas continuer ce travail d’origine ? Il pourrait prendre la forme d’une base de données où chaque organisme lié au bâtiment publierait ses annonces. Cela ne serait pas déshonorant et même fort pratique pour les professionnels.

Pourtant, le positionnement de cette presse est tout autre. Le Groupe Moniteur (qui fait partie du groupe Infopro Digital) se présente en effet, comme le « leader en France de l’information et des services pour les professionnels de l’univers « Construction – Environnement – Collectivités locales » ». Cela donne envie et laisse entendre que rien ne leur échappe, que tout est analysé, inspecté, décortiqué. De plus, pour un abonnement à 495 € par an, on s’attend à ce que nombre d’experts et d’analystes réalisent ce travail. Mais la vérité est bien différente.

Il en va ainsi de « l’information » spécialisée. Ne pas se fâcher avec les dirigeants (de l’Etat ou des entreprises) semble être le maître mot de ce secteur d’activité. Continuer de recevoir les communiqués de presse et interviewer les bonnes personnes sont deux choses plus importantes que l’analyse du marché et de ses acteurs. Ainsi, si vous ne lisez que la presse spécialisée, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

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