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Billet de blog 5 février 2010

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Les fins de droits ou le vrai début de la crise sociale

Un million de chômeurs arriveront en fin de droits en 2010, selon les prévisions de pôle emploi (lire l'article). Doit-on pour autant affirmer avec Laurent Wauquiez que "personne n'est en fin de droits" et que la solidarité nationale continue d'assurer un revenu décent aux plus fragiles? Un constat s'impose : les minimas sociaux français sont les plus faibles en Europe de l'Ouest.

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Un million de chômeurs arriveront en fin de droits en 2010, selon les prévisions de pôle emploi (lire l'article). Doit-on pour autant affirmer avec Laurent Wauquiez que "personne n'est en fin de droits" et que la solidarité nationale continue d'assurer un revenu décent aux plus fragiles? Un constat s'impose : les minimas sociaux français sont les plus faibles en Europe de l'Ouest. Accordés en fonction des revenus du foyer, ils ne concernent par ailleurs que 40 % des fin de droits. Des mesures urgentes s'imposent, d'autant plus justes qu'elles seront nécessaires à la sortie de crise.


Un million de chômeurs en fin de droit en 2010. Ce chiffre, saisissant, a été minimisé par le gouvernement. Selon Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, « personne n'est en fin de droits » en France, car les personnes qui n'ont plus droit à l'assurance-chômage bénéficient de prestations de solidarité telles que le revenu de solidarité active (RSA) ou l'allocation de solidarité spécifique (ASS).

Il s'agit là d'un étonnant déni. La très forte augmentation du nombre de « fins de droits » en 2010 marque la véritable entrée dans la crise sociale et appelle une réponse urgente.

1 - 60 % DES CHOMEURS EN FIN DE DROITS NE PERÇOIVENT PLUS AUCUNE ALLOCATION

En France, les personnes sans emploi peuvent bénéficier de deux types de revenus : une indemnité issue de l'assurance chômage, l'allocation de retour à l'emploi (ARE), proportionnelle à leurs revenus d'activité antérieurs, et des minima sociaux forfaitaires, principalement le RSA et l'ASS. Depuis la dernière réforme de l'ARE intervenue en 2009, pour en bénéficier, il faut avoir travaillé un minimum de 4 mois (et non plus 6) au cours de la période de référence (28 mois) précédant la perte d'emploi ; le chômeur perçoit alors l'ARE, dont le montant est de l'ordre de 60 % de son salaire antérieur, pour une durée égale à celle durant laquelle il a travaillé au cours des 28 derniers mois, dans la limite de 2 ans.

Au terme de cette durée, le chômeur est dit « en fin de droits » : il n'a plus droit à l'ARE. Il bascule alors sur la solidarité nationale : les minima sociaux. Mais d'une part, leur montant est bien inférieur à celui de l'ARE : il ne dépend pas du salaire antérieur et est au maximum de l'ordre de 450 € par mois pour une personne isolée. D'autre part, beaucoup n'ont droit à rien. En effet, le droit aux minima sociaux est apprécié en fonction des revenus du ménage et pas uniquement de ceux de la personne en question. Si le conjoint gagne sa vie, même modestement, les revenus du ménage sont supérieurs aux plafonds de l'ASS ou du RSA et le chômeur en fin de droits n'a droit à rien. De plus, les jeunes de moins de 25 ans, fortement touchés par le chômage, n'ont en général droit ni à l'ASS (il faut avoir travaillé au moins 5 ans au cours des 10 dernières années) ni au RSA (malgré la création du « RSA - jeunes », qui ne devrait d'ailleurs entrer en vigueur qu'au 2e semestre 2010, très peu de jeunes seront concernés car il faudra avoir travaillé 2 ans au cours des 3 dernières années). Or ces situations sont en réalité les plus fréquentes : selon Pôle emploi, 16 % des « fins de droits » de 2010 bénéficieront de l'ASS, 22 % du RSA et 62 % de rien du tout. Même ceux qui bénéficieront du RSA ne le percevront le plus souvent qu'à un taux très réduit, du fait des revenus de leur conjoint qui en sont partiellement déduits.

Deux exemples illustrent la gravité de la perte de revenus occasionnée par une fin de droit.

Exemple 1 : Madame X, employée avec 15 ans d'ancienneté, a perdu son emploi lorsque son entreprise a fait faillite fin 2008. Elle touchait 1500 € de salaire mensuel lorsqu'elle travaillait. Pendant deux ans, elle a perçu l'ARE à un montant de 940 €. Aujourd'hui, elle a droit à l'ASS, mais ne touche plus que 454 €. Elle perd donc encore près de 500 € par mois. Son pouvoir d'achat a été amputé de près de 50% par rapport à la période de chômage indemnisé, de 70% par rapport à son revenu d'activité.

Exemple 2 : Monsieur Y, ouvrier, touchait 1200 € par mois lorsqu'il travaillait. Il a perçu l'ARE pendant un an, pour un montant de 816 €. Son épouse ayant conservé son emploi et gagnant également 1200 € par mois, ils auront droit au RSA, mais pour un montant qui n'est que de 124 € . Son revenu s'effondre : il ne touche plus que 15% de ses indemnités chômage, 10% de son revenu d'activité.

2 - LA CRISE ENTRAINE UNE AUGMENTATION BRUTALE DU NOMBRE DE CHOMEURS EN FIN DE DROITS

En 2008, le nombre de chômeurs en fin de droit était de 700 000. Il a augmenté de près de 50 % en deux ans pour atteindre un million en 2010. La crise est la principale cause de cette augmentation : elle rend le retour à l'emploi beaucoup plus difficile et empêche donc les chômeurs d'y parvenir avant l'expiration de leurs droits. En témoigne l'augmentation tout aussi spectaculaire du nombre de chômeurs de longue durée (plus d'un an), qui augmenté d'un quart en un an depuis le 3e trimestre 2008.

Un second facteur consiste de manière paradoxale dans l'amélioration par la réforme de 2009 de la couverture assurancielle des personnes ayant peu travaillé. Il fallait auparavant avoir travaillé six mois pour avoir droit à l'ARE, il suffit désormais de quatre mois. Le nombre des chômeurs indemnisés pour une courte durée étant ainsi augmenté, le nombre de fins de droit croît mécaniquement. Cet effet est cependant secondaire par rapport à celui de la crise.

3 - LES « FINS DE DROITS » ET LEUR FAMILLE SONT LES PRINCIPALES VICTIMES DE LA CRISE SOCIALE

L'impact de la crise sur les revenus des ménages est beaucoup plus ciblé que ce qui est souvent décrit. Trois catégories de ménages peuvent être distinguées :

Ceux dont les membres conservent leur emploi sans réduction de leur durée de travail, qui sont heureusement les plus nombreux. La crise peut engendrer chez eux de l'inquiétude, mais elle ne diminue pas leurs revenus : au contraire, le pouvoir d'achat des salariés a progressé en 2009 du fait de la faiblesse de l'inflation.

Ceux dont un membre passe en chômage partiel ou perd son emploi en étant indemnisé par l'ARE. Ceux-ci subissent une perte de revenu significative, mais qui est raisonnablement absorbée par les systèmes d'indemnisation du chômage partiel ou total : le membre du ménage concerné conserve entre 60 % et 75 % de son revenu antérieur.

Ceux qui basculent en fin de droits, qui sont les principales victimes de la crise. Il est impossible à un ménage concerné par une fin de droits de maintenir son niveau de vie, ce qui peut entraîner de multiples difficultés : surendettement, difficultés à payer le loyer, etc.

La très forte augmentation des « fins de droits » marque le vrai début de la crise sociale, dont on ne mesure pas encore les effets. Les statistiques sur le taux de pauvreté n'étant connues qu'avec deux ans de retard, ce n'est qu'en 2011 qu'on mesurera véritablement le coût social de la crise.

4 - LA SITUATION DES « FINS DE DROITS » APPELLE DES MESURES URGENTES DE SOUTIEN AU REVENU ET DE PRESERVATION DE LEUR CAPITAL HUMAIN

Les fins de droits étant les principales victimes de la crise, c'est vers eux qu'il convient de cibler l'effort de soutien au revenu. Les mesures de relance décidées en 2009 (« prime de solidarité active » de 200 € pour quatre millions de ménages, distribution de chèques emploi-service universels) étaient mal ciblées, un grand nombre de bénéficiaires n'ayant subi en réalité aucune perte de revenu, et finalement trop précoces. C'est aujourd'hui qu'il faut agir, de façon ciblée et énergique.

Terra Nova vient de faire des propositions en ce sens .

Le versement de l'ARE pourrait par exemple être prolongé de six mois à titre exceptionnel, pendant la durée de la crise, ce qui repousserait d'autant le basculement sur les minimas sociaux. Cette mesure, coûteuse (de l'ordre de 2,5 milliards d'euros) mais ponctuelle, serait efficace pour prévenir le basculement d'un grand nombre de ménages dans la pauvreté.

Une autre mesure forte est l'augmentation des minimas sociaux. Le niveau des minimas sociaux, stigmatisés par la dénonciation idéologique de l'assistanat, est en chute libre. La France paupérise ses plus pauvres. Elle est aujourd'hui le pays d'Europe de l'Ouest qui a, et de loin, les minimas sociaux les plus faibles. Nous avons proposé de ramener le RSA d'une personne seule à 50% du SMIC (soit une augmentation de 15%, de 454€ à 525€). Et de l'étendre aux jeunes actifs de moins de 25 ans : c'est le cas dans la quasi-totalité des pays européens.

L'autre risque majeur est de voir un grand nombre de chômeurs s'éloigner durablement du marché du travail à cause de difficultés conjoncturelles. C'est la capacité de croissance de l'économie française à la sortie de la crise qui serait alors affectée. Un consensus existe en principe sur l'opportunité de faire bénéficier les personnes en chômage partiel ou total de formations qualifiantes. Un « fonds d'investissement social » (FISO) a été créé à cet effet, à la demande des partenaires sociaux, en avril 2009, et doté de 2 milliards d'euros. A cause de la désorganisation de Pôle emploi et de la difficulté politique du gouvernement à travailler avec les régions, responsables de la formation professionnelle, la majeure partie de ces fonds n'a pas été utilisée.

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