En un moment primordial, alors que le GIEC nous donne trois ans pour agir, alors que le monde crève du productivisme et de ses inégalités, alors que nous venons de vivre un quinquennat d’une violence sociale inégalée, alors que le mépris de classe du gouvernement ne fut jamais tant assumé, alors que les libertés fondamentales furent gravement atteintes, alors que la délirante critique du wokisme enfume la société, alors que nous sommes gouvernés comme si nous étions bloqués dans les années 90, avec de vieilles recettes d’école de commerce, tellement loin, mais TELLEMENT LOIN de ce qu’est notre monde, notre quotidien, nos vies… nous méritions mieux.
Face à l’urgence écologique, face aux crises sanitaires, démocratiques, sociales, géopolitiques et j’en passe, le monde nous interpelle. Cette interpellation nous oblige, elle implique que nous prenions nos responsabilités.
Mais alors qui est responsable de cette nouvelle débâcle ? Pourquoi les gens votent-ils à ce point contre leurs intérêts ? Pourquoi préfèrent-ils entretenir la médiocrité de ce temps, voire l’aggraver, plutôt que chercher à s’en sortir ? À qui la faute revient-elle ?
La faute à Gauche ? Si médiocre qu’elle ne parvienne pas à passer au second tour, et ce quand bien même ces cinq dernières années furent vives de mobilisations sociales inédites (gilets jaunes, marches Justice et vérité pour Adama, Me too, Marches pour le climat) ?
Dans un geste suicidaire, dans l’espoir de sauver des partis plutôt que les habitant.e.s de leur pays, Verts et communistes préférèrent saboter les chances du mieux placé de leur camps. La douche est froide, l’inconséquence de leur acte est terrible. L’extrême droite est aux portes du pouvoir. N’oublions pas non plus que le candidat insoumis ne parvint jamais à rassembler les autres familles politiques aux propositions similaires, alors même qu’il avait toutes les cartes en main après 2017. Si sa campagne fut brillante, son programme novateur, et qu’il porta énergiquement les couleurs du progressisme dans un environnement médiatico-politique délétère, sa responsabilité politique n’en reste pas moins lourde à cet égard.
Il est nécessaire et légitime de poser avec lucidité, un diagnostic critique sur cet échec et nul, même le providentiel Mélenchon, ne doit y échapper. La ligne portée par l’Union populaire est désormais absolument dominante à gauche, elle en est la matrice. C’est un bienfait car, la médiocrité d’une ancienne gauche ayant renoncé à son histoire et ayant accouché du macronisme, fut enfin remplacée par une réponse un minimum ambitieuse, réfléchie et synthétique afin de répondre aux urgences sociales, écologiques et démocratiques du pays. Mais cette ligne ne peut être portée par un unique appareil, elle doit irriguer les autres forces de gauches et rassembler pour cela, plus largement encore. Par pitié, les insoumis, ne recommencez pas les erreurs du passé qui impliquèrent notamment la candidature fratricide du PCF et les attaques déchaînées des Verts et du PS à l’encontre de votre candidat.
Mais blâmer la gauche, ne doit pas nous détourner de la responsabilité fondamentale de nos ennemis politiques dans cette débâcle. En effet, il est difficile de tenir et d’exister à gauche dans un pays dans lequel le système déroule le tapis à l’hideuse bête à deux têtes : racisme et mépris de classe. Quoiqu’il se passe, ne soyons pas dupes. Les grands gagnants du résultat de premier tour, ceux qui soufflent d’avoir écarté la menace gauchiste, sont les plus riches. Ils auront Macron leur président bien aimé ou Le Pen, pas si mal non plus, le capitalisme peut s’accommode aisément du fascisme ; qui plus est, elle est la favorite de Bolloré. Ce dernier peut se féliciter d’avoir réussi à recentrer son image en poussant la candidature de son pantin, l’histrion fascistoïde Zemmour. Le bon peuple n’y a vu que du feu et l’extrême droite n’a jamais été si haute et si proche de l’emporter.
Comment lutter lorsque l’expression publique, les pouvoirs médiatiques et politiques sont captifs d’une caste mortifère au service des intérêts des mêmes, toujours des mêmes ? Si les progressistes sont responsables de l’état de la gauche, n’oublions pas qui sont les vrais coupables...
Et maintenant ?
Au 19e siècle Henry David Thoreau s’insurgeait du fait que ces amis antiesclavagistes acceptent les résultats d’élections portant des esclavagistes au pouvoir, « c’est dommage mais c’est la démocratie » disaient-ils. Qu’elle hérésie ! Notre contexte est bien différent mais que pouvons-nous en retenir ? une élection nous impose le cadre de la légalité mais pas nécessairement celui de la légitimité, et ceci encore moins lorsque la Ve République pipe les dés. Macron / Le Pen… je n’accepte pas ce résultat, ce n’est pas dans mes moyens… je ne peux pas me permettre de vivre un autre quinquennat avec son lot de casse sociale, de mépris et de manipulation des foules, non plus, et certainement moins encore, que de voir mon pays gouverné par une bande de nazis.
Il est faux de dire que Macron vaut Le Pen, rien ne serait pire que la libération totale des affects racistes et fascistes, que les ratonnades se déploient en toute impunité. Pourtant, le 24 avril, j’envisage de m’abstenir, non pas pour « aller à la pêche » mais tout au contraire pour préparer l’après, qui, quoiqu’il arrive, me verra entrer en résistance. D’ici là je ne prêterai sur ce point l’oreille qu’à mes ami.e.s racisé.e.s, seul.e.s à même d’infléchir ma décision. Contre l'extrême droite vaut-il mieux s'abstenir ou bien voter pour le promontoire de l'extrême droite ? C'est absurde... Car Macron fera advenir le temps de l’extrême droite, mais une fois seulement qu’il aura détruit les mécanismes de solidarité du pays, réprimé les contestations et brillé par son inaction climatique. Car si Le Pen est élue la prochaine fois, ce que la politique et la (rhétorique !) macroniste mature (n'oublions pas Darmanin, Blanquer, et autres fascistes de salon... quelle société nous restera-t-il pour nous permettre de résister ?
Mais j’opte pour une autre voie… je le dis, que ce soit Macron ou Le Pen, ni l’un ni l’autre ne sera en capacité d’appliquer son programme. Nous ne le permettrons pas. Les jeunes, forces vives du progressisme, ne le permettront pas. Le sang et les larmes qu’ils nous promettent seront leurs.
Ils nous poussent à bout. Renvoyons-leur la pareille : conflictualisons tout, tout le temps, partout. Pas un jour ne doit passer sans que l’on s’indigne, sans que l’on se pose en allié.e.s effectifs de celles et ceux qui subiront les assauts de nos ennemis politiques. Thoreau disait « on ne peut attendre d’un homme qu’il fasse tout mais on peut attendre de lui qu’il fasse quelque chose ». Soyons solidaires entre nous et pourrissons la société qu’ils cherchent à préserver pour en faire advenir une autre.
Mais aussi, si l’on tient à eux, éduquons nos vieux, par la conflictualité s’il le faut. Dans chaque famille, chaque cercle social, ne cherchons pas à préserver ceux que l’on aime de nos reproches. Ils le méritent. Le clivage générationnel semble désormais presque aussi structurant que le clivage de classe, de race ou de genre. Comme en 68. Qu’ils comprennent, un à un s’il le faut, que leur monde n’est plus le nôtre.
Soyons pourtant capable d’écoute, dans les campagnes qui votent RN (celles qui ne sont pas encore irrécupérables), dans les banlieues qui s’abstiennent. Des territoires différemment mais également, appauvris, méprisés, délaissés. Et, chaque fois, faisons preuve de force de conviction ; fertilisons les consciences et les imaginaires.
Ne lâchons rien afin d’entretenir la dynamique de contestation avivée par l’élection. Si l’abattement ou la fatigue nous prend, organisons des rotations, des alliances qui permettront la pérennité de notre combat. Dignes et solidaires, arrachons le monde qu’ils nous refusent.