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Billet de blog 8 juillet 2011

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Investissements d'avenir : les progressistes doivent faire plus et mieux

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Nicolas Sarkozy a assuré hier le service après-vente du « grand emprunt », lancé il y a dix-huit mois, en janvier 2010.

Le « programme d'investissement d'avenir » issu des travaux de la commission Juppé-Rocard constitue une politique nouvelle qu'il faut saluer sans réserve dans son principe. Le déclin économique de la France est une réalité : sa croissance potentielle n'a cessé de s'éroder depuis trente ans, pour tomber aujourd'hui en-dessous de 1.5 %. Principale explication : nous avons cessé d'investir dans notre avenir. C'est le cas en particulier de la puissance publique : la part des investissements dans la dépense publique est passée de 12.5 % à la fin des années 1970 à 7 % aujourd'hui. Cela correspond à un déficit d'investissement de plus de 50 milliards d'euros par an. Les déficits que nous accumulons servent à financer à 90 % les dépenses de fonctionnement et non les investissements. Réinvestir dans l'avenir est donc bien la priorité économique absolue de la France, sous peine de déclassement durable. A cette aune, les travaux de la commission Juppé-Rocard fournissent les clés principales d'une politique d'investissement réussie : - Sur le plan quantitatif, la commission a proposé une enveloppe de 35 milliards d'euros d'investissement. Il n'était pas possible d'aller au-delà en un seul coup. Il s'agit du besoin de financement supplémentaire maximum que peut supporter le Trésor sans mettre en risque la signature de la France sur les marchés financiers. - Sur le fond, deux priorités pour « assurer la transition vers un nouveau modèle de développement » : l'économie de la connaissance et l'économie verte. La commission propose des investissements « transversaux » (enseignement supérieur, recherche, innovation) et des investissements industriels dans les secteurs les plus innovants : les sciences du vivant (biomédical, innovations agricoles), les énergies décarbonées, la ville de demain, la mobilité du futur, la société numérique. - Sur la méthode, deux innovations. D'abord, un instrument nouveau pour gérer les financements, les fonds de dotation : un capital non-consomptible leur est attribué (seuls les revenus annuels de la dotation servant au financement des projets d'investissement), ce qui rend le supplément de financement définitif (contrairement à des crédits budgétaires, qui peuvent être supprimés d'une année sur l'autre). Ensuite, une approche nouvelle pour la sélection des projets : non plus une approche « pompidolienne », top down, où l'Etat sélectionne lui-même les projets, au risque de faire des erreurs majeures ; mais une approche bottom up, où l'Etat se contente de flécher les financements vers des secteurs prioritaires, mais où il laisse à des appels d'offre, réalisés par des jurys internationaux de spécialistes, le soin de choisir les meilleurs projets. Nicolas Sarkozy a repris telles quelles les préconisations de la commission Juppé-Rocard. Dix-huit mois après son lancement, le « grand emprunt » se heurte pourtant aux limites de sa mise en œuvre. Elles sont au nombre de trois : - Les engagements ont pris beaucoup de retard. Plus d'un tiers des fonds n'aura toujours pas été engagé fin 2011. Surtout, les financements engagés (20 milliards) dorment pour l'essentiel sur le compte courant du Trésor à la Banque de France. Ils ne bénéficient toujours pas aux destinataires finaux - les universités, les organismes de recherche... A l'inverse, le gouvernement a annulé 500 millions d'euros de crédits budgétaires dès 2010, afin de gager la charge d'intérêts du grand emprunt et assurer sa neutralité pour le budget de l'Etat. Parmi ces 500 millions, de nombreuses dépenses d'investissement du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, notamment au CNRS. Pour le dire clairement : le « grand emprunt » a eu un effet négatif sur les investissements publics en 2010. - La sélection compétitive, bottom up, des projets n'est pas respectée. Beaucoup de « visiteurs du soir », à l'Elysée ou dans les ministères, obtiennent un accès direct aux financements du « grand emprunt », sans passer par la case sélection. La violation la plus flagrante se trouve dans la désignation des « laboratoires d'excellence », programme phare du « grand emprunt » : près des deux tiers des dossiers (61 sur 100) ont été retenus par « la volonté du prince », contre l'avis du jury, selon les logiques bien connues de clientélisme mandarinal, politique ou territorial, aboutissant à un saupoudrage généralisé. - La mainmise des « chasseurs de primes ». Les cabinets de conseil ont capté une part importante de la rente du « grand emprunt » pour la mise en valeur purement formelle des dossiers de présentation. Quelles leçons retenir de cet exercice pour les politiques progressistes ? La principale est que le « programme d'investissement d'avenir » ne saurait se limiter à un fusil à un coup. Le sous-investissement français est chronique, depuis trente ans. Les économistes Jacques Delpla et Charles Wyplosz ont chiffré à 400 milliards d'euros le retard d'investissement de la France accumulé sur le long terme. Il faut un programme d'investissement d'avenir tous les ans, de l'ordre de 1 à 2 points de PIB (20 à 40 milliards d'euros), pour raccrocher la France au peloton de tête des économies les plus développées. Ces financements seraient gérés dans un programme budgétaire « investissement d'avenir », séparé des autres programmes ministériels. Ils seraient ainsi sanctuarisés, sortis des arbitrages budgétaires annuels. Leur attribution serait pilotée par un commissariat aux investissements d'avenir, selon les règles de sélection compétitive bottom up suggérées par la commission Juppé-Rocard. Naturellement, la volonté de réinvestir se heurte à la situation des finances publiques du pays. La France cumule en effet surendettement et sous-investissement. C'est donc à une réorientation budgétaire massive qu'elle doit procéder. La gestion classique des finances publiques (économies de gestion sur les politiques publiques avec la RGPP) ne suffira pas. Il faudra faire des choix de politique publique : supprimer des dépenses d'hier pour pouvoir financer les investissements d'avenir. Le Canada, Israël, la Hongrie ont pu y parvenir avec succès ces dernières années. Le prochain gouvernement français devra être à la hauteur de ce défi.

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