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Billet de blog 21 février 2018

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Quand l'instantanéité transforme l'information en simple donnée

Internet a révolutionné la façon dont les médias traitent l’information. La société d’information se transforme peu à peu en « société en temps réel ». Les médias, sont de plus en plus dans le traitement de l’information par l’instantanéité. Faible confiance dans les médias, fake news et autres Décodex en sont les conséquences directes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les modes de consommation de l’information connaissent un bouleversement profond de puis une vingtaine d’années et la progression croissante d’Internet. Le temps où la presse papier était le principal et presque l’unique vecteur de transmission de masse de l’information est aujourd’hui bel et bien révolu. L’apparition des journaux gratuits et la multiplication des sites d’informations sur internet ont affaibli encore un peu plus les journaux traditionnels. Les quotidiens ou magazine connaissent donc une baisse brutale dans leurs ventes (en 1974, on dénombrait plus de 3,8 millions de quotidiens vendus par jour en France, les ventes sont aujourd’hui passé sous la barre des deux millions - source OJD). On voit apparaître un mouvement de concentration sur un nombre restreint de journaux (alors que l’on connaissait encore plus de 200 quotidiens différents au sortir de la guerre, en 2007, ce chiffre est aujourd’hui tombé à 80). La presse connait donc une crise sans précédent. Cette baisse des lecteurs vient notamment d’une concurrence toujours plus grande. Les journaux gratuits, mais surtout la presse en ligne a fait beaucoup de tort à la presse traditionnelle.

L’apparition d’une pluralité des sources d’information à plusieurs conséquences. D’une part, la concurrence devient mondiale, tout le monde (à partir du moment où l’on parle la langue) peut en effet consulter les sites d’informations étrangers. Ensuite, les blogs se sont multipliés, tout comme les sites traitant l’information généraliste (hormis les sites des journaux papiers comme Le Monde ou Libération, on trouve de nombreux pure players). Tous ces sites doivent se démarquer de la concurrence. On assiste à une recherche du scoop, afin d’attirer le lecteur vers le site qui a sortit une information avant les autres. Cette course à l’information, au premier qui publiera l’information importante, amène à une recherche de l’information brute sans analyse approfondie. Le risque c’est de n’avoir qu’une information superficielle, et de ne nourrir le lecteur que d’information, sans compréhension du contexte dans laquelle elle s’inscrit. Ne risque-t-on pas en agissant de la sorte de transformer l’information en un simple produit de consommation et d’occulter les enjeux politiques et sociétaux. L’information sera-t-elle encore de qualité et surtout est-elle toujours aussi fiable et peut-t-on craindre de fausses informations (fake news) à trop vouloir la diffuser rapidement ?

L’information : un produit comme un autre

L’instantanéité de l’information, amène à voir l’information se banaliser comme si elle était obligatoirement présente. Mais, les organismes de presse ont besoin d’être financé, d’avoir des moyens pour être performant et allés chercher les informations sur le terrain. Mais, alors qu’ils sont en grande partie financés grâce à la publicité, on constate depuis quelques années une diminution conséquente des annonceurs au sein des différentes entreprises de presse. La presse quotidienne nationale a notamment perdu plus de 10 % de recettes publicitaires entre 2006 et 2007, elle a encore perdu 3 % en 2011 et encore 6.7 % en 2016. Les journaux ne connaissent donc pas leurs meilleurs jours et nombreux sont ceux vendant à perte. Le fait est que ce manque de moyens financiers est sans doute, une des conséquences qui pousse les professionnels de la presse à publier de plus en plus de données brutes. Les moyens ne sont plus au rendez-vous pour permettre de publier des articles de fonds et de réaliser des reportages, en ayant la possibilité de se rendre le plus possible sur le terrain. Car, les correspondants à l’étranger, ou prendre du temps pour analyser un sujet, a un véritable coût. Trop souvent, le problème vient du financement. Il devient donc rare, voir impossible de réaliser des enquêtes longues, sans qu’aucun papier ne paraisse pendant toute la durée du reportage.

On assiste donc à la généralisation des papiers courts, et à une simplification des sujets traités. Il est impossible de compter le nombre d’articles écrit uniquement sur la base de dépêches d’agences, tant leurs nombres ont progressé. Le manque de moyens a rendu l’instantanéité du traitement de l’information, de plus en plus dépendant des agences de presse et d’autres médias internationaux. Le risque est de ne publier que des informations non analysés et de ne communiquer que des informations provenant de ressources extérieures au journal. Le problème, c’est que les journaux sont dans un cercle vicieux. Car, au final, qu’ils soient en lignes ou sur papier, les journaux publient peu ou prou les mêmes informations [Rieffel, 2005]. Dans le système actuel, la publicité étant leur principale source de revenus, les journaux ont besoin d’attirer les lecteurs, pour attirer les annonceurs. Comme l’information se banalise, les lecteurs sont donc moins assidus à un seul titre et donc les annonceurs ne sont pas intéressés.

L’information est donc un produit qui peut intéressée les annonceurs [Lagardette, 2006], d’ailleurs en 1998, Ryszard Kapuscinski, journaliste et écrivain polonais, parlait déjà en ces termes : « Les technologies de pointe ont provoqué une multiplication des médias. Quelles en sont les conséquences ? La principale, c’est la découverte que l’information est une marchandise dont la vente et la diffusion peuvent rapporter d’importants profits. […] Une information sera jugée sans valeur si elle n’est pas en mesure d’intéresser le public. »

Valoriser l'information

L’information a donc un coût et a besoin de moyens. Pour attirer les annonceurs, il faut donc attirer les lecteurs, les internautes. Les journaux possèdent quelques moyens, pour trouver des financements, mais surtout changer la façon de traiter l’information. Les journaux en lignes sont aussi concurrencé par les réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter. Avec cet outil, l’information instantanée prend tout son sens. Chacun pouvant à tout moment posté des tweets. Les journalistes en France s’en servent de plus en plus. Avant les Français, les journalistes américains  s’en servent depuis une dizaine d'années comme d'un nouveau canal de diffusion de l’information et parfois comme une façon d’en acquérir de nouvelles (le New York Times comptait 2,7 millions de followers en janvier 2011, contre plus de 40 millions aujourd'hui, soit bien davantage que de lecteurs). Cet outil permet, lors de manifestations, d’avoir un compte-rendu précis des événements, et ce dès le début et jusqu’à l’arrivée des journalistes professionnels [Farhi, 2009]. Les internautes surfant sur ce site, savent à quoi s’attendre, et savent que les billets ne dépasseront pas les 280 caractères. Dès lors, les organes de presse peuvent fidéliser leur lectorats, en postant plus de billets et en instaurant un véritable dialogue avec les internautes. Et si les médias sont si présents sur cet outil, c’est qu’ils créent de véritables communautés. Cela permet, de connaître son public et de le fidéliser. D’autant, que par ce biais, les internautes sont plus enclins à apporter des informations au journal.

Quand Instantanéité rime avec surabondance

Avec ce phénomène d’instantanéité, les internautes peuvent avoir accès à une quantité impressionnante d’information. Car, il ne s’agit plus seulement de publier une information importante avant les concurrents. Cela est tout à fait légitime de transmettre une information, du moment qu’elle est vérifiée et véridique. Mais avec la multiplication de l’instantané, cette information pourtant importante et cruciale sera de suite occulter par une autre information d’une valeur moindre, mais qui apparaîtra au même niveau (« Le monde se transforme en musée » [Lesourne, 1998]). On peut prendre comme exemple les flux RSS. Certes, cet outil est très utile quand il s’agit de traiter une masse d’informations de valeurs égales, mais il ne différencie pas les informations et leur importance. Peut-on mettre au même plan les événements qui ont lieu au Yémen et qui font des milliers de morts et les problèmes d'héritage de la famille Smet ? Chacun se fera sa propre opinion, mais le fait est que cette instantanéité a entraîné une non-hiérarchisation de l’information. L’instantané dans les médias amène inévitablement à vouloir transmettre l’information que l’on a dès qu’on l’a, sans au préalable, essayer de savoir si cela est pertinent de la diffuser et si c’est le cas, la forme dans laquelle elle doit être publiée. Doit-elle être traitée comme une brève, une information brute ou doit-elle faire l’objet d’un traitement plus particulier, avec une véritable analyse, une remise dans le contexte…

Vers le sensationnalisme                                                       

Cette instantanéité pose également un autre problème pour les médias que ce soit les journaux, internet, ou la télévision. En effet, malgré le fait que les informations s’amoncellent très vite, il est important pour eux de faire venir le lecteur, le téléspectateur, pour qu’il lise son article ou regarde le reportage. Une certaine partie de la presse essaie davantage de susciter l’émotion chez le public. Cela est notamment vrai lors des catastrophes naturelles. Que ce soit le tsunami en 2004, le séisme en Haïti, ou la mort d'un réfugié Syrien, nombre de médias ont joué la carte du sensationnalisme, de la photo choc. On peut notamment rappeler le traitement il y a quelques années, d'un séisme par un journaliste de la chaîne américaine CNN, qui montrait aux téléspectateurs, des sauveteurs essayant de sauver une femme ensevelie sous les décombre. On pouvait alors entendre les cris de cette dernière. L’information aurait été tout aussi compréhensible, même sans faire montre de tous ces visuels. Le fait de montrer ces images est surtout là pour créer du buzz, pour montrer que la chaîne est bien présente sur place. Pour se différencier, elle n’a d’autres moyens que de diffuser des images inédites, voir en directes.

De plus, ces mêmes événements, aussi important soit-t-il, ont monopolisés l’attention des médias généralistes pendant plusieurs semaines, avant d’être relégués et que d’autres informations ne viennent les remplacer.

Vouloir avoir l’image en premier entraîne donc des comportements journalistiques que l’on ne connaissait pas auparavant. Cela relève aussi de la déontologie journalistique et pose une autre question, qui est de savoir qu’a-t-on le droit de diffuser, de publier.

Cet instantané, fait que les journalistes n’ont plus forcément toujours le temps de vérifier, de recouper les informations qu’ils publient. Si cette information s’avère au finale vraie, alors aucun problème, le journal aura pris un risque, mais qui ce sera révélé payant (ayant diffusé l’information avant tout le monde). Mais si cette dernière est finalement fausse, on tombe alors là dans de la désinformation non intentionnelle(en août 2008, juste avant la fin du journal de 20h sur TF1, avait annoncé qu’un enfant porté disparu avait été retrouvé mort, hors ce dernier était bien en vie).

Cette instantanéité et le nombre toujours croissant d’informations disponibles peut également faire perdre du sens, voir changer intrinsèquement le sens de l’information. On peut prendre l’exemple, des sites généralistes, comme Yahoo actu (fr.yahoo.com) par exemple, qui a l’habitude de créer des titres très court et accrocheur pour pousser l’internaute à cliquer et à en lire un peu plus sur la source originel de l’information. Mais cela amène parfois à avoir un titre qui ne correspond pas du tout à l’article, voir qui déforme la vérité. Par exemple, en décembre 2009, le site titré sur la libération de deux française alors retenus en République Dominicaine : « Carla Bruni-Sarkozy a joué un rôle décisif dans leur libération », après un clique, on arrivait sur le début de l’article et un nouveau titre : « Le rôle "décisif" de Carla Bruni-Sarkozy dans la libération des deux Françaises ». Enfin, l’article d’origine venait du site  LePoint.fr, qui titrait quand à lui : « Le rôle "décisif " prêté à Carla Bruni-Sarkozy dans la libération des deux Françaises ». On voit bien à travers cet exemple que le titre créé pour accrocher l’internaute avant que l’information ne laisse place à une autre change complètement le message réel qui veut être transmis par l’article du Point. Fort heureusement, ce genre de titre n’arrive pas sur tous les articles, mais c’est une des conséquences de l’instantanéité. A vouloir trop accrocher le lecteur, on en arrive parfois à de la désinformation.

De l'instantanée au Décodex

Trop d’information traitée sur un même pied d’égalité, pas le temps de recul nécessaire à une étude, à une analyse approfondie. La recherche systématique du scoop est-elle nécessaire ? Le futur du traitement de l’information par les organismes de presse ne doit pas se limiter à publier un maximum d’informations et ce le plus vite possible, au risque de mener à une information superficielle et donc à une non compréhension de la dite information. Le risque vers lequel s’achemine la presse, est de n’avoir que du journalisme de données, qui se contenterait de diffuser des données brutes (chiffres, graphiques…) ; ou de l'information simpliste, du jugement sans procès, à l'image du Décodex du Monde, donnant les bons et les mauvais points et perd toute complexitié dans l'analyse des informations.

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