Une idée répandue voudrait qu'en matière d'égalité femmes / hommes, l'essentiel soit acquis et que ce combat doive laisser place à des causes, sociales ou environnementales, plus légitimes et plus urgentes. Un simple examen des faits suffit à prouver le contraire : la logique d'émancipation et de rattrapage qui a prévalu dans les années 1960-1980 est à la peine. Dans les domaines de l'égalité professionnelle et salariale, du partage du pouvoir économique et politique, de la répartition des tâches domestiques et parentales, des violences et du sexisme, la France est bien souvent en queue des classements européens. Au rythme actuel, la parité ne serait atteinte à l'Assemblée nationale que dans un quart de siècle... Ces chiffres nous placent au 18e rang dans l'Europe des 27. Dans la haute fonction publique, neuf préfets sur dix, neuf ambassadeurs sur dix sont des hommes. Dans le monde du travail, les femmes travaillent cinq fois plus que les hommes à temps partiel (subi pour 30 % environ d'entre elles) ; les écarts de salaire, à compétence et temps de travail égaux, sont de près de 10 %. Les femmes sont surreprésentées dans les métiers mal payés et peu qualifiés, dans les métiers du soin, de la vente, des services, de l'éducation, et majoritairement dans les tâches d'exécution, en somme tout ce qui est « prolongement des fonctions domestiques » selon les termes de Pierre Bourdieu. Dans la sphère privée, malgré les discours modernistes sur les « nouveaux pères » et les nouveaux couples, les femmes continuent à assurer 80 % des tâches ménagères et des soins aux enfants. Le salarié est invité à se dévouer, la salariée à concilier. La domination masculine au quotidien se manifeste également dans les violences faites aux femmes : en France, une femme meurt de violences conjugales tous les trois jours, tandis qu'on estime à près de 48 000 par an le nombre de viols, sans compter les autres agressions, harcèlements et brimades à caractère sexuel. Dans tous les domaines, depuis le milieu des années 1990, il y a stagnation ou régression. Or la crise économique, la pression sur les salaires, la recherche de flexibilité, la persistance du chômage ne l'expliquent qu'en partie. Le problème est que les femmes sont certes entrées dans l'économie, mais que la société française n'est pas sortie d'une mentalité patriarcale. Il ne faut donc pas laisser croire que le féminisme serait un combat d'arrière-garde. Trop souvent, une cause jugée entendue est une cause qui régresse. Il est plus nécessaire que jamais d'exiger un service public de la petite enfance, une parité effective en politique, l'égalité salariale. Le travail à temps partiel doit être réglementé et déprécarisé, l'accès des femmes aux fonctions de direction doit être favorisé ; l'accès à la contraception et à l'avortement doit être facilité. Dès la petite enfance, le sexisme doit être combattu. Il est aussi temps de tenter des stratégies complémentaires. Le blocage est sans doute également dû à l'hégémonie d'un modèle unique de réussite, d'une mentalité restée patriarcale et que devrait adopter toute femme ambitieuse. Tout se passe comme si les femmes devaient, pour s'autonomiser et s'affirmer, imiter la socialisation masculine, adopter les règles du jeu mises en place dans une optique masculine, c'est-à-dire, à bien des égards, sans considération pour les besoins du couple, de la famille, d'une vie extra-professionnelle. La question était d'intégrer les femmes dans un monde dont les règles et les structures ont été de longue date définies par les hommes, de faire des femmes « des hommes comme les autres », pour reprendre une expression courante sur ces sujets. En d'autres termes, on a tellement voulu offrir aux femmes les attributs d'un certain type de domination - en l'espèce masculine - que celle-ci n'a été que très peu contestée en tant que telle, sauf dans ses aspects machistes les plus violents. Il s'agit de faire de l'égalité des sexes non plus seulement l'affaire des femmes (comme activistes ou bénéficiaires) ou de l'Etat (en tant que relais des revendications et incarnation du progrès social), mais également des hommes eux-mêmes, comme sujets et acteurs. Les hommes ne doivent plus être considérés comme résistants aux conquêtes des femmes, mais comme acteurs et demandeurs d'une égalité globale, dont tous et toutes tireront profit. Ils doivent aussi s'interroger sur les coûts cachés de la masculinité pour eux-mêmes, pour leurs compagnes, leur famille et la société tout entière. Vulnérabilité physique et mentale, moindre longévité, violence contre soi et autrui, forte dépendance à l'identité professionnelle : les hommes ne sont pas que les vainqueurs du jeu social, à bien des égards ils sont dominés par leur domination. C'est aussi en les impliquant que ce combat pour l'égalité des sexes sera mené à bien. Contrairement aux femmes, la plupart des hommes n'ont toujours pas conscience de relever d'une logique genrée, ce qui les a empêchés d'évoluer aussi profondément qu'ont pu le faire les femmes. Les hommes doivent faire leur révolution : eux aussi doivent sortir de la tyrannie patriarcale, qu'elle s'applique à la sphère publique, économique, sociale ou domestique. Telle n'est pas la voie actuellement préconisée par nos dirigeants actuels : le truisme du « travailler plus pour gagner plus », sans aucune réflexion sur l'équilibre personnel ou familial, domine le débat. Une certaine culture française du travail ostentatoire et une forme de cooptation professionnelle par le temps de présence restent en vigueur, incarnées par un modèle masculin « décomplexé ». Parallèlement, l'essor des « services à la personne » marque le retour de la domesticité (massivement féminine) sous couvert de modernité. A supposer qu'elle dispose du même salaire que son alter ego, la femme cadre ambitieuse n'aura donc qu'à imiter les normes masculines et payer une autre femme pour pouvoir se consacrer exclusivement aux affaires : nous tenons l'exemple même d'une égalité sous le signe des hommes. De plus en plus prônée au niveau international, cette démarche d'implication des hommes dans les stratégies d'égalité passe par un congé paternité prolongé et partiellement obligatoire, car la paternité vécue mettra fin au patriarcat, mais aussi par un congé parental partagé et largement indemnisé. Nous proposons également des actions de sensibilisation sur les stéréotypes masculins, dès l'école primaire et le collège ; une lutte contre le sexisme ordinaire, notamment en favorisant la mixité des métiers ; des actions systématiques de prévention ciblées sur les pathologies physiques et mentales masculines comme il en existe pour les femmes, les enfants, les adolescents, les personnes âgées ; des actions de soutien afin de lutter contre l'échec scolaire des garçons, source principale de violences ; un renforcement de l'éducation affective et sexuelle pour endiguer la banalisation silencieuse de la pornographie ; une vision moins sacrificielle des fonctions dirigeantes et électives par le non-cumul des mandats, l'accès au temps partiel de qualité et au télétravail ; un rééquilibrage entre vie professionnelle et vie familiale qui permette un partage des tâches - et des joies - domestiques. Impliquant les hommes, l'égalité femmes / hommes peut être relancée et ouvrir la voie à une société plus juste et plus humaine.
Les propositions du rapport
Réaffirmer les revendications féministes
Famille, couple et maternité
Proposition 1 : Développer massivement les modes de garde des jeunes enfants.
Proposition 2 :Ne pas pénaliser les femmes dans leur carrière en raison de leur maternité.
Proposition 3 : Pour un réel accès à la contraception et au droit à l'avortement. Généraliser le « pass santé contraception » lancé par la Région Ile-de-France.
Proposition 4 : Instaurer la déclaration fiscale séparée pour chacun des membres du couple.
Carrière, conditions de travail et retraite
Proposition 5 : Instaurer une égalité de rémunération effective entre les femmes et les hommes. Créer un observatoire indépendant chargé de vérifier la réalité des engagements des entreprises.
Proposition 6 : Déprécariser le temps partiel subi et revaloriser les retraites des femmes. Repenser les régimes de retraite pour qu'ils ne pénalisent pas les femmes.
Proposition 7 : Pour l'accès des femmes aux fonctions de direction.
Proposition 8 : Instaurer une stricte mixité des internats : même nombre de places pour les filles et les garçons.
Politique
Proposition 9 : Pour un gouvernement paritaire femmes/hommes.
Proposition 10 : Lutter contre le cumul des mandats. Proposition 11 : Pour des modes de scrutin permettant d'atteindre la parité.
Proposition 12 : Créer un statut du citoyen engagé pour permettre l'engagement civique de tous.
Proposition 13 : Rendre obligatoire et effective l'intégration d'une perspective de genre dans toutes les politiques publiques.
Proposition 14 : Créer un outil public d'évaluation des coûts et gains pour la collectivité des mesures prises dans le domaine de l'égalité femmes/hommes.
Violences
Proposition 15 : Lutter contre toutes les violences faites aux femmes.
Représentations
Proposition 16 : Lutter contre la présentation sexiste des jouets. Proposition 17 : Sur toute apparence corporelle retouchée à des fins publicitaires (affichage, magazines, spots, emballage), imposer une signalétique « Photographie retouchée afin de modifier l'apparence corporelle ».
Une stratégie complémentaire : l'implication des hommes
Représentations
Proposition 18 : Inviter les instances de régulation (Conseil supérieur de l'Audiovisuel, Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, etc.) à être plus attentives aux stéréotypes masculins dans les publicités (incompétences familiale et domestique notamment).
Proposition 19 : Au cours de la scolarisation, lutter contre la violence impliquée par le « code de la masculinité » (stoïcisme, bravade, virilité sans nuances, évitement de la honte). Lutte contre les stéréotypes masculins omniprésents dans les manuels scolaires et promotion d'œuvres artistiques anti-sexistes pour la jeunesse (sensibilisation des éditeurs et producteurs, recensement des bonnes pratiques).
Proposition 20 : Dans toutes les campagnes de sensibilisation, intégrer des hommes s'affichant non sexistes et non violents, pour favoriser l'identification.
Proposition 21 : Sensibilisation des personnels de la petite enfance et des personnels enseignants aux problématiques de genre et aux stéréotypes sexués, avec édition de manuels sur les stéréotypes sexués destinés aux garçons et aux filles.
Proposition 22 : Rebaptiser l'école « maternelle », école « élémentaire », et l'école « élémentaire », école « primaire ». Rebaptiser les assistantes « maternelles », assistantes « parentales ». En milieu hospitalier, renommer les unités « mères-enfants », unités « parents-enfants ».
Proposition 23 : Faire de la Fête des Pères une journée de sensibilisation au partage égal des tâches domestiques, parentales et familiales ; lancer une Année européenne de l'implication des hommes dans la lutte pour l'égalité.
Education, formation
Proposition 24 : Organiser un soutien scolaire et psychologique adapté spécifiquement aux jeunes garçons en écoles et collèges.
Proposition 25 : Renforcer et diversifier l'éducation sexuelle et affective dès l'âge de huit ans.
Proposition 26 : Ajouter l'histoire des relations femmes / hommes dans les enseignements littéraire, historique, philosophique du collège et du lycée.
Proposition 27 : Instaurer au collège et au lycée des cours d'économie familiale (cuisine, ménage, consommation, alimentation, soins aux enfants), aussi bien pour les garçons que pour les filles.
Proposition 28 : Développer les men's studies à l'Université. Proposition 29 : Sensibiliser aux questions de genre les étudiants à travers l'instauration systématique d'un module sur l'égalité femmes-hommes dans l'enseignement supérieur. Santé
Proposition 30 : Lancer régulièrement des campagnes thématiques ciblées sur les lieux habituels de sociabilité des hommes (entreprises, espaces de sport, bars) pour prévenir le suicide, la dépression, l'alcoolisme, et encourager la consultation médicale. Formation spécifique des étudiants en médecine et des professionnels de santé pour aider les patients masculins à verbaliser, prendre en charge leur santé (avec focus sur les pathologies masculines, surmenage, dépression, cancer de la prostate, du côlon, des testicules, ou sur les modalités masculines de contraction des maladies comme le SIDA, etc.).
Proposition 31 : Pour améliorer le suivi médical des hommes, les hôpitaux proposeront systématiquement un bilan médical gratuit aux futurs pères (qui se substituerait dans ce cas au bilan médical gratuit proposé tous les cinq ans par l'Assurance maladie).
Proposition 32 : Lutter contre la violence dans le sport et promouvoir l'égalité entre pratiquants masculins et féminins.
Travail
Proposition 33 : Favoriser l'emploi des hommes dans les métiers de la petite enfance, dans l'enseignement, dans les métiers du soin, en revalorisant ces métiers auprès des lycéens et étudiants.
Proposition 34 : Favoriser le travail à distance deux jours par semaine, y compris et surtout pour les fonctions de direction.
Proposition 35 : Favoriser l'accès au temps partiel de qualité pour les salariés par des campagnes de sensibilisation.
Proposition 36 : Interdire les réunions débutant avant 9 h et après 18 h au sein des administrations, grandes entreprises, universités, laboratoires, etc. Pour lutter contre le « présentéisme », fermeture des locaux après 20 h.
Proposition 37 : Former les futurs cadres dirigeants aux enjeux de l'égalité professionnelle avec une dimension articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Ces formations prévoiront la mise en place de groupes d'expression d'hommes, de travaux dirigés sur l'égalité ainsi qu'un tutorat assuré par des femmes.
Proposition 38 : Dans les entreprises, valoriser des rôles modèles positifs. Les entreprises chercheront à mettre en avant des hommes qui à tous les niveaux se sont engagés dans la promotion de l'égalité ou de la conciliation. Couple, famille, paternité
Proposition 39 : Etendre l'actuel congé paternité à huit semaines : les deux premières semaines suivant la naissance sont obligatoires (en référence à l'interdiction de travailler s'appliquant aux mères avant et après la grossesse), les six dernières sont à prendre dans les quatre mois suivant la naissance.
Proposition 40 : Ajouter à l'actuel congé parental d'éducation un congé parental d'éducation de six mois non transférables pour chaque parent, fractionnable sur les trois premières années de l'enfant, avec une rémunération à 80 % du salaire et plafonnée. Egalement, possibilité pour les deux parents de se mettre à temps partiel (4/5e) en étant rémunéré à 100 % durant la première année de l'enfant.
Proposition 41 : Proposer des séances de préparation à la parentalité aux futurs pères avec une prise en charge des frais par la Sécurité sociale (avec autorisation d'absence accordées par l'entreprise). Généraliser la possibilité pour le père de passer la nuit avec la mère dans la chambre de la maternité.
Proposition 42 : Réformer l'assurance maternité rebaptisée « assurance parentale » couvrant à la fois le congé de maternité et le congé paternité. Ces indemnités parentales prendraient en charge 100 % du salaire net dans la limite de deux fois le plafond de la sécurité sociale (contre une fois actuellement). Si nécessaire, augmenter la cotisation maladie pour assurer le surcoût.
Proposition 43 : Pour les entreprises qui souhaiteraient aller au-delà (en pourcentage de prise en charge au delà des deux fois le plafond ou en termes de journées indemnisées), possibilité de déduire 50 % des dépenses dans le cadre d'un crédit d'impôt. Pour les PME, mise en place d'une indemnité forfaitaire pour permettre aux entreprises de faire face au surcoût de l'embauche de la personne en remplacement.
Proposition 44 : Faire de la garde partagée le modèle standard en cas de séparation des parents. La dérogation à ce modèle devra être justifiée de manière objective.
Proposition 45 : Responsabiliser fortement les pères à leurs obligations familiales, afin de lutter contre la précarisation des foyers monoparentaux, qui concernent essentiellement des femmes. Susciter au sein des réseaux d'Ecoute et d'Accompagnement des Parents (REAAP) des initiatives ciblées vers les pères.
Politique
Proposition 46 : Créer des sous-commissions à l'implication des hommes dans les commissions pour l'égalité des sexes.
Proposition 47 : Constituer des réseaux de parlementaires hommes engagés contre la violence faite aux femmes.
Proposition 48 : Créer un Observatoire de la parentalité en politique, pour interpeller les hommes politiques sur leur sensibilité au sujet et en valorisant ceux qui ont pris un congé paternité en vertu de l'exemplarité du comportement des élus.