Présenté le 2 octobre dernier, le Projet de loi de financement de la sécurité sociale sera discuté au Parlement à l'automne. Le déficit massif de la sécurité sociale, s'il est en partie imputable à la crise économique, cache un déficit structurel que le Gouvernement renonce à résorber.
Le Gouvernement a présenté le 2 octobre le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2010, qui sera discuté au Parlement à l'automne. Le PLFSS est caractérisé par un déficit massif (31 milliards d'euros pour le régime général en 2010, 60 milliards de déficit consolidé 2008-2010). Certes, ce déficit est en bonne part dû à la crise : le Gouvernement a laissé jouer les « stabilisateurs automatiques », la sécurité sociale fait fonction d'amortisseur social, et c'est une bonne chose. Mais cette réalité conjoncturelle cache un déficit structurel, de l'ordre de 10 milliards d'euros. Les finances sociales posent dès lors quatre problèmes majeurs que le PLFSS pour 2010, comme ses prédécesseurs, ne traite pas.
Une absence de contribution au redressement des finances publiques.
La dette publique française va bientôt atteindre 80% du P.I.B. Les dépenses sociales sont celles qui, au plan structurel, augmentent le plus vite. C'est à elles, qu'est affectée la majeure partie des prélèvements obligatoires : près de 70% - dont 55 % directement via la loi de financement de la sécurité sociale (le reste étant fiscalisé via le budget de l'Etat). Le Gouvernement devrait dès à présent manifester sa volonté de restaurer l'équilibre des finances sociales à moyen terme et indiquer les voies qu'il envisage pour y parvenir.
L'inégalité générationnelle
La sécurité sociale ne devrait pas, en principe, s'endetter de manière durable : ce serait faire financer notre protection sociale par les générations futures. En pratique, c'est massivement le cas : les déficits de trésorerie de la sécurité sociale s'accumulent tous les ans, de manière structurelle, jusqu'à leur consolidation sous forme d'une dette contractée par la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
L'injustice sociale
Les réformes de la Sécurité sociale, tant sur les ressources (impôts proportionnels type CSG ou CRDS) que sur les dépenses (déremboursements, forfaits, ...) ont comme caractéristique leur caractère anti-redistributif : elles pèsent plus sur les ménages modestes que sur les ménages aisés. Couplées à des réformes de l'impôt qui favorisent systématiquement les contribuables les plus riches (ISF, bouclier fiscal, forfaitisation des dividendes, baisses des droits de mutation et de succession...), le système fiscalo-social opère depuis 2002 comme une machine à distribuer à l'envers : en 2010, près de 20 milliards d'euros seront prélevés sur les classes moyennes pour être versés aux plus aisés.
Le contournement démocratique
Le PLFSS ne traite pas de l'essentiel et ressemble le plus souvent à un catalogue de mesures techniques. Les mesures qu'il contient se limitent à une série d'ajustements sur certaines « niches sociales » (intéressement et participation des salariés, assurances-vie, plus-values de cession de valeurs mobilières), sur les remboursements des assurés sociaux (nouvelle augmentation du forfait hospitalier de 16 à 18 euros, nouveaux déremboursements de médicaments) et sur les acteurs de l'offre de soins (baisse des tarifs des radiologues et des biologistes, du prix de certains médicaments, contrôle renforcé des prescriptions d'arrêt maladie). Les réformes les plus importantes du moment, la création d'un secteur optionnel et le changement du système de rémunération des médecins, sont en réalité traitées en dehors du PLFSS, dans le cadre des négociations entre l'assurance-maladie et les syndicats de médecins. Ceci pose un réel problème de gouvernance démocratique : le Parlement est largement évincé sur un budget supérieur à celui de l'Etat et les usagers et contribuables du système de soins ne sont pas autour de la table.
Une brochette de pas moins de cinq ministres et secrétaires d'Etat a présenté le 2 octobre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui sera discuté au Parlement à l'automne. Le rituel aurait pu cette année être quelque peu chamboulé par l'ampleur sans précédent des déficits sociaux. Pourtant, le PLFSS 2010 est d'une grande modestie et ne contient que des mesures à caractère technique ou des ajustements paramétriques des dispositifs existants. L'essentiel sera décidé après la crise, soutient le Gouvernement, comme s'il n'y avait pas urgence face à la dégradation accélérée des comptes sociaux à indiquer les voies du redressement. L'essentiel ne se discute pas en réalité au Parlement, mais dans les négociations entre l'assurance-maladie et les professions médicales.
1 - DES DEFICITS D'UNE AMPLEUR INEDITE
- 10 milliards d'euros en 2008, - 23 milliards en 2009, - 31 milliards en 2010 : tels sont les chiffres du déficit du régime général (celui des salariés du privé) de la Sécurité sociale. En comptant l'ensemble des régimes obligatoires de base (non-salariés, agriculteurs et régimes spéciaux) et le fonds de solidarité vieillesse (qui finance le minimum vieillesse), le déficit prévisionnel devrait atteindre 39 milliards d'euros. Il faut se souvenir qu'en 1993, lors de la dernière grave récession qu'a connue la France, le déficit du régime général n'avait été « que » de 56 milliards de francs, soit environ 11 milliards d'euros d'aujourd'hui, ce qui était déjà considéré comme abyssal. Derrière la litanie du « trou de la Sécu », il y a en réalité un changement d'échelle inquiétant.
Toutes les branches sont touchées par la dégradation, les branches maladie et retraite étant comme chaque année celles qui contribuent le plus au déficit global.
Le Gouvernement invoque l'ampleur de la crise pour expliquer cette dégradation. Les recettes de la Sécurité sociale, principalement assises sur la masse salariale à travers les cotisations sociales, sont en effet très sensibles à la conjoncture économique. Alors qu'elle a progressé en moyenne de 4,5 % par an dans les années qui ont précédé 2008, la masse salariale devrait reculer de 2 % en 2009 et de 0,4 % en 2010, ce dernier chiffre étant basé sur une hypothèse de croissance du PIB de 0,75 %. Le manque-à-gagner pour la Sécurité sociale se chiffre en milliards d'euros.
Ce discours, s'il n'est pas totalement infondé, occulte cependant trois réalités qui ont rendu le financement de la Sécurité sociale plus vulnérable à la crise :
- Depuis 2002, alors que la croissance était de 2 % par an, niveau que les économistes s'accordent à considérer comme le rythme normal de la croissance française, le déficit du régime général a toujours été de l'ordre de 10 milliards d'euros. L'impact de la crise s'ajoute donc à ces déficits accumulés, qui ont un caractère structurel.
- L'ampleur de la dégradation de la masse salariale est due à la rapidité de l'augmentation du chômage. Celle-ci s'explique par le nombre élevé en France de salariés en CDD ou en intérim, qui ont été les premiers à perdre leur emploi, et par des choix gouvernementaux tels que la défiscalisation des heures supplémentaires, qui a conduit les entreprises à préférer les maintenir plutôt que des les diminuer pour protéger l'emploi. En sortie de crise, cette mesure devrait être à nouveau nuisible en ralentissant la décrue du chômage.
- L'hypersensibilité des comptes sociaux au niveau de l'emploi est liée à la nature des ressources de la Sécurité sociale. Alors que plusieurs opérations de substitution de la CSG aux cotisations sociales avaient été réalisées dans les années 1990, permettant une mise à contribution plus équilibrée de l'ensemble des revenus (salaires, mais aussi revenus du capital et de remplacement), ce mouvement a été interrompu depuis 2002.
2 - LA FICTION DU CARACTERE PROVISOIRE DE LA DETTE SOCIALE EST MAINTENUE
La question de la dette sociale est pudiquement passée sous silence par le Gouvernement dans sa présentation du PLFSS. Elle atteignait déjà 109 milliards d'euros fin 2008 et devrait dépasser nettement les 160 milliards fin 2010. La charge de la dette (remboursement des intérêts et amortissement) était de 7 milliards en 2008, soit 70 % du déficit du régime général. Son poids pourrait s'accroître rapidement, non seulement du fait de l'augmentation des sommes à rembourser mais aussi d'une hausse des taux d'intérêt, pour l'instant à un niveau historiquement bas.
Depuis 1996, cette question est régie par l'excellent principe du caractère provisoire de la dette : la Sécurité sociale n'ayant pas vocation à être financée par les générations futures, la constitution d'une dette ne doit être qu'un accident de parcours qu'il importe de résorber à une date déterminée. La dette a été confiée à un établissement public spécialisé, la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui reçoit le produit de la CRDS (l'équivalent de 0,5 % de CSG). Depuis 2005, une loi organique impose que tout nouveau transfert à la CADES soit accompagné d'un accroissement de ses ressources, de façon à ne pas reporter la date d'extinction de la dette. La disparition de la CADES après l'entier accomplissement de sa mission est prévue à ce jour pour 2021.
L'application de ce principe aurait dû conduire le Gouvernement à inscrire dans le PLFSS le transfert à la CADES de la dette accumulée en 2009 et à accroître en conséquence les ressources affectées à cet organisme, par exemple par une augmentation du taux de la CRDS. S'interdisant d'augmenter les prélèvements obligatoires, le Gouvernement a au contraire décidé de laisser cette dette à la charge des régimes sociaux eux-mêmes. Ceci a un coût financier, car le remboursement de cette dette pèse sur la trésorerie des organismes. Le PLFSS 2010 porte le plafond des emprunts que le régime général est autorisé à contracter pour couvrir ses besoins de trésorerie au niveau là encore inégalé de 65 milliards d'euros. Faute de traiter l'endettement de long terme de la Sécurité sociale, le Gouvernement lui impose un endettement très élevé à court terme.
Au-delà de cette coûteuse péripétie, c'est le principe même du caractère provisoire de la dette qui est en cause : comment croire qu'un système qui est en déficit de 10 milliards d'euros dans les bonnes années et de 30 milliards dans les mauvaises n'est pas durablement endetté ?
3 - DES MESURES TECHNIQUES QUI NE SONT PAS A LA HAUTEUR DE LA SITUATION
Face à un accroissement spontané du déficit de l'ordre de 10 milliards d'euros en 2010, le Gouvernement propose un effort de redressement de 3 milliards d'euros. Le choix d'assumer un creusement temporaire des déficits pour ne pas compromettre la reprise économique par une augmentation brutale des prélèvements obligatoires pourrait être juste. Mais on pourrait attendre du Gouvernement qu'il annonce dès à présent sa volonté de lutte contre les déficits et engage les travaux d'élaboration des politiques de redressement. La dégradation de la situation est en effet d'une telle ampleur que seules des mesures profondes de réorganisation pourront y remédier. Si des décisions sont annoncées en 2010 sur les retraites, rien de tel ne semble envisagé pour la branche maladie qui supporte pourtant la moitié du déficit du régime général.
Trois catégories de mesures permettent au Gouvernement d'afficher ce chiffre de 3 milliards d'euros.
- La première porte sur les ressources de la Sécurité sociale et consiste à limiter ou supprimer un certain nombre de « niches sociales ». Le PLFSS prévoit en ce sens :
- d'imposer aux prélèvements sociaux dès le premier euro les plus-values de cession de valeurs mobilières ;
- de supprimer l'exonération en cas de succession des intérêts des contrats d'assurance-vie multisupports ;
- de porter de 2 à 4 % le forfait de cotisations sociales créé en 2009 sur les revenus tirés de l'association des salariés aux résultats de l'entreprise (intéressement, participation, etc) ;
- de doubler le taux de la contribution sur les retraites supplémentaires d'entreprises.
L'ensemble de ces mesures devrait rapporter 800 millions d'euros à la Sécurité sociale.
Cet inventaire, où figurent des revenus du capital, du travail et de retraite, met en évidence le flou de la notion de « niches fiscales et sociales ». Certains des allégements listés ci-dessus concernaient les hauts revenus et leur remise en cause va dans le sens d'une plus grande équité et d'une progressivité accrue du système fiscal. Mais l'intéressement et la participation bénéficient à une large part des salariés, de même que les indemnités versées au titre des accidents du travail qui devraient être soumises à l'impôt sur le revenu dans le cadre du projet de loi de finances. Les objectifs de la remise en cause des niches gagneraient donc à être clarifiés : s'agit-il d'aboutir à un système fiscal plus équitable et plus progressif ou seulement de boucler chaque année les budgets en grappillant quelques centaines de millions d'euros là où les contestations politiques ne seront pas trop fortes ? On peut aussi s'interroger sur la cohérence entre un Président qui promet en juin de redistribuer un tiers des profits de l'entreprise aux salariés et un Gouvernement qui en octobre dissuade les entreprises de le faire en alourdissant la fiscalité de l'intéressement et de la participation.
- La deuxième catégorie porte sur la limitation des remboursements de soins aux assurés. Après les multiples forfaits créés par la loi « Douste-Blazy » de 2004, les franchises de la LFSS 2008 et une pause dans la LFSS 2009, le Gouvernement reprend le processus en portant de 16 à 18 euros le forfait journalier à l'hôpital (le prix qui doit être acquitté pour chaque nuit passée à l'hôpital et qui n'est pas remboursé par l'assurance-maladie) et en poursuivant le déremboursement d'un certain nombre de médicaments. Assez limitées en tant que telles, ces mesures doivent être mises en perspective : une étape supplémentaire dans le désengagement de la Sécurité sociale de la couverture du « petit risque », elles représentent des réformes particulièrement injuste, régressives dans leur principe.
- La troisième catégorie contient des mesures d'économies à la charge des acteurs de l'offre de soins. Les contrôles sur la prescription d'arrêts maladie seront à nouveau renforcés, les pratiques des médecins seront améliorées par la diffusion de référentiels et la signature de contrats individuels avec l'assurance-maladie (600 millions d'euros d'économie sont attendus au titre de cette « maîtrise médicalisée », bien que la Cour des comptes ait dénoncé à plusieurs reprises le caractère exagérément optimiste des prévisions réalisées en ce domaine) et la Sécurité sociale négociera des baisses de prix sur les médicaments. Le taux de croissance du chiffre d'affaires, appelé le « taux K », au-delà duquel les entreprises de médicament sont soumises à une contribution, est ramené de 1,4 % à 1 %. Le prix des actes des radiologues et biologistes, qui sont parmi les professions médicales les mieux payées, sera diminué. Si la plupart de ces mesures vont dans le bon sens, leur timidité doit être déplorée, tant elle est inadaptée à la gravité de la situation.
4 - L'ESSENTIEL N'EST PAS DISCUTE AU PARLEMENT MAIS DANS LES NEGOCIATIONS ENTRE L'ASSURANCE-MALADIE ET LES PROFESSIONS MEDICALES, CE QUI POSE UN PROBLEME DEMOCRATIQUE
Par le contraste entre l'ampleur des déficits et le caractère limité des mesures proposées, le PLFSS 2010 met en évidence une réalité plus ancienne : c'est que les PLFSS, créés en 1996 pour permettre au Parlement de se prononcer sur des masses financières plus importantes que le budget de l'Etat et qui représentent près d'un quart de la richesse nationale, ne lui donnent pas réellement de pouvoir sur les choix essentiels d'organisation de la Sécurité sociale. En matière d'assurance-maladie, en particulier, ces choix sont en réalité arrêtés dans le cadre de conventions entre l'assurance-maladie et les professions médicales, et en premier lieu les médecins.
C'est dans le cadre des conventions entre l'UNCAM, qui négocie pour le compte des principaux régimes (régime général, indépendants et agriculteurs), et ces professions que sont décidés les tarifs remboursés par la Sécurité sociale, les engagements des médecins à diminuer la prescription de certains médicaments ou encore les dispositifs d'incitation ou de coercition destinés à orienter l'installation des professionnels de santé dans les différentes zones du territoire. Les deux réformes les plus importantes pour l'avenir de l'assurance-maladie sont négociées en ce moment même dans ce cadre : le passage d'une rémunération des médecins à l'acte à une rémunération mixte ; la création d'un « secteur optionnel » dans lequel les médecins pourraient pratiquer des tarifs supérieurs aux tarifs remboursés par la Sécurité sociale, mais avec des dépassements d'une ampleur limitée et pris en charge par les complémentaires.
Il est normal qu'il existe un espace de négociation entre l'assurance-maladie et les professions de santé, mais pas que des choix aussi structurants soient décidés souverainement par deux acteurs à la légitimité démocratique incertaine. Le directeur de l'UNCAM, fonction créée en 2004, est nommé par le Président de la République mais bénéficie en pratique d'une large autonomie dans la conduite des négociations ; il est souvent qualifié de « proconsul de l'assurance-maladie ». La représentativité des syndicats de médecins auprès de leurs mandants pose question et la loi « Bachelot » a d'ailleurs prévu l'organisation d'élections professionnelles pour y remédier. Surtout, si les organismes complémentaires participent depuis peu à ces discussions, les usagers et contribuables du système de soins en sont toujours absents.
Ce n'est donc qu'au prix d'une refonte de la gouvernance du système de soins, mettant en place une véritable démocratie sanitaire, que les PLFSS pourront devenir autre chose qu'un catalogue de mesures techniques laissant de côté l'essentiel.