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Billet de blog 8 juillet 2011

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Gauche : pour une stratégie de valeurs

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La tribune de Bruno Jeanbart :

Bâtir une nouvelle coalition ne signifie pas abandonner les classes populaires

Le rapport « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 » publié par Terra Nova suscite depuis sa sortie de nombreuses réactions et critiques. De ce point de vue, la Fondation ne peut que se féliciter d'être à l'origine d'un tel débat. C'est dans son ADN de poser sur la table les sujets pour que chacun s'en empare. Mais pour que le débat soit juste et utile, il convient de ne pas caricaturer le travail effectué et tenter de le discréditer en affirmant qu'il recommande à la gauche de tourner le dos aux catégories populaires. Rien n'est plus faux et tous ceux qui liront le rapport pourront le constater aisément. Pour bien comprendre le débat en cours, il convient de rappeler en préambule le constat que nous établissons. Dans tous les pays européens, mais également aux Etats-Unis ou en Océanie, les partis sociaux-démocrates sont confrontés à un effritement du socle de leur coalition traditionnelle, à travers un effet de ciseau : d'une part le rétrécissement démographique de la classe ouvrière traditionnelle et d'autre part, la désaffection des ouvriers qui votent de moins en moins pour les partis de gauche - et ce quelle que soit l'orientation choisie par ces partis dans ces pays. Or force est de constater que des stratégies diverses ont été mises en œuvre par la gauche européenne. Qui n'a pas opposé au cours des dernières années les choix différents opérés par le New Labour de Tony Blair, le parti social-démocrate suédois ou le parti socialiste français ? Et pourtant, en dépit de cette diversité, tous sont touchés par la baisse du vote ouvrier en leur faveur, preuve que nous sommes là non pas face à un phénomène conjoncturel mais bien structurel. Au-delà de ce constat, le rapport souligne que les ouvriers ne constituent que l'une des composantes des catégories populaires et que résumer celles-ci à la figure du travailleur de l'industrie conduit à méconnaître la diversité de situations qui caractérise cette frange de la population aujourd'hui. Les employés des services, population très majoritairement féminine, qui connaissent plus souvent que les autres contrats précaires ou à temps partiel, sont tout autant représentatifs des catégories populaires, tout comme certains salariés de la fonction publique de catégories C ou D sous contrat de droit privé, parfois surqualifiés pour les postes qu'ils occupent. Et les jeunes Français issus des Zones Urbaines Sensibles (ZUS) ne font-ils pas eux aussi partie des catégories populaires ? Et vouloir les intégrer au socle électoral d'une majorité de gauche demain, serait-ce tourner le dos aux catégories populaires ? Les difficultés sociales sont-elle d'ailleurs uniquement l'apanage de ces catégories, ne concernent-elles pas également de manière croissante les classes moyennes ? Rappelons que c'est parce qu'une part importante de la classe moyenne a rejoint les ouvriers dans l'euroscepticisme que le « Non » l'a emporté lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel. Le propos ne consiste donc pas à préconiser d'abandonner les « classes populaires » mais bien à prendre en compte cette nouvelle donne et cette réalité dans la construction d'une stratégie électorale gagnante pour la gauche. Oui, il demeure nécessaire de s'intéresser au sort des ouvriers et de s'adresser à eux lors de la prochaine campagne présidentielle. Mais croire que la reconquête de cette catégorie serait une condition suffisante garantissant la victoire de la gauche lors de ce scrutin est une chimère. S'ils doivent faire partie de la nouvelle coalition, ils n'en sont plus le maillon central, pour les raisons que j'ai rappelées en préalable. En revanche, comment ne pas voir qu'il est indispensable pour la gauche de s'adresser également à ceux qui constituent de plus en plus ses soutiens électoraux aujourd'hui, à savoir les diplômés, les jeunes, les femmes et les habitants des quartiers populaires ? Et c'est parce que cette France est minoritaire qu'il faut y agréger une partie des ouvriers et les salariés du public, électorat historique de la gauche.

Il est plus que légitime de discuter des recommandations stratégiques que Terra Nova prend le parti d'assumer à l'issue de ce travail d'un an, mais encore faut-il le faire sans anathème. Car le discours sur la nécessaire reconquête des ouvriers par la gauche n'est pas nouveau, il a déjà plus de dix ans. Quels moyens sont prêts à se donner ceux qui préconisent cette orientation ? Quelles orientations politiques proposent-ils à la gauche sur des sujets aussi divers que la construction européenne, l'immigration ou les questions sociétales (homoparentalité par exemple) ? La balle est dans leur camp...

La tribune d'Olivier Ferrand :

Gauche : d'une stratégie de classe à une stratégie de valeurs

Le dernier rapport de Terra Nova sur la stratégie électorale a suscité une vive polémique : nous proposerions rien moins que d'abandonner les classes populaires. Cette fausse polémique - le rapport ne dit rien de tel - est surtout révélatrice du vrai « surmoi marxiste » de la gauche, sa culpabilité historique à l'égard du monde ouvrier qu'elle ne parvient plus à fédérer. Elle a masqué le vrai débat stratégique posé par Terra Nova. Le voici. Historiquement, la gauche s'est reposée sur une stratégie de classe. Au cœur de son électorat, il y a les ouvriers. La victoire de François Mitterrand en 1981 leur est intimement liée : la classe ouvrière est à son apogée démographique (37 % de la population active) et vote massivement à gauche (72 % au second tour). Autour du cœur ouvrier s'est constituée une coalition de classe : les classes populaires (ouvriers, employés) et une partie des catégories intermédiaires (cadres moyens). Depuis cette date, la coalition historique de la gauche est en déclin. La classe ouvrière se rétrécit : elle ne pèse plus aujourd'hui que 23 % de la population active (et seulement 13 % pour les ouvriers de l'industrie). Et elle vote de moins en moins à gauche. Au second tour, elle donnait une avance de 44 points à la gauche en 1981 (72-28) ; cette avance a fondu pour descendre à zéro en 2007 (50-50). Pour la première fois de l'histoire contemporaine, les ouvriers ne votent plus à gauche. Et au premier tour, ils choisissent le Front national : à 36 % selon un récent sondage Ifop. L'autre pilier de la coalition historique, les employés, a suivi le même mouvement, quoique moins marqué : son vote à gauche s'est réduit de +24 points en 1981 (62-38) à +6 (53-47). La désaffection des classes populaires est un phénomène structurel. L'érosion est continue sur toute la période. Elle se vérifie dans toutes les démocraties occidentales sans exception. A l'origine de cette désaffection structurelle, il y a une divergence sur les valeurs. La gauche, bien sûr, partage les mêmes valeurs socioéconomiques que les classes populaires. Mais, impuissante à répondre à leurs attentes sociales, la gauche au pouvoir les a déçues. Les déterminants socioéconomiques du vote ont dès lors perdu de leur prégnance et ce sont les valeurs culturelles qui deviennent prééminentes dans les choix de vote. Or la gauche politique, sous l'effet de mai 68, s'est engagée dans le libéralisme culturel : attitude favorable aux immigrés, à l'islam, à l'homosexualité, solidarité avec les plus démunis... Une partie des classes populaires, travaillée par la crise et la peur du déclassement, fait le chemin inverse, tentée par le repli identitaire. Quelle stratégie adopter pour la gauche face au rétrécissement de sa base électorale ? Certains sont tentés de droitiser le discours. Objectifs : récupérer les classes populaires qui ont fui vers le FN ; s'élargir aux séniors, électorat clé par sa masse démographique croissante, et qui vote traditionnellement à droite ; et plus globalement, accompagner une société qui glisserait vers la droite, du double fait de la crise et de son vieillissement. Le rapport de Terra Nova conteste cette stratégie. Au nom de l'éthique. Durcissement sur l'immigration, défense intransigeante de la laïcité face à l'islam, reprise du discours anti-assistanat : jusqu'à quel point la gauche peut-elle « trianguler » sans se renier ? Et au nom de l'analyse électorale. Une telle stratégie est une impasse car la gauche y perdrait son nouvel électorat. Si la coalition historique de la gauche est en déclin, une nouvelle coalition émerge. On trouve en son cœur : les quartiers populaires et la France de la diversité (ils votent à 80 % à gauche) ; les jeunes (70 %) ; les femmes (60 %). Beaucoup font partie des nouvelles classes populaires : des classes populaires déclassées, outsiders sortis du marché du travail, victimes du précariat, du chômage, de l'exclusion. On y trouve jeunes en galère de petits boulots en CDD, employées à temps partiel subi, blacks et beurs discriminés à l'embauche... Or cet électorat est violenté, en butte à la vindicte populiste du FN et de l'UMP radicalisée. Dans ses droits : la solidarité nationale dont il bénéficie est contestée au nom de la lutte contre l'assistanat. Dans son identité, avec la stigmatisation des « jeunes » fainéants, de la « racaille » de banlieue, des Français issus de l'immigration rejetés comme « étrangers » à la religion allogène. Cet électorat vote par intermittence. Si la gauche ne le défend pas, alors il ne se déplacera pas dans les urnes. La stratégie proposée par Terra Nova est inverse : une stratégie de valeurs. La défense de toutes les valeurs de la gauche, socioéconomiques comme culturelles. C'est une nécessité au premier tour. Face au risque d'un nouveau 21 avril, la mobilisation de l'électorat de gauche est cruciale. Il s'agit pour beaucoup, on vient de le voir, des nouvelles classes populaires. Et c'est une stratégie gagnante au second. Toute la population française ne glisse pas à droite, au contraire une majorité progressiste émerge en rupture avec la radicalisation populiste. Cet électorat, en phase avec les valeurs de la gauche - la solidarité sociale, l'humanisme - est pour l'essentiel issu des classes moyennes. Cela n'exclut pas de chercher à récupérer les ouvriers ou de convaincre les séniors : mais sur des propositions économiques crédibles pour les premiers, sur la sécurité pour les seconds - pas en renonçant à combattre la xénophobie.

Cesser de reculer, lutter pied à pied contre le populisme : la gauche ne doit pas basculer du surmoi marxiste au surplomb lepéniste. Tel est le vrai enseignement du rapport de Terra Nova : la gauche ne gagnera pas les élections en reniant ses valeurs, mais en les affirmant.

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