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Billet de blog 21 juillet 2009

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Pour une régulation des prix du pétrole

La volatilité des prix du pétrole est un handicap majeur face aux défis économiques et environnementaux actuels. En brouillant les perspectives de prix, elle rend plus difficile la prise de décisions stratégiques, alors que c'est dès maintenant qu'il faut préparer l'après-pétrole. D'après Gilles Darmois, consultant, une régulation des prix du pétrole passe d'abord par une connaissance précise des spéculateurs, qui jouent un rôle essentiel dans la volatilité des prix. Il faut ensuite limiter les horizons des instruments financiers à terme sur le marché des matières premières.

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La volatilité des prix du pétrole est un handicap majeur face aux défis économiques et environnementaux actuels. En brouillant les perspectives de prix, elle rend plus difficile la prise de décisions stratégiques, alors que c'est dès maintenant qu'il faut préparer l'après-pétrole. D'après Gilles Darmois, consultant, une régulation des prix du pétrole passe d'abord par une connaissance précise des spéculateurs, qui jouent un rôle essentiel dans la volatilité des prix. Il faut ensuite limiter les horizons des instruments financiers à terme sur le marché des matières premières.


La volatilité élevée des prix du pétrole est une mauvaise chose. Elle rend les décisions d'investissement plus difficiles, dans un contexte de crise économique. Elle risque de remettre en cause les programmes indispensables de réduction de consommation dans les logements et les transports. Elle remet en cause la rentabilité des énergies renouvelables en brouillant les perspectives de prix.
Il est maintenant établi que la volatilité est très largement due aux spéculateurs, dont le rôle est utile sur les marchés, sauf quand ils jouent sur la hausse du prix du pétrole à des horizons trop éloignés..
Une régulation passe par deux voies, toutes deux nécessaires :
- Connaître les spéculateurs. De très nombreuses transactions se font en dehors des marchés régulés, avec des acteurs non régulés (fonds spéculatifs, banques d'investissement). Il faudrait que les spéculateurs soient tenus de se déclarer auprès des instances de régulation pour qu'on puisse bien connaître les montants liés à la spéculation.
- Limiter l'ampleur de la spéculation. Les Américains et les Britanniques cherchent aujourd'hui à limiter le volume maximal des positions prises par chaque acteur pour chaque produit. Ceci n'est pas inutile, mais peut être facilement détourné. Il faut limiter à deux ans l'horizon de temps offert à la spéculation. Il subsistera une volatilité, qui permettra aux industriels de se couvrir mais son ampleur moindre n'empêchera pas la prise de décisions.

1 - LES PRIX DU PETROLE SONT FIXES QUASI EXCLUSIVEMENT PAR LES MARCHES ET EN PARTICULIER PAR DES INTERVENTIONS A CARACTERE SPECULATIF


Depuis les années 90, le prix du pétrole est fixé sur deux marchés financiers, dérivés de marchés physiques. Deux qualités de référence ont progressivement été retenues, le WTI (West Texas Intermediate) pour les Etats-Unis et le Brent (nom d'un gisement pétrolier de Mer du Nord) pour le reste du monde. Les prix des autres qualités de pétrole sont fixés par référence aux prix de ces deux bruts, par comparaison de leurs qualités. Les marchés du WTI et du Brent remontent aux années 80. Ils ont tout d'abord été exclusivement des marchés physiques, avec des transactions « spot » et « à terme ». Des marchés financiers se sont créés sur ces marchés physiques, à New York (NYMEX) et à Londres (ICE). On y trouve un ensemble de produits dérivés, depuis le simple contrat "papier" à terme jusqu'à un ensemble croissant de "produits financiers structurés" en passant par de nombreux produits dérivés.
Les intervenants sur les marchés pétroliers sont des industriels (producteurs, traders physiques, raffineurs, distributeurs) et des spéculateurs. Les industriels cherchent à couvrir leurs positions physiques par des opérations "papier". Ils ne prennent jamais de positions spéculatives, et leur horizon est au maximum de deux ans. Les spéculateurs viennent sur le marché pour y trouver un profit. Ils prennent des positions, à la hausse ou à la baisse, à des horizons pouvant aller jusqu'à huit ans. Les spéculateurs sont, dans une certaine mesure, utiles au fonctionnement du marché, car ils apportent la liquidité qui garantit la neutralité du prix obtenu (un très grand nombre de transactions peut difficilement être manipulable, ce qui n'est pas le cas des transactions physiques qui sont en nombre réduit, deux par jour en moyenne pour le Brent par exemple). La contrepartie de la liquidité est la volatilité, créée par les multiples opérations d'achat-vente qui dégagent des bénéfices (ou des pertes) pour les spéculateurs.
Pour décider de leurs positions instantanées, les opérateurs du marché regardent avant tout ce que font les autres, pour faire pareil, si possible un peu avant. Un grand nombre travaille selon des modèles graphiques cherchant à analyser des "tendances" et d'anticiper les "retournements". Rejetant toute idée de rationalité, ils estiment que les cours ne répondent pas à l'analyse de l'information disponible. Ils travaillent sur des "canaux de tendances", des "supports", des "résistances", voire des "chandeliers japonais". Les autres réagissent, selon les jours, à des données sur l'état des stocks de pétrole et d'essence aux Etats-Unis, des indices de confiance des industriels ou des consommateurs, des données macroéconomiques, inflation, taux d'intérêt.
Dans tous les cas, le rôle de l'OPEP en matière de fixation de prix est aujourd'hui quasiment nul. Lors de sa réunion du 17 décembre dernier, l'OPEP a annoncé des réductions de production sans précédent, de 2,2 millions de barils par jour. Cette annonce sur l'équilibre physique offre-demande n'a eu aucune influence sur le marché financier qui a poursuivi sa baisse. La perte de crédibilité de l'OPEP vient du fait que ses membres n'ont pratiquement jamais respecté leurs quotas. De plus, les données sur l'offre et la demande mondiales sont peu précises, aussi bien pour les années passées que pour les projections. Les incertitudes sont largement de l'ordre de grandeur des réductions annoncées par l'OPEP.

2 - UNE SPECULATION EXCESSIVE EXPLIQUE L'EVOLUTION DES PRIX DU PETROLE DEPUIS 2004


Au cours de l'année 2008, les prix des matières premières ont connu des sommets historiques, puis une dégringolade non moins historique. Le prix du pétrole est dans toutes les têtes, avec un WTI chutant de 147 $/b à mi-juin à moins de 50 $ en décembre. Mais c'est aussi vrai des autres matières premières: entre mars et août 2008, l'acier a chuté de 68%, le blé de 67% et l'éthylène de 50%.
L'augmentation considérable qui s'est produite entre 2002 et mi-2008 est directement liée à la spéculation. L'excès d'argent peu coûteux a créé une bulle sur le prix des matières premières, en même temps que les autres bulles (immobilier, actions, ...) selon les mêmes mécanismes. Aucune étude des fondamentaux ne peut justifier une telle hausse. Le caractère spéculatif a été également démontré par l'effondrement brutal du prix, dont ici encore aucune modification des fondamentaux n'a pu justifier l'ampleur.
Dans certains cas, les échanges se font sur un marché organisé, mais le développement de ces dernières années s'est fait sur des marchés de gré-à-gré (OTC, over the counter) directement entre les vendeurs de produits structurés et leurs clients. Par exemple, Goldman Sachs proposait à ses clients de spéculer sur la hausse des matières premières grâce au GSCI (Goldman Sachs Commodity Index), composé pour plus de 75% de produits liés aux hydrocarbures. Le montant des sommes engagées sur ces produits a cru au même rythme que le prix du pétrole. Il a également décru brutalement lorsque la hausse du prix du pétrole s'est arrêtée, amplifiant la baisse comme il avait auparavant amplifié la hausse. On voit aujourd'hui le prix repartir à la hausse, en même temps que les sommes mises en jeu.
Les produits dérivés de gré à gré ont joué un rôle essentiel dans la hausse sans précédent du prix du pétrole. Le gré à gré permet de construire des couvertures exactement adaptées aux besoins des industriels, mais il échappe aux contraintes du marché organisé: pas de chambre de compensation, pas d'obligation de transparence, faible niveau des versements de garantie.

3 - LA VISIBILITE EST FAIBLE SUR L'EVOLUTION DES PRIX A COURT ET MOYEN TERME


Les prix du pétrole connaissent d'une journée sur l'autre des petites variations, à la hausse comme à la baisse. Ces variations illustrent la grande incertitude des opérateurs sur les prix, liée à la double inconnue de la demande et de l'offre à court terme.
Il n'est pas plus déraisonnable d'imaginer un retour à des prix bas (20 à 25 $/b) qu'une remontée des prix dans une fourchette de 60 à 80 $/b. Le premier cas correspond à une accélération des mises en production des très grandes réserves déjà découvertes en Iran et en Iraq, et dont le coût de production est très bas, tandis que la demande reste faible dans une sortie de crise lente et moins intensive en énergie. Le second cas est celui où ces pays producteurs à bas coûts ne peuvent pas investir suffisamment tandis qu'une croissance mondiale repart.
La crise financière a eu un double impact sur les prix du pétrole.
D'une part, elle a réduit la demande pétrolière de l'industrie. Il peut paraître surprenant qu'une réduction de la production industrielle puisse avoir un effet aussi significatif sur la demande mondiale puisque cela fait un bon moment que l'industrie a abandonné le pétrole comme source principale d'énergie. Mais c'est par le biais du transport que le rythme de l'économie mondiale, globalisée, intervient dans la demande pétrolière. Il faudra encore attendre quelques mois avant d'avoir des chiffres fiables sur la baisse de la demande.
D'autre part, les spéculateurs ont été forcés de liquider leurs positions sur le marché pétrolier à terme pour récupérer des liquidités, entraînant un effondrement du nombre de transactions sur le marché. On estime que le montant total investi sur les marchés pétroliers à mi-2008 dépassait 300 milliards de dollars, c'est-à-dire 100 fois la valeur des transactions physiques sous-jacentes. Mais les sommes effectivement mises en jeu par les spéculateurs sont très inférieures, puisque tous les produits dérivés leur apportent un levier très important. Aujourd'hui, après une baisse, le montant des sommes mises en jeu atteint à nouveau 300 milliards de dollars et le prix du pétrole oscille entre 63 et 73 $/b.

4 - POUR UNE REGULATION DES MARCHES PETROLIERS


L'impossibilité de prévoir ce que seront les prix du pétrole à moyen/long terme pose un grave problème aux gouvernements et aux industriels. Pour les gouvernements, les efforts de diversification énergétique et de développement des énergies renouvelables ne doivent pas être interrompus à cause d'une baisse du prix du pétrole qui ne pourrait être que temporaire.
Il est certain qu'il existe encore des ressources de pétrole à développer dans des conditions de prix très favorables, en Iran et en Iraq en particulier. Comme évoqué plus haut, il n'est pas inenvisageable que ces ressources permettent de réduire sensiblement le prix du pétrole, laissant penser qu'il n'est plus nécessaire de préparer dès maintenant l'après-pétrole. Ce serait une erreur dramatique.
Il faut tout faire pour poursuivre dans les voies engagées au plus haut des prix, réduction des consommations unitaires, développement d'énergies alternatives propres. Il faut en particulier éviter d'avoir recours aux pétroles non conventionnels (bruts extra-lourds ou sables bitumineux) qui exigent tellement d'énergie pour les transformer en carburants consommables que leur bilan carbone restera très négatif quelque soit l'évolution prévisible des techniques de production. Il en va d'ailleurs de même du gazole tiré du gaz naturel (GTL, gas-to-liquid) que l'on présente faussement comme une énergie "propre".
Le prix instantané du pétrole restera fixé par un marché financier dont les prix n'ont aucune valeur prédictive. Les bulles spéculatives sont un élément essentiel des marchés financiers, et il faut prendre des mesures permettant d'en éviter la formation. Les spéculateurs ont pu avoir une influence importante sur la hausse des prix entre 2004 et 2008, car les transactions affectant directement le prix se sont déroulées hors marché régulé. Le régulateur ne sait pas, pire encore, il ne peut pas savoir. Quand bien même il saurait, il n'aurait pas de moyens d'agir aujourd'hui.
Le problème vient à la fois d'un excès de spéculateurs et de la capacité qui leur est offerte de jouer sur des horizons de temps trop éloignés. Les hausses brutales de 2005-2008 ont été amplifiée par une abondance de liquidités à faible coût et par des instruments dérivés de plus en plus sophistiqués, qui permettent de mettre en jeu des sommes considérables à un coût instantané très faible.
Aucun industriel ne prend des positions à plus de deux ans. Seuls les spéculateurs jouent sur les prix à cinq ou dix ans, possibilité qui leur a été progressivement offerte en parallèle avec la dérégulation financière générale. Ce faisant, ils déstabilisent l'ensemble des prix, et influent sur les prix instantanés.
Il est donc important de fixer un cadre pour une régulation, autour de deux principes.
Connaître les spéculateurs. La CFTC (Commodity Futures Trading Commission) américaine, régulatrice des marchés de commodités, s'est aperçue en août 2008 qu'elle avait largement sous-estimé le pourcentage du marché pétrolier détenu par les spéculateurs (« investisseurs non-commerciaux ») parce qu'elle ne pouvait pas distinguer entre ceux qui cherchent des couvertures et les autres. Les analystes ont donc sous-estimé la part liée à la spéculation dans la hausse des prix. De nombreuses banques possèdent quelques actifs industriels, ce qui peut entretenir la confusion entre opérateurs cherchant une couverture et spéculateurs. Il faudrait que les spéculateurs soient tenus de se déclarer auprès des instances de régu-lation et que les investisseurs financiers possédant des actifs industriels soient tenus de dire quelle est leur activité principale sur le marché à terme.
Limiter l'ampleur de la spéculation. Il faut interdire les horizons trop éloignés sur les marchés des commodités. Ils n'ont aucun avantage pour les acteurs industriels, et ces instruments purement financiers contribuent à éloigner les prix de l'économie réelle. Il faut limiter à deux ans les horizons des instruments financiers à terme sur le marché des matières premières. On peut interdire aux marchés organisés de proposer des contrats et des options au-delà de deux ans. On peut également autoriser des horizons plus éloignés, à condition d'interdire l'effet de levier, c'est-à-dire en obligeant les opérateurs à payer la totalité du coût de leurs positions. Pour tenir les positions spéculatives d'aujourd'hui, ce ne seraient plus 300 milliards de dollars qui seraient nécessaires, mais entre 10 et 20 fois cette somme.
La régulation permettra aux industriels travaillant sur le produit physique d'obtenir leurs couvertures, tout en limitant considérablement la volatilité. Le prix du pétrole se retrouvera ainsi évoluer dans une bande plus étroite, autour d'une valeur respectant mieux l'équilibre entre offre et demande. Ceci permettra à son tour de prendre des décisions de politique énergétique et d'investissement plus durables, qu'un effondrement brutal ne viendra pas remettre en cause.

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