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Billet de blog 22 mars 2011

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Encadrement des déficits par la Constitution : pour une gouvernance par les procédures plutôt que par les objectifs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Conseil des ministres a adopté, mercredi 16 mars, un nouveau projet de réforme de la Constitution visant à encadrer, à partir de 2012, les déficits par de nouvelles règles de gestion des finances publiques. Si elle est adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, elle sera présentée au Congrès et devra y recueillir une majorité des trois cinquièmes pour être adoptée.

Sur le papier, cette nouvelle réforme constitutionnelle, inspirée des recommandations émises par la Commission Camdessus en juin dernier, entérine certaines règles qui peuvent apparaître comme de « bonne gestion ». Elle imposera à la majorité issue des urnes en 2012 de s’engager via une loi-cadre sur une trajectoire de retour à l’équilibre, et en cas de non-respect de ce cadre, les lois de finances pourraient être invalidées par le Conseil constitutionnel.

Le texte propose d’inscrire dans la Constitution trois séries de dispositions qui sont autant d’innovations dans le droit budgétaire français:

- les « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » s’imposeront, dans certaines de leurs dispositions, aux lois de finances (LF) et lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), et présenteront notamment une date de retour à l’équilibre des comptes publics si ceux-ci font apparaître un déficit ;

- ensuite, seules les LF et les LFSS pourront contenir des dispositions de nature fiscale ou relatives à la Sécurité sociale ;

- enfin, les programmes de stabilité seront communiqués au Parlement, avant qu’ils soient adressés à la Commission européenne.

La réforme s’inspire d’un document bien connu au niveau communautaire : les « perspectives financières de l’Union européenne », programmation quinquennale qui lie juridiquement les budgets annuels de l’Union, et qui a été très efficace pour stopper l’expansion budgétaire de l’UE. Elle donne un cadrage de moyen terme aux exercices budgétaires, ce qui, en ces temps de « court-termisation » des politiques publiques, est une bonne chose. Le principe d’un encadrement des déficits ne saurait par ailleurs être un tabou, compte tenu de leur ampleur actuelle et de la nécessité absolue de les réduire. Les dérives financières constatées depuis trente ans, et jamais jugulées, ne plaident pas pour le statu quo. Enfin, l’argument selon lequel la réforme dépossèderait le Parlement de ses prérogatives budgétaires ne résiste guère à l’analyse : la loi-cadre sera votée par le Parlement, le Parlement n’est donc dépossédé que… par lui-même.

Cette réforme n’est toutefois pas la bonne : elle repose sur des règles d’objectifs, dont l’efficacité est limitée. Des règles à valeur constitutionnelle existent déjà : les critères de Maastricht et le pacte de stabilité. Elles ont pourtant été allègrement violées et n’ont pas empêché la terrible dégradation de nos comptes publics. De telles règles ont deux limites de principe : elles ne prévoient aucun mécanisme visant à tenir compte de la conjoncture et des situations d’urgence ; elles reposent sur des sanctions en cas de violation des objectifs, sanctions qui sont difficiles à mettre en œuvre.

En pratique, la réforme proposée présente aussi des faiblesses spécifiques : les règles ne sont juridiquement contraignantes que pour le budget de l’Etat, soit 30% des dépenses publiques, laissant de côté les finances sociales et locales ; elles ne ciblent que la loi de finances initiale, or les dérives se situent le plus souvent dans l’exécution budgétaire ; les sanctions se limitent à la censure de la loi de finances, ce qui constitue une sanction politique mais sans grande portée opérationnelle, entraînant même la reconduction des déficits que la loi-cadre prétend justement combattre.

La nécessité de réduire nos déficits ne fait pas débat. Le vrai axe de réforme du pilotage de nos finances publiques porte toutefois moins sur des règles d’objectif (inefficaces) que sur des règles de procédure. Elles ont l’avantage d’être réellement contraignantes pour l’exécutif parce qu’elles s’appliquent en amont de la décision budgétaire et permettent d’évacuer les sanctions ex post. Elles tiennent compte de la conjoncture économique et s’y adaptent.

Concrètement, l’encadrement procédural serait le suivant :

- Construire la loi de finances initiale sur la base d’une hypothèse de croissance fournie par un institut indépendant, et non arbitrée par le ministre des finances.

- Retenir l’hypothèse de croissance basse du consensus des économistes. Cela entraînerait donc une rigueur accrue dans l’élaboration du budget. Par ailleurs, seules de « bonnes surprises » seraient possibles dans l’exécution budgétaire (cagnottes). Une telle procédure mettrait fin aux déficits d’exécution constatés systématiquement.

- Affecter les éventuels surplus budgétaires de manière automatique, sur la base d’une règle décidée ex ante par le Parlement. En l’occurrence, étant donnée la situation de la dette publique, la bonne décision serait de les affecter systématiquement au désendettement - c’est la voie qu’ont empruntée avec un remarquable succès nos partenaires hollandais, suédois, britanniques, mais aussi australiens, néo-zélandais ou canadiens – mais aussi aux engagements impératifs pour l’avenir que sont les dotations au Fonds de réserve des retraites (FRR) et les dotations aux pôles, agences et outils existant en faveur de l’innovation et de l’industrie.

De telles règles de procédure sont les seules à pouvoir moderniser les principes même de notre gestion des finances publiques et à répondre à l’urgence de leur retour à une trajectoire soutenable.

NOTE

Le Conseil des ministres a adopté le 16 mars un projet de réforme de la Constitution visant à encadrer les déficits par de nouvelles règles de gestion des finances publiques.

Préparée par le rapport de la Commission présidée par Michel Camdessus remis le 21 juin dernier, cette réforme s’insère également dans le cadre de la réactivation du Pacte de Stabilité, initiée par la Commission européenne, et entérinée cette semaine au Conseil européen, visant à renforcer la surveillance multilatérale des politiques budgétaires des Etats membres à la lumière de la crise de la dette souveraine européenne.

Si la réforme semble, sur le papier, entériner certains principes de « bonne gestion », elle soulève plus de questions qu’elle ne donne de garanties pour l’avenir, notamment sur le terrain de son applicabilité et de son efficacité.

1 - Le principe d’un encadrement des déficits ne peut être un tabou, compte tenu de leur ampleur actuelle

1. 1 - La situation actuelle ne plaide pas pour le statu quo

Entre 2007 et 2011, la dette financière des administrations publiques en France a été multipliée par deux, et a augmenté de 23 points en pourcentage de la richesse nationale (de 63,8% à 86,8% du PIB). Le déficit de l’État, dans le même temps, a plus que doublé, passant de 42 milliards d’euros en PLF 2007 à 92 milliards en PLF 2011. A 7,5% du PIB à la fin de l’année 2010, la France connaît son plus large déficit de l’Etat depuis 1945.

La crise n’explique que pour un peu moins de la moitié cette dégradation des soldes publics, comme l’a souligné la Cour des comptes.

Les effets de la politique fiscale ont été à juste titre pointés du doigt : elle ampute de près de 20 milliards environ les recettes pour le budget de l’Etat depuis 2007, de 45 milliards si l’on fait masse de l’ensemble des réformes décidées depuis 2002. Plus fondamentalement, ces évolutions trahissent les limites des efforts menés en matière de maîtrise des dépenses depuis 2007.

Dans ce contexte, la question d’un encadrement des déficits par la Constitution ne peut constituer un tabou. Dès lors qu’elle s’accompagne d’un retour effectif à une politique budgétaire et fiscale plus responsable, le principe d’un encadrement peut être de nature à rassurer les marchés sur la soutenabilité de notre politique budgétaire, et à limiter la hausse des taux d’intérêts sur notre dette publique.

1. 2 - Les questions soulevées par le rapport de la Commission présidée par Michel Camdessus

Les travaux de la Commission présidée par Michel Camdessus, dont les conclusions, remises en juin 2010, ont guidé les principes de cette réforme, ont soulevé trois légitimes questions :

1. Comment remédier à l’écart ininterrompu entre les perspectives pluriannuelles, en général « vertueuses », des documents d’orientation budgétaire préparés depuis 10 ans par l’exécutif, et des lois de finances constamment en dérive par rapport à ces dernières ?

La réponse apportée par la Commission Camdessus peut apparaître radicale, mais a le mérite de la simplicité : prévoir que chaque gouvernement issu des urnes s'engage, pour cinq ans, sur une trajectoire désormais réellement impérative de rétablissement des comptes publics.

Par quels moyens ? En rendant cette trajectoire pluri-annuelle réellement contraignante pour l’exécutif, en créant dans la Constitution une nouvelle catégorie de lois financières, les « lois-cadres de programmation des finances publiques », pluriannuelles, s’imposant désormais aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, sous le contrôle du Conseil constitutionnel (tant du point de vue de la trajectoire de réduction des déficits, du plafond des dépenses et du plancher des recettes, que de la date de retour à l’équilibre structurel de nos finances publiques).

Il s’agit en quelque sorte de rendre contraignant le « programme pluriannuel de finances publiques » (le programme de stabilité français), remis à Bruxelles par le gouvernement français. La loi-cadre s’apparenterait à un document bien connu au niveau européen : les « perspectives financières de l’Union européenne », qui encadrent de manière contraignante le budget annuel européen, sur une base quinquennale. Les perspectives financières, créées au début des années 1990, ont été un vrai succès : elles ont mis fin aux impasses politiques dans lesquelles s’enlisaient les négociations budgétaires au cours de la décennie précédente ; et elles ont permis de renverser la tendance haussière structurelle du budget communautaire[1].

La Commission présidée par Michel Camdessus a par ailleurs estimé dans ses recommandations qu’il appartiendrait au législateur de fixer la durée couverte par les lois-cadres, et la date de retour à l’équilibre, tout en indiquant que faire voter une telle loi-cadre en début de législature et pour une durée de cinq ans permettrait d’en faire un outil pertinent, adapté au calendrier politique de nos institutions.

2. Seconde question décisive : comment redonner du contenu au débat d’orientation budgétaire en juin, et au débat au Parlement des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale à l’automne, alors que dès le mois de mars, le Gouvernement adresse, par le biais de perspectives pluriannuelles des finances publiques, des engagements financiers fermes aux autorités européennes ?

La Commission Camdessus a estimé que le meilleur moyen était de soumettre le programme de stabilité au vote du Parlement avant sa transmission à la Commission, afin de permettre à la représentation nationale de débattre et de fixer les engagements du pays en matière de finances publiques vis-à-vis de ses partenaires européens. De quoi également nourrir le Débat d’Orientation Budgétaire, qui se tient chaque année au printemps au Parlement.

3. Enfin, troisième et dernière question : comment remédier au foisonnement actuel des mesures affectant les prélèvements obligatoires (impôts et prélèvements sociaux) dans de trop nombreux textes législatifs, qui a abouti à faire de notre Code général des Impôts l’un des codes fiscaux les plus compliqués et instables au monde ?

La Commission Camdessus a estimé qu’il convenait d’inscrire dans la Constitution le principe du monopole des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité Sociale pour l’ensemble des mesures affectant les impôts et les prélèvements sociaux. Une mesure évoquée depuis déjà de nombreuses années au niveau du Parlement.

1. 3 - L’argument selon lequel cette réforme dépossèderait le Parlement de ses prérogatives budgétaires doit par ailleurs être nuancé

Certains s’alarment d’un nouveau recul de la souveraineté budgétaire du Parlement, à rebours du discours sur la revalorisation de son rôle au sein de notre démocratie.

De fait, quelle latitude restera-t-il, chaque septembre, au Parlement, pour peser sur les équilibres de la loi de finances, si tout a déjà été inscrit noir sur blanc dans une loi-cadre pluriannuelle déjà transmise en avril à Bruxelles ?

Cette question ne serait pas si sensible si la France, comme le reste des pays européens, ne connaissait pas une crise majeure de ses finances publiques. Celle-ci nécessitera à l’évidence l’entrée dans plusieurs années de rigueur financière afin de diminuer les déficits et la dette. Qui aura le dernier mot sur les décisions clés du désendettement ? Le Parlement ou Bruxelles ?

En réalité, cet argument doit être fortement relativisé.

En premier lieu, la loi-cadre sera votée par le Parlement. Le Parlement n’est donc dépossédé que par… lui-même. La réalité politique est autre : le Parlement s’engage à moyen-terme devant les Français. Une telle réforme contribuerait à l’inscription dans la durée des décisions politiques, ce qui est une bonne chose dans une période happée par le court-termisme.

Ensuite, la loi-cadre qui s’imposera aux lois de finances annuelles se bornera à définir une trajectoire impérative de solde structurel ainsi qu’un plafond de dépenses et un plancher des recettes de l’Etat et de la sécurité sociale. Dans ce cadre, la liberté du Parlement sera préservée d’utiliser toute la palette d’instruments à sa disposition pour parvenir à l’objectif de redressement des finances publiques.

Par ailleurs, le programme de stabilité, lui-même adressé chaque année par le Gouvernement à Bruxelles, sera formellement validé par le Parlement en avril avant sa transmission à la Commission européenne. De quoi nourrir le débat d’orientation des finances publiques, qui se tient chaque année au début de l’été au Parlement, et soumettre à son vote final les engagements du pays en matière de finances publiques vis-à-vis de ses partenaires européens.

Enfin, si la majorité issue des urnes en 2012 devra s’engager via une loi-cadre sur une trajectoire de retour à l’équilibre, elle pourra adoucir ou au contraire renforcer la pente de la trajectoire à sa guise, pour traduire les orientations déterminées par le suffrage universel de l’élection présidentielle.

La vraie question posée par cette réforme est celle de son applicabilité et de son efficacité.

2 - Cette réforme n’est toutefois pas la bonne : elle repose sur des règles d’objectifs, dont l’efficacité est limitée

2. 1 - Des règles constitutionnelles d’objectifs existent déjà depuis 1995 – les critères de Maastricht : elles sont pourtant allègrement violées et n’ont pas empêché la terrible dégradation de nos comptes publics depuis 2007

En Allemagne, la mobilisation de dispositions constitutionnelles se justifie car c’est le seul moyen d’imposer des règles aux Länder, et il s’agit d’une règle du jeu entre entités publiques dans leurs domaines de compétences.

Dans notre pays, la Constitution n’est pas l’outil le mieux adapté pour redresser les déficits.

Tout récemment, l'inscription dans une loi organique d'une date impérative de remboursement de l’ensemble de la dette sociale s’est révélée vaine. Le Parlement a voté l'an dernier une loi organique qui repousse cette date, l’exécutif s’étant rendu compte qu’elle ne serait pas respectée. Le redressement des finances publiques est un vrai sujet en France, qui nécessite, à l’évidence, d’autres réponses.

2. 2 - De telles règles ont deux limites de principe : elles sont incapables de prendre en compte la conjoncture ; elles reposent sur des sanctions difficiles à mettre en œuvre

- Les règles d’objectifs sont indépendantes de la conjoncture : elles ne prennent pas en compte les situations d’urgence et les circonstances exceptionnelles.

Que faire en cas d’événement majeur et imprévu, nécessitant une ouverture rapide de crédits sur le budget de l’Etat ?

La solution est aussi simple en théorie qu’impraticable dans la vie réelle : il faudrait que le Gouvernement présente et que le Parlement vote, en quelques jours, ou quelques semaines tout au plus, une nouvelle programmation pluriannuelle, avec l’ensemble des informations que la loi organique rendra obligatoires dans la loi-cadre, avant d’adopter une loi de finances rectificative.

Or la crise récente a mis en évidence la nécessité d’une intervention d’urgence du législateur financier. Ainsi, en octobre 2008, la loi de finances qui a mis en place le plan de sauvetage des banques, a été préparée en un week-end et votée en moins d’une semaine ; certes, ce texte n’ouvrait pas de crédits budgétaires, mais il aurait pu en être autrement et il pourrait aisément l’être à l’avenir.

- Par ailleurs, les règles constitutionnelles d’objectifs reposent sur des sanctions qui sont difficiles à mettre en œuvre et peu efficaces.

Difficiles à mettre en œuvre : le Conseil constitutionnel prendra-t-il le risque de censurer par exemple une loi de finances contraire à la loi-cadre pluri-annuelle, avec les conséquences politiques et financières que l’on suppose ? Le dispositif proposé risque de devenir une source de contentieux infinis, dès lors que la loi organique prévue pour venir détailler les modalités de la réforme aura bien du mal à régler l’ensemble des cas qui pourraient se présenter au juge constitutionnel.

Et peu efficaces : en cas de censure d’une loi de finances initiale par le Conseil constitutionnel, l’exécutif devra certes en supporter le coût politique, mais sur le fond, cette censure entraînera des implications limitées.

La loi organique relative aux lois de finances prévoit en effet que dans ce cas, et pour ne pas pénaliser le fonctionnement des administrations publiques, le Parlement adoptera des « douzièmes provisoires » – fondés, pour les résumer simplement, sur la reconduction, en base mensuelle, pour chaque mission de l’Etat, du budget précédent à l’identique, en attendant que soit adoptée une nouvelle loi de finances initiale (ou un nouveau projet de loi de financement de la Sécurité sociale) conforme à la loi-cadre.

L’écart entre le projet de budget initial et la trajectoire retenue dans la loi-cadre se retrouvera donc, lors des premiers mois d’exécution, dans l’application de ces douzièmes provisoires … La sanction aboutira donc à proroger le déficit public et non à le combattre.

2. 3 - La portée des lois-cadres d’équilibre est trop limitée pour garantir le redressement des finances publiques : les règles proposées ne lieront que le budget de l’Etat

La révision constitutionnelle prévoit que les nouvelles lois-cadres d’équilibre des finances publiques s’imposeront aux lois de finances, qui concernent les recettes et les dépenses de l’Etat, et aux lois de financement de la sécurité sociale. En revanche, elles ne s’appliqueront pas aux collectivités territoriales, afin de ne pas remettre en cause le principe d’autonomie de ces collectivités.

Il faut ainsi bien comprendre la portée de ces lois-cadres. Pour l’Etat, elles fixeront un plafond de dépenses, pour chacune des années de la programmation. Pour la Sécurité sociale, elles se borneront à fixer un niveau maximum pour les objectifs de dépenses des différents régimes, puisque les dépenses sociales ne sont pas soumises à un plafond contraignant. Pour les collectivités territoriales, aucune norme impérative ne sera définie dans les lois-cadres.

Autrement dit, les lois-cadres ne seront véritablement contraignantes que pour le budget de l’Etat, qui ne représente qu’environ 30 % de la dépense publique. Certes, l’Etat totalise plus de 75 % du déficit des administrations publiques, mais son budget porte déjà l’effort de maîtrise de la dépense le plus strict (une stabilisation en valeur hors charges de la dette et de pensions sur la période 2011-2013).

Si elles veulent assurer une diminution sensible du déficit public, les lois-cadres devront ainsi imposer un niveau minimal de recettes publiques, c’est-à-dire préserver ou, plus vraisemblablement, accroître le niveau des prélèvements obligatoires, au-delà même de la réduction des niches fiscales ou sociales. Ce ne serait pas le moindre des paradoxes pour un Gouvernement qui s’est engagé à ne pas augmenter les impôts ; il est vrai qu’en introduisant cette révision constitutionnelle en fin de législature, le Gouvernement laisse toutefois ce soin à ses successeurs.

2. 4 - Même pour le budget de l’Etat, la réforme, en ne ciblant que la loi de finances initiale, risque d’être peu efficace pour lutter contre les dérives traditionnelles constatées en exécution

Depuis des années, on observe que le vrai problème de la dérive des comptes publics ne provient pas tant des déséquilibres des lois de finances initiales (LFI) mais des écarts d’exécution entre ce qui avait été promis en LFI et l’exécution finale des budgets. En d’autres termes : à quoi cela sert-il de renforcer encore la rigueur avec laquelle les budgets initiaux sont votés, si l’on constate toujours les mêmes dérives dans leur application ?

Tant qu’un suivi précis de l’exécution des programmes de stabilité ne sera pas possible, tant qu’une autorité européenne des comptes publics, compétente pour définir la méthodologie permettant d’aboutir à l’homogénéité des normes de présentation des budgets nationaux, de leur exécution et des situations patrimoniales des Etats ne sera pas créée, tant qu’enfin les budgets initiaux resteront adoptés sur la base d’hypothèses de croissance, sans cesse remises en cause, et non étayées par un « consensus macro-économique européen » de prévisions harmonisées, la « sincérité » de la réforme restera posée.

3 - La position de Terra Nova : le vrai axe de réforme du pilotage de nos finances publiques porte moins sur des règles d’objectifs (inefficaces) que sur des règles de procédure

La piste des règles d’objectifs ne nous semble pas la bonne. De telles règles ont dans un passé récent souvent été inefficaces (voir annexe).

Le vrai axe de réforme doit porter sur l’édiction de règles de procédure. Elles sont réellement contraignantes pour l’exécutif : ces règles, parce qu’elles s’appliqueraient en amont de la décision budgétaire, permettraient d’évacuer la question des sanctions ex post, par construction aléatoires. Et elles ne sont pas liées à la conjoncture : elles encadrent la procédure budgétaire (obligation de moyens), ce qui n’empêche pas le budget de s’adapter sur l’ensemble du cycle économique (pas d’obligation de résultats en termes de soldes budgétaires).

La vraie réforme consiste à fonder un nouveau cadre institutionnel de préparation et de contrôle budgétaire.

Il convient en priorité de fixer de nouvelles règles pour une gestion plus vertueuse des finances publiques tout au long des cycles économiques. Plusieurs mesures y participeraient, notamment :

- Construire la loi de finances initiale sur la base d’une hypothèse de croissance fournie par un institut indépendant, et non arbitrée par le ministre des finances.

- L’hypothèse de croissance retenue serait l’hypothèse basse du consensus des économistes. Cela entraînerait donc une rigueur accrue dans l’élaboration du budget. Par ailleurs, seules des « bonnes surprises » seraient possibles dans l’exécution budgétaire (cagnottes). Une telle procédure mettrait fin aux déficits d’exécution constatés systématiquement.

- L’affectation des éventuels surplus budgétaires serait décidée ex ante par le Parlement. En l’occurrence, étant donnée la situation de la dette publique, la bonne décision serait de les affecter systématiquement au désendettement - c’est la voie qu’ont empruntée avec un remarquable succès nos partenaires hollandais, suédois, britanniques, mais aussi australiens, néo-zélandais ou canadiens – mais aussi aux engagements impératifs pour l’avenir que sont les dotations au Fonds de réserve des retraites (FRR) et les dotations aux pôles, agences et outils existant en faveur de l’innovation et de l’industrie.

D’autres règles de procédures pourraient être envisagées également :

- Renforcer le pilotage des finances publiques sur la base du déficit dit « primaire » qui, excluant les intérêts de la dette, constitue le vrai indicateur de rigueur d’un budget ;

- Fixer un plafond maximal de déficit des sections de fonctionnement du budget de l’Etat en proportion de la richesse économique, sur l’ensemble du cycle économique, afin de permettre un financement pérenne et régulier des dépenses d’investissement de l’Etat, quels que soient les aléas de la conjoncture ;

- En matière de baisse fiscale, envisager de ne procéder à aucune nouvelle réduction de recettes fiscales ou sociales supplémentaire - susceptible d’amoindrir encore les recettes publiques - tant que des économies correspondantes n’auront pas été décidées par le Parlement en matière de dépense publique.

Un dernier axe devrait être exploré : modifier en profondeur les modes de travail du Gouvernement et du Parlement pour permettre un réexamen intégral de l’efficacité des dépenses budgétaires et fiscales une fois engagées.

Dans ce cadre, il conviendrait de doter le Parlement d’un véritable outil d’expertise propre sur le modèle britannique, dans le domaine budgétaire et fiscal, et améliorer la transparence des documents budgétaires pour faciliter le débat démocratique sur les grands choix de finances publiques dans notre pays.

Pour éviter que l’empilement des dépenses continue, toute annonce de nouvelle dépense devrait préciser la ou les dépenses qui seraient supprimées en contrepartie pour un montant équivalent.

Le travail parlementaire d’examen budgétaire devrait être facilité : il devrait notamment lui être permis de consacrer deux fois plus de temps dans le calendrier parlementaire tant à l’analyse des résultats qu’au vote du budget.

Enfin, le Gouvernement devrait s’engager sur un dispositif de réexamen périodique et complet des dépenses de l’État et de la sécurité sociale, sous l’autorité d’un ministre d’État et du Premier ministre. L’efficacité non seulement des dépenses publiques mais également des réglementations devrait être évaluée tous les trois ans pour s’assurer de leur cohérence;

D’autres pays, dans un passé récent, ont en outre réussi à concilier le redressement de leurs finances publiques tout en préservant la croissance : la Suède entre 2000 et 2002, le Danemark entre 1993 et 1999, la Belgique entre 1993 et 2005, ou encore les Néerlandais dans les années 1990. Notamment en se fondant sur ce type de règles de procédure, ainsi que sur des règles de comportement rigoureuses.

En particulier, ces pays se sont pour la plupart interdit de diminuer la pression fiscale pendant la phase de remise en ordre de leurs finances publiques et ont défini une règle d’utilisation des éventuels surplus de recettes.

Il est temps de refonder la politique budgétaire en France autour de nouveaux principes.

Conclusion

Cette réforme tardive dans le Quinquennat témoigne du désarroi de l’exécutif face à la dérive sans précédent des comptes publics depuis 2007. Il faut dire que le bilan de la majorité actuelle ne brille pas particulièrement sur le terrain de la rigueur financière.

Deux remarques de conclusion :

- Le débat sur les règles ne doit pas occulter le débat sur le contenu. La question de la trajectoire de finances publiques qui sera mise en œuvre sur la base de ces nouveaux instruments est en effet totalement absente.

- Le débat sur les règles pose la question du bon niveau de leur élaboration : nationale ou européen ?

Les décisions du Conseil des ministres des finances européens qui s’est tenu le 15 mars à Bruxelles viennent d’entériner une réforme profonde du Pacte de Stabilité et de croissance, qui s’apprête à en durcir considérablement les termes.

Les Etats européens viennent en effet de décider d’imposer à tous les Etats, dont la dette publique se situe au-dessus du plafond de 60% du PIB, ce qui est le cas de la France, une réduction chiffrée de la dette, à raison d’un vingtième par an de la différence entre le ratio d’endettement atteint et le plafond de 60 % prescrit.

Pour les pays les plus endettés de la zone - Italie, Belgique et France en tête –, l’effet sera très fort et les contraindra à accélérer leurs efforts de consolidation, le tout sous la contrainte de sanctions financières renforcées puisque ces dernières deviendront semi-automatiques (après un vote des ministres des finances, sur proposition de la Commission européenne) après une période de moratoire, il est vrai, de 3 ans.

Pour la France qui comptera un niveau de dette sur PIB proche de 84% fin 2011, et de 88% probablement fin 2012, cette décision imposerait de réduire le niveau de dette sur PIB de 1,4 point de PIB par an entre 2012 et 2017. Ceci impliquerait de revenir à moins de 3% de déficits en 2014-2015, et à environ 1% en 2017, date à laquelle la France reviendrait à une dette de l’ordre de 81% du PIB. Un effort d’ajustement très important, environ 4 points de PIB, soit près de 80 milliards d’euros d’ajustement, et sans précédent dans notre pays. Depuis 2002, les gouvernements ont réussi à baisser le déficit public au mieux de 0,5% par an.

Cet ajustement, décidé au niveau des 27 Etats européens cette semaine, devra toutefois encore être ratifié par le Parlement européen en juin.

Cet enjeu mérite tout autant d’être placé au centre du débat que la réforme constitutionnelle aujourd’hui proposée.


[1] Pour le meilleur, mais surtout pour le pire d’un point de vue du développement de l’Union, qui est demeurée un « nain » politique.


ANNEXE

Règles d'objectifs : les leçons tirées des exemples étrangers

1 - La règle n’est rien sans la volonté politique et la crédibilité acquise en matière de finances publiques

1. 1 - L’exemple allemand : le consensus précède la règle

La révision constitutionnelle qu’envisage le Gouvernement est inspirée de la réforme allemande adoptée en 2009, qui fixe dans la Loi fondamentale elle-même une date (2016 pour l’Etat fédéral) de retour à un quasi-équilibre des comptes publics (le déficit fédéral est limité à 0,35 % du PIB au maximum).

L’idée est simple : imitons les Allemands, qui ont en 2010, malgré les effets persistants de la crise, limité leur déficit public à 3,3 % du PIB, un niveau proche du seuil de 3 % fixé dans le pacte de stabilité et de croissance européens, tandis que le déficit français stagnait à un niveau abyssal proche de 8 % (près de 7,7 % attendus pour 2010, après 7,9 % en 2009).

Cette lecture biaisée de l’exemple allemand doit toutefois être éclaircie : si l’Allemagne a mis en place une règle d’une telle précision, c’est avant tout parce que son effort de redressement des finances publiques et sa maîtrise de la dépense et des recettes le permettent.

La règle inscrite dans la Loi fondamentale ne fait que traduire cet effort résolu : elle l’affiche et le rend plus crédible. Elle en est la conséquence et non la cause.

Si le gouvernement allemand, appuyé à l’époque sur une « grande coalition » gauche-droite, a pu faire voter une règle d’équilibre des comptes publics, c’est aussi en raison de la crédibilité qu’il avait acquise dans ce domaine, en ramenant le déficit d’environ 3 % du PIB en 2005 à une situation de quasi-équilibre en 2008, avant l’arrivée de la crise.

Tandis que Nicolas Sarkozy choisissait, contre toute logique économique et budgétaire, d’abaisser le taux de TVA dans la restauration, le gouvernement allemand décidait d’augmenter cet impôt. Le gouvernement allemand pouvait ainsi proposer une réforme constitutionnelle qui ne faisait qu’entériner sa politique de maîtrise des finances publiques, en créant un consensus fort autour de cette ambition. Le gouvernement français, qui ne s’est pas illustré par ses choix de vertu budgétaire, ne peut que susciter la méfiance lorsque, quelques mois avant la fin de la législature, il propose à son tour une telle réforme.

1. 2 - L’exemple anglais : la volonté politique vaut mieux que la règle

D’autres pays qui se sont engagés dans une politique de réduction massive des déficits n’ont pas fait le choix d’une règle de finances publiques.

Le Royaume-Uni en est l’exemple le plus frappant. Le budget de rigueur annoncé par le chancelier George Osborne le 22 juin 2010 s’inscrit dans une perspective pluriannuelle, mais il ne s’inscrit dans aucun cadre normatif.

Le cas britannique présente même un paradoxe éclairant. En période de crise, le gouvernement Cameron met en place une politique budgétaire, discutable mais volontariste, de réduction de la dépense et de hausse des impôts, sans aucune règle spécifique. En revanche, en période de croissance, le gouvernement Blair avait mis en place une « règle d’or », destinée à maîtriser les comptes publics tout en préservant les dépenses d’investissement ; cette règle avait d’ailleurs conduit à une forte hausse de la dépense d’investissement, difficile à maîtriser dans son montant et à évaluer dans son efficacité.

On le voit, les règles de finances publiques ne sont pas nécessairement un frein à la dépense et, quand les comptes des administrations publiques sont véritablement dégradés, ce n’est pas cet outil qu’il convient de mobiliser en priorité.

L’étude des deux principales puissances économiques voisines nous donne à voir deux modèles différents : en Allemagne, le redressement des finances publiques fait l’objet d’une volonté politique forte, transcrite dans une règle constitutionnelle exigeante ; au Royaume-Uni, ce même effort repose sur une volonté politique plus récente, mais sans doute plus résolue encore, sans l’appui d’aucune règle juridique.

Il serait étonnant et regrettable que la France ajoute à cette typologie un troisième modèle : celui de la règle sans la volonté, le gouvernement cherchant dans un cadre juridique destiné à ses successeurs le remède à ses propres faiblesses.

2 - Aucun pays n’a redressé ses finances publiques à l’aide d’une règle juridique

Au-delà des cas récents de réponse à la crise des finances publiques que connaissent la majorité des pays développés, l’examen des politiques budgétaires sur longue période relativise également la pertinence d’une règle d’équilibre.

L’exemple allemand doit encore être mobilisé en priorité, car la règle d’équilibre allemande n’est pas une totale novation. La Loi fondamentale prévoit en effet depuis 1969 que l’emprunt public ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissement. Toutefois, cette règle est assortie de dérogations, destinées à prendre en compte les aléas de la conjoncture économique.

Le résultat est connu : ces circonstances exceptionnelles ont été évoquées par le Gouvernement chaque fois que le déficit dépassait la dépense d’investissement.

Si l’Allemagne a globalement maîtrisé son déficit et sa dette, c’est ainsi davantage en raison de son choix résolu (et parfois discutable) de l’orthodoxie budgétaire plutôt qu’en vertu d’une quelconque règle contraignante.

De la même façon, les pays budgétairement vertueux, tels les Pays-Bas, ou ceux qui ont mis en place des ajustements budgétaires significatifs face à des situations de dégradation marquée de leurs comptes publics, comme le Canada dans les années 1990, ont souvent affiché des règles de comportement, mais leur nature est très différente de celle de la disposition constitutionnelle actuellement envisagée. Il s’agit d’un contrat politique, de l’annonce légitime d’une politique ancrée dans la durée et non d’une règle juridique imposée au Gouvernement et au Parlement lui-même.

Ainsi, aux Pays-Bas, aucune règle juridique n’est fixée. En revanche, les partis politiques établissent traditionnellement, avant les élections, un programme économique détaillé, évalué par un comité indépendant. A l’issue des élections, les partis qui forment la coalition de gouvernement signent un contrat de législature, contenant des engagements précis en matière de finances publiques (notamment un budget pluriannuel pour la durée du mandat) et devant ensuite être respecté sous le contrôle du ministre des finances.

Au Canada, face à des déséquilibres de grande ampleur, le gouvernement a défini dans les années 1990 une règle « anti-déficit », qui n’avait pas force de loi mais une valeur politique significative garantissant son respect. Depuis le milieu des années 2000, le Canada s’est en outre fixé un objectif décennal de réduction de sa dette publique, en pourcentage du PIB : une fois encore, cette ambition constitue un engagement politique et non une règle juridique.

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