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Billet de blog 8 juillet 2011

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Pour une gestion publique, solidaire et clarifiée du risque dépendance

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Pourriez-vous nous parler des enjeux de la dépendance des personnes âgées, domaine qui devrait faire l'objet d'une réforme prochainement ? Olivier Ferrand : Le dossier de la dépendance comporte plusieurs enjeux, deux concernent la délimitation de la dépendance par rapport au handicap et la complexité des organismes de gestion de la dépendance ; trois sont d'ordre financier. Le premier enjeu financier repose sur la démographie, avec une forte augmentation à venir du nombre de personnes âgées susceptibles d'être atteintes d'incapacités physiques ou psychiques, soient celles âgées de 85 ans et plus. On compte aujourd'hui en France 1,4 million de personnes âgées de 85 ans et plus, en 2020 elles seront 2,1 millions, ce qui représente une augmentation de 66 %. Après 2020, l'augmentation s'accélère avec l'arrivée des baby-boomeurs à cet âge. On prévoit 4,8 millions de plus de 85 ans en 2050 soit plus du double de 2020. Toutes ces personnes ne vont pas devenir dépendantes, loin de là. D'ici 2025, selon les projections de l'Insee, le nombre de personnes âgées dépendantes de plus de 75 ans devrait connaître une augmentation de 20 % en passant de 740 000 personnes à 920 000. Les progrès médicaux font reculer l'âge de la dépendance, ainsi le nombre d'années en dépendance, contrairement à ce que l'on croit, diminue à l'heure actuelle. La situation est donc sérieuse mais maîtrisable. Un milliard d'euros permettrait de couvrir le simple accroissement démographique d'ici 2020. Le deuxième enjeu financier est l'universalisation de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA)[1] et donc de la couverture de la dépendance. Il existe en la matière un vrai problème de solvabilisation de la demande. Pour l'essentiel, la majeure partie du financement de la dépendance est assurée par les familles. En effet, le prix moyen mensuel facturé par les maisons de retraite en milieu urbain est de 2 000 €, or l'APA pour les placements en établissement se situe à 350 € par mois. Le reste à charge moyen pour la famille est donc évalué à environ 1 500 € par mois. À domicile on pourrait également comparer le niveau de l'APA - soit 450 euros par mois - à celui du ticket modérateur demandé en sus, 180 euros par mois. Ces difficultés de solvabilité de la demande vont de pair avec une limitation en quantité et en qualité de l'offre de soins. Par exemple, 50 % des besoins de prise en charge à domicile ne sont pas couverts et, qualitativement, même s'il y a eu des améliorations dans les bâtiments, certaines maisons de retraite, publiques notamment, devraient être modernisées. Par ailleurs, l'amélioration de la qualification des personnels est certaine mais se heurte également à la question du financement. Pour couvrir cet accroissement des dépenses, il faudrait 3 milliards d'euros. Enfin, le troisième enjeu financier tient à la répartition entre le financement départemental et la solidarité nationale. Aujourd'hui le financement de l'APA provient à 72 % des conseils généraux et à 28 % de la solidarité nationale via la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Telle est la limite du système, les conseils généraux ne pouvant plus prendre en charge de futures augmentations. En outre, il y a un problème de justice sociale parce que les départements ne sont pas égaux. Les départements à la population âgée et pauvre sont défavorisés par rapport aux départements jeunes et aisés. Prenons comme exemples la Creuse et le Val d'Oise. Les financeurs dans la Creuse sont les actifs, soient 47 % de la population, avec un revenu annuel moyen de 11 000 € par habitant. Ces derniers financent donc les risques de dépendance des plus de 60 ans, soit de 34 % de la population de leur département. En revanche, dans le Val d'Oise, le revenu des actifs est de 22 000 € annuels par habitant, soit deux fois celui des actifs de la Creuse. Leur pourcentage dans la population du département est de 57 % et celui des plus de 60 ans est de 14 %. Devant les situations critiques que connaissent un certain nombre de départements, il faudrait opérer un transfert via l'État des départements où la population est riche et jeune vers ceux où elle est pauvre et âgée. Un milliard d'euros de transfert serait suffisant, auquel il faudrait ajouter un milliard d'euros pour accompagner le vieillissement de la population et 3 milliards d'euros pour l'universalisation de l'APA avec une demande solvable et amélioration de la prise en charge. Le total représenterait donc 5 milliards d'euros supplémentaires pour le financement de la dépendance des personnes âgées. Ces chiffres, si importants soient-ils, n'ont rien à voir avec ceux de la retraite ou du déficit public. Une telle somme peut être dégagée sur dix ans sans trop de difficultés. Quelles sont vos propositions concernant la gestion de la dépendance ? Cette question représente un des deux enjeux non financiers de la dépendance, à côté de la différence à faire entre handicap et dépendance. L'organisation du système est extrêmement compliquée. L'assurance maladie assure le remboursement des soins des personnes âgées à domicile et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie finance les soins dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les services médico-sociaux ainsi que la plus grande partie de l'APA. Les conseils généraux sont les « chefs de file » de cette politique selon les lois de la décentralisation. Les agences régionales de santé (ARS) interviennent notamment sur les EHPAD. Participent également la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) par les caisses de retraite complémentaire, les caisses d'allocations familiales (CAF), les associations, la mutualité sociale agricole (MSA), les centres communaux d'action sociale (CCAS) et enfin les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) qui sont censés informer les demandeurs d'aide et coordonner les professionnels. Il est impératif de rationaliser ce système car le public a besoin d'une information centralisée. Pour cela, nous préconisons deux idées simples, d'abord un numéro national d'information, et ensuite un organisme leader au niveau local en termes d'information. La logique voudrait que ce soient les CCAS puisque tous les Français ont affaire à eux. Selon vous, handicap et dépendance doivent-ils être considérés ensemble ou de manière séparée ? C'est le dernier enjeu, celui du périmètre de la liaison entre handicap et dépendance des personnes âgées. Nous proposons la création d'un « cinquième risque » en tant que cinquième branche de la sécurité sociale mais nous ne considérons pas qu'il soit légitime de tout fusionner parce que les besoins et les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Actuellement, dépendance et handicap sont séparés : les personnes âgées dépendantes de plus de 60 ans bénéficient de l'APA tandis que les personnes handicapées de moins de 60 ans reçoivent la prestation de compensation du handicap (PCH). On envisage régulièrement de fusionner les deux, ce qu'avait proposé en 2007 Nicolas Sarkozy alors candidat à l'élection présidentielle[2]. Mais les besoins ne sont pas les mêmes : un jeune handicapé doit développer sa vie sociale, ses réseaux car il va rester handicapé toute sa vie. En ce qui concerne la couverture de la dépendance, les enjeux sociaux sont plus réduits, la durée à couvrir s'élève à trois ans et demi en moyenne. De plus, il y a 71 000 personnes handicapées mais 1,1 million de bénéficiaires de l'APA, chiffre dont on a vu qu'il allait croître fortement. Le montant de la PCH s'élève en moyenne à 980 euros par mois, soit 2,8 fois le montant moyen de l'APA. Notre idée n'est donc pas de fusionner mais d'aider à la convergence et à la rationalisation d'un certain nombre d'éléments. D'abord, il y a deux modalités d'évaluation, le guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées (GEVA) pour le handicap et l'AGGIR pour la dépendance, qui mériteraient sans doute d'être davantage articulés. Par ailleurs, les dispositifs d'information sont aujourd'hui séparés, avec les maisons départementales pour personnes handicapées[3] et le flou décrit précédemment pour la dépendance. L'idée serait de fusionner cela dans les CCAS ou dans les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui pourraient devenir des maisons départementales de l'autonomie. Ces dernières pourraient couvrir à la fois handicap et dépendance des personnes âgées puisqu'il s'agit globalement des mêmes métiers, du même type d'informations et des mêmes missions. Enfin, l'accessibilité dans les transports concerne les deux populations et devrait être traitée de manière indifférenciée. Quelle est votre position concernant les propositions du rapport Rosso-Debord de juin 2010 ? Tout d'abord, le rapport Rosso-Debord propose de limiter l'APA à la couverture de la dépendance la plus grave, soient les Gir de niveau 1 à 3. Cette restriction n'est évidemment pas souhaitable. D'une part, c'est une régression par rapport à la réforme de 2002[4] et d'autre part, ne serait-ce qu'en termes sanitaires, la prise en charge du niveau 4[5] participe à la prévention du risque de dépendance qui est un investissement pour l'avenir. Ensuite, les deux axes de propositions de ce rapport sont l'assurance privée obligatoire et le recours sur succession. La première répond à une logique d'affichage comptable. En effet, si elle est obligatoire, elle revient à un prélèvement obligatoire camouflé par son caractère privé. En outre, l'assurance privée opère une rupture en termes d'équité sociale, entre riches et pauvres, alors que, dans son ensemble, le système maladie offre aujourd'hui les mêmes prestations à tout le monde, quel que soit le niveau de cotisation. Avec l'assurance privée, les prestations sont proportionnelles aux cotisations. Certes, d'autres risques sont couverts de cette façon comme le système des retraites ou de l'assurance-chômage, néanmoins le principe du système maladie repose sur l'égalité, chacun recevant en fonction de ses besoins. Enfin, les spécialistes d'actuariat considèrent que le risque dépendance est difficilement assurable à titre individuel parce qu'il se mesure mal. Aussi est-il probable que les assureurs privés introduisent des clauses léonines pour pouvoir justement prendre en compte cet aspect imprévisible. Donc tout cela mérite réflexion. Je laisse de côté l'aspect idéologique du choix entre une gestion publique ou privée de la dépendance, mais une assurance publique semble plus efficace et équitable. L'autre proposition, le recours sur succession, représente un retour au système de la PSD qui existait avant l'APA. C'est une rupture plus grave encore parce qu'elle introduit un clivage entre personnes en bonne santé et personnes malades. Si l'assurance assure la mutualisation du risque entre personnes en bonne santé et malades, ce n'est plus du tout le cas avec le recours sur succession. Les malades vont payer sur leurs successions le financement de leur propre maladie et subissent ainsi une double peine. Non seulement la dépendance les empêche de profiter de leur fin de vie et de leur famille mais, en outre, ils ne peuvent transmettre l'intégralité de leur succession. Et même si les propositions limitent les sommes récupérées à 20 000 €, une personne hébergée en établissement recevant en moyenne 350 € par mois a une durée de vie moyenne de 3,5 ans, et donc sa prise en charge nécessite 15 000 euros. De plus, la condition d'un patrimoine minimum de 100 000 euros risque de concerner de nombreux retraités puisque c'est le niveau de patrimoine médian en France. Ce système doit être rejeté. Pour financer le risque dépendance, nous proposons d'aligner la fiscalité des retraités sur celle des actifs. Nous ne proposons pas une surtaxe mais un simple alignement sur le droit commun. En effet, les retraités bénéficient d'une fiscalité dérogatoire pour la contribution sociale généralisée (CSG) et l'impôt sur le revenu. Le taux de CSG des retraités varie selon le montant de leur imposition - 0 %, 3,8 % et 6,6 % - de telle manière que leurs taux de CSG restent inférieurs au taux pour les actifs de 7,5 %. Pour ce qui est de l'impôt sur le revenu, les retraités bénéficient d'un abattement pour frais professionnels. Cette fiscalité était légitime dans le passé parce que les retraités étaient globalement pauvres. Mais aujourd'hui leur pouvoir d'achat est équivalent, voire légèrement supérieur, à celui des actifs, si l'on en croit le 7e rapport du Conseil d'orientation des retraites[6]. Faire payer aux retraités le risque pesant sur leur propre fin de vie semble assez logique. Nous souhaiterions donc mettre l'accent sur une solidarité entre les retraités bien portants et les retraités malades mais aussi entre les retraités aisés et les retraités plus modestes. Des sommes importantes pourraient ainsi être dégagées. L'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs permettrait de récupérer 5 milliards d'euros et la suppression de l'abattement pour frais professionnels, 2,7 milliards d'euros, ce qui générerait un total 7,7 milliards d'euros, montant supérieur à ce dont on a besoin. Toutefois, augmenter la fiscalité des petites retraites ne serait pas très juste. Si on fait passer à 7,5 % la CSG des seuls retraités aisés - soit le tiers des retraités, qui payent actuellement 6,6 % de CSG - on obtiendrait 2 milliards d'euros. Avec la suppression de l'abattement pour frais professionnels (2,7 milliards), qui bénéficie au même tiers de retraités aisés, on parviendrait donc à un total de 4,7 milliards d'euros. Cette somme permettrait à peu près de couvrir les aspects universalisation, le renforcement de l'APA et l'accroissement démographique. Les ressources proviendraient intégralement de l'Etat, soulageant d'autant les départements. Elles opèreraient mécaniquement un transfert des départements riches vers les départements pauvres. Valérie Rosso-Debord propose une base de financement public à hauteur de 450 à 550 euros que viendrait compléter la logique d'assurance afin d'assurer une certaine équité sociale, serait-ce un système envisageable pour vous ? Valérie Rosso-Debord propose un socle APA et un supplément assurantiel privé. Comme il se greffe sur l'APA, on peut y voir une privatisation de l'APA dont le financement est actuellement public. Ce qui est proposé pour demain, c'est une substitution de l'assurance dépendance à l'APA, l'objectif est donc bien à terme de supprimer complètement l'APA[7]. Valérie Rosso Debord considère que le recours sur succession permettrait de faire participer des personnes aisées qui bénéficient actuellement de la solidarité nationale pour financer leur séjour en maison de retraite. Que pensez-vous de cette idée selon laquelle les détenteurs de patrimoine participeraient davantage à cet effort ? Certes, l'attribution de l'APA pourrait être soumise à condition de ressources mais la maladie aujourd'hui est une prestation universelle. Bien sûr, on peut considérer que les plus aisés n'en ont pas besoin. Mais ce que propose le Gouvernement est différent car il fixe un plancher extrêmement bas en matière de patrimoine équivalent au patrimoine médian des retraités, soit 110 000 euros. Une grande partie des retraités en perte d'autonomie devraient donc s'autofinancer. La limite d'âge de 60 ans pour passer de la situation de handicap à l'attribution de l‘APA a été remise en question à plusieurs reprises. Quelle est votre position ? Nous proposons plutôt 65 ans pour le passage du handicap à la dépendance pour s'adapter aux évolutions démographiques, ce qui serait plus avantageux car le handicap serait mieux couvert. S'il ne s'agit pas d'un enjeu financier majeur, pourquoi le chantier de la dépendance est-il mis en avant dans le débat politique actuellement ? L'électorat âgé représente un enjeu important.
[1] Créée par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) s'adresse aux personnes âgées de soixante ans et plus, qu'elles résident à domicile ou en établissement. L'allocation est calculée en fonction des revenus des bénéficiaires et de leur degré de dépendance mesuré par six niveaux de perte d'autonomie de la grille nationale AGGIR (Autonomie gérontologie groupes iso-ressources) dits GIR 1 à 6. Le niveau 1 représentant la plus forte dépendance, l'APA ne compense que les GIR 1 à 4, c'est-à-dire les dépendances les plus lourdes. Elle est gérée par les départements. [2] « Je créerai une cinquième branche de la protection sociale pour consacrer suffisamment de moyens à la perte d'autonomie et garantir à tous les Français qu'ils pourront rester à domicile s'ils le souhaitent », in Lettre de Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle, adressée aux Français pour leur présenter son programme électoral, le 29 mars 2007. [3] MDPH, lieu unique d'accueil, d'orientation et de reconnaissance des droits pour les personnes handicapées, créé par la loi du 11 février 2005. [4] La réforme de 2002 correspond à la création de l'APA. La prestation spécifique dépendance (PSD) lui a précédé du 24 janvier 1997 au 31 décembre 2001. Les sommes versées pouvaient, sous certaines conditions, être récupérées sur la succession. [5] Le GIR 4 comprend des personnes avec ou sans problème de locomotion mais qui doivent être aidées pour les activités corporelles et les repas. [6] « Bien que les retraités aient en moyenne des revenus inférieurs aux actifs, leur niveau de vie, correspondant au revenu disponible par unité de consommation du ménage auquel ils appartiennent, est proche de celui des actifs. L'appréciation du niveau de vie relatif des retraités dépend des critères retenus pour le calculer : prise en compte ou non des revenus du patrimoine, choix de la statistique (moyenne ou médiane), et population de référence à laquelle les retraités sont comparés (population en emploi, active ou en âge de travailler) ». Conseil d'orientation des retraites, Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques, Septième rapport, Première partie, chapitre 4, 27 janvier 2010. [7] « En attendant que l'assurance dépendance puisse se substituer au régime actuel de l'allocation personnalisée d'autonomie, le service de cette dernière ne saurait être interrompu. » Proposition n° 12 de V. Rosso-Debord, Rapport d'information déposé par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes, Assemblée nationale, n° 2647, 23 juin 2010.

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