La conférence de Durban II s'achève, après quatre jours de polémiques et l'adoption le 21 avril d'une déclaration finale acceptable, sans avancées notoires. Si la politique de la "chaise vide" mène à l'impasse, il est certain que le combat pour la promotion des droits de l'homme doit se livrer autrement que par ces forums internationaux, où les dictatures sont en position de force. L'universalisation d'un socle commun de droits de l'homme passe par l'application d'une conditionnalité collective par la communauté des démocraties, et notamment par l'élargissement de l'Union européenne.
Fallait-il boycotter la conférence de Genève « Durban II » contre le racisme ?
Il n’y a que des mauvaises réponses à cette question. La présence des démocraties permet de sécuriser la déclaration de la conférence mais aboutit à donner une tribune médiatique aux opposants les plus radicaux aux droits de l’homme : c’est ce qui s’est passé à Genève. La chaise vide débouche sur le résultat inverse, tout aussi insatisfaisant : on vide la conférence de sa dramaturgie médiatique mais on laisse le champ libre aux dictateurs pour imposer leurs vues sur le fond.
Une fois dans la seringue, il est malgré tout plus conforme à la politique multilatérale européenne de ne pas boycotter la conférence. C’est l’Europe, plus que tout autre, qui milite pour renforcer les institutions internationales et créer un ordre multilatéral. Déserter les instances multilatérales contribue à les discréditer. Le gouvernement français a donc eu raison de rester et de négocier jusqu’au bout pour améliorer la déclaration finale.
Malgré tout, Durban II a été contre-productif, et Durban I avait été un désastre. La Commission des droits de l’homme de l’ONU était une mascarade, le nouveau Conseil des droits de l’homme s’avère tout aussi inefficace pour améliorer les droits de l’homme dans le monde.
Cet échec onusien a une cause simple : les démocraties sont en minorité à l’ONU – 86 Etats sur 192 membres. La négociation multilatérale est vouée à l’échec car elle est tenue par les dictatures. C’est un peu comme si l’on négociait avec les paradis fiscaux les règles pour supprimer les paradis fiscaux. Naturellement, on n’y arriverait pas. C’est pourquoi ce sont les pays développés, dans le cadre de l’OCDE, qui ont arrêté les listes « noire » et « grise » des paradis fiscaux et pèsent ainsi sur ces territoires pour qu’ils se réforment.
C’est à la communauté des démocraties de fixer les règles d’appartenance au monde démocratique – pas aux dictatures. Le meilleur moyen pour faire progresser les droits de l’homme, c’est la conditionnalité : conditionner une aide, une relation, une participation au respect des droits de l’homme. C’est pourquoi nous faisons deux propositions :
La négociation de règles de conditionnalité communes à toutes les démocraties dans leurs relations avec les pays qui violent le socle universel des droits de l’homme. Ces règles de la « communauté des démocraties » pourraient être arrêtées dans le cadre de l’OCDE, qui a hébergé des exercices similaires avec le GAFI ou au sein du CAD .
Une réflexion sur les frontières ultimes de l’Union européenne. L’adhésion à l’Union est aujourd’hui l’instrument de démocratisation et de pacification politique le plus efficace. Cette réalité milite pour une extension du territoire de l’Union à ses marges, qui comptent parmi les zones les plus instables de la planète.
La Conférence des Nations Unies contre le racisme, dite Durban II, se conclut aujourd’hui. Elle avait pour but d’examiner les résultats du programme d’action prévu par Durban I, troisième conférence mondiale contre le racisme qui s'était tenue en Afrique du Sud en 2001 (après celles de 1978 et 1983).
1 – LES NEGOCIATIONS INTERNATIONALES CONTRE LE RACISME S’ENLISENT
1.1 - LE DESASTRE DE DURBAN I
La conférence Durban I avait suscité beaucoup d’espoirs. Les questions de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, de la lutte contre les discriminations et de la promotion des droits des femmes et des minorités ethniques, religieuses et sexuelles devaient en effet y être abordées.
La déception fut grande puisque, sous la pression d’associations radicales, le forum des ONG fut le théâtre de débordements - physiques et verbaux - antisémites et anti-occidentaux.
Saisissant l’aubaine, plusieurs pays où les violations des droits de l’homme sont quotidiennes en avaient profité pour faire passer à la trappe les sujets les plus embarrassants pour eux et pour attaquer les démocraties occidentales, accusées d’impérialisme culturel, et renvoyées à leur pêchés originels, la colonisation et l’esclavagisme.
Ces débordements avaient conduit plusieurs Etats démocratiques à quitter la Conférence. Deux textes avaient néanmoins pu être adoptés, dont le programme d'action qui fait l’objet de la Conférence de Genève. Des textes certes expurgés des mentions les plus choquantes voulues par les dictatures, mais qui n’en étaient pas exempts (notamment sur la stigmatisation d’Israël) et d’une rare pauvreté par ailleurs.
1.2 - LA REFORME MANQUEE DE LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME DE L’ONU
L’épisode de Durban fut une épreuve pour les démocraties occidentales. Il fallait faire preuve de plus de vigilance et faire en sorte que les débats multilatéraux sur le racisme ne se transforment pas en instrument politique aux mains de ceux qui sont précisément les plus coupables en la matière.
Conséquence : la « Commission des droits de l’homme » de l’ONU, dont les dictatures s’étaient assuré le contrôle, a été réformée en 2006 en un « Conseil des droits de l’homme ». Ayant pour mission de « promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans aucune sorte de distinction et en toute justice et équité », il est composé de quarante-sept Etats élus directement et individuellement au scrutin secret et à la majorité des membres de l’Assemblée Générale pour trois ans. La principale innovation en est le nouveau mécanisme d’examen périodique universel (EPU) mis en place pour inciter les Etats membres de l'ONU à se soumettre tous les quatre ans à un bilan complet sur le respect des droits de l'homme.
Pourtant, le nouveau Conseil est rapidement retombé dans les mêmes travers que la défunte Commission puisque, grâce au système des quotas régionaux et à la procédure de vote bloqué, les régimes autoritaires restent en mesure d’y imposer leurs vues grâce à un jeu d’alliances. La France y a, néanmoins, été réélue en mai 2008. Après avoir montré très peu d’intérêt pour ce Conseil, dans la ligne de la pensée néo-conservatrice, les Etats-Unis ont annoncé début avril leur intention de se porter candidat.
1.3 - DURBAN II : UNE NOUVELLE TRIBUNE POUR LES EXTREMISTES
Les travaux préparatoires de Durban II ont vite laissé craindre que les Etats démocratiques, et en particulier Israël, soient à nouveau dénoncés comme racistes et que la critique des religions soit érigée en violation des droits de l’homme. Echaudés par Durban I, huit pays - Israël, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne et les Pays-Bas - ont décidé de boycotter la conférence avant même son ouverture.
Confirmant ces craintes, la conférence a été prise en otage dès le premier jour par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui s’est offert une tribune mondiale de 30 minutes pour se livrer à une diatribe contre les démocraties occidentales et à une nouvelle attaque contre le « régime raciste » israélien. En protestation, les Européens ont quitté la salle pendant le discours. La présidence de l’Union européenne (la République tchèque) a décidé un retrait définitif de la conférence à l’issue de ce scandale.
Toutefois, grâce à une médiation menée par la Russie, la conférence a accouché d’une déclaration finale acceptable, adoptée le 21 avril. Certes, elle ne comporte aucune avancée notable et passe sous silence certains points cruciaux : les principes de l'égalité entre hommes et femmes et de non-discrimination envers les homosexuels ne sont pas mentionnés. Malgré tout, aucune ligne rouge n’a été franchie : Israël n’est pas stigmatisé et le concept de « diffamation des religions », contraire à la liberté d’expression, n’est pas reconnu (cf. polémique sur les caricatures de Mahomet au Danemark). Il y a même des éléments positifs, la volonté collective de lutter contre le racisme et la xénophobie, la reconnaissance de l’Holocauste.
Ce résultat a été salué par Bernard Kouchner, qui n’a pas hésité à forcer le trait : « A partir d’aujourd’hui il y a un texte antiraciste de référence ». La haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, Navanethem Pillay, a quant à elle rappelé que le discours du président iranien n’avait rien à voir avec le fond de la conférence et ne saurait compromettre son résultat.
2 – PROPOSITIONS POUR SORTIR DE L’IMPASSE
2.1 - FALLAIT-IL BOYCOTTER OU NON LA CONFERENCE ? UNE IMPASSE « PERDANT PERDANT ».
Le débat a été posé en ces termes dans les médias. Mais il est sans issue.
Y aller permet de sécuriser la déclaration de la conférence mais aboutit à donner une tribune médiatique aux opposants les plus radicaux aux droits de l’homme, comme ce fut le cas avec le président iranien.
Mais la « politique de la chaise vide » débouche sur le résultat inverse, tout aussi insatisfaisant : on vide la conférence de sa dramaturgie médiatique (le dictateur prenant à partie « en direct » les leaders démocrates) mais on laisse le champ libre aux ennemis des droits de l’homme pour imposer leurs vues sur le fond.
Une fois dans la seringue, il est malgré tout plus conforme à la politique multilatérale de la France de ne pas boycotter la conférence. Déserter les instances de ce type contribuerait à renforcer le courant de pensée qui, via la critique systématique des institutions internationales et en particulier de l’ONU, entend discréditer toutes les instances de discussion multilatérale. Le gouvernement français a donc sans doute eu raison de rester et de négocier jusqu’au bout pour améliorer la déclaration finale.
2.2 - PROPOSITIONS POUR L’AVENIR
L’objectif : l’universalisation d’un socle commun de droits de l’homme
Certains sont tentés par le relativisme et acceptent l’idée avancée par les dictatures que les droits de l’homme sont un concept occidental et non universel.
Cette logique doit être combattue. Les droits des femmes, la liberté religieuse, la liberté de ses orientations sexuelles sont des droits à vocation universelle. Certes, ils n’existent encore que dans les démocraties, pour l’essentiel en Occident : ils ne sont donc pas, aujourd’hui, universels ; et ils sont contestés par les gouvernements non-démocratiques. Certes également, ils représentent, même en Occident, des conquêtes récentes. Mais ils constituent le socle universel du respect la dignité humaine, vers lequel toute société doit tendre.
Le relativisme, en la matière, n’est pas acceptable. Comme l’Union Soviétique qui dénonçait en son temps les droits de l’homme « bourgeois », dictatures laïques et religieuses se donnent la main pour brandir l’argument de l’impérialisme culturel - et donc du racisme - à chaque fois que sont évoquées les questions de la lapidation des femmes adultères, de l’emprisonnement des homosexuel(le)s ou de la négation du génocide des juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Pire, ce sont systématiquement les Etats démocratiques qui se retrouvent accusés de pratiques racistes quand ils interdisent le port du voile dans les écoles ou publient des caricatures de Mahomet. Et c’est Israël qui est mis à l’index pour « apartheid » et le sionisme qualifié de racisme.
Il ne faut en aucun cas se laisser enfermer dans une vision de droits « occidentaux », contre des droits du Sud, ou pire des droits islamiques. Les droits de l’homme ne constituent pas une ligne de fracture entre l’Islam et l’Occident – les pays musulmans démocratiques, comme la Turquie, ou les nouvelles démocraties des Balkans le montrent.
Les moyens : une conditionnalité collective pour la « communauté des démocraties ».
L’ONU a jusqu’ici prouvé son impotence sur le sujet des droits de l’homme. Pour une raison simple : sur 192 Etats membres, seule une minorité, 86, sont des démocraties. Dans ces conditions, toute négociation onusienne donnera l’avantage aux gouvernements non-démocratiques. On l’a vu pour Durban II : la conférence était présidée par la Libye et l’Iran, et Cuba en assurait la vice-présidence…
La négociation multilatérale est en l’occurrence vouée à l’échec. Elle ne peut, au mieux, que constater les désaccords entre démocraties et dictatures. Elle n’est pas un instrument pour faire progresser les droits de l’homme.
C’est un peu comme si l’on négociait avec les paradis fiscaux les règles pour supprimer les paradis fiscaux. Naturellement, on n’y arriverait pas. C’est pourquoi ce sont les pays développés, dans le cadre de l’OCDE, qui ont arrêté les listes « noire » et « grise » des paradis fiscaux et pèsent ainsi sur ces territoires pour qu’ils se réforment.
Une méthode similaire de « liste noire » n’est guère envisageable pour les pays violant les droits de l’homme, à cause de la situation actuelle de la Russie et de la Chine, dont la place sur la scène diplomatique internationale n’est pas vraiment comparable à celle des paradis fiscaux.
Mais le principe général est le bon : c’est à la communauté des démocraties de fixer les règles d’appartenance au monde démocratique – pas aux dictatures.
Le meilleur moyen pour faire progresser les droits de l’homme, c’est la conditionnalité : conditionner une aide, une relation, une participation au respect des droits de l’homme.
On oppose à cette conditionnalité le réalisme de la realpolitik : si la France conditionne ses relations diplomatiques au respect des droits de l’homme, elle perdra des marchés commerciaux et de l’influence politique au profit de concurrents occidentaux moins regardants. C’est vrai.
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas mutualiser cette conditionnalité ?
C’est pourquoi nous proposons que soit négociées au sein de l’OCDE, ou dans une enceinte ad hoc rattachée au secrétariat de l’OCDE (comme l’est le GAFI dans la lutte contre les territoires non-coopératifs en matière de blanchiment ou le CAD pour l’aide publique au développement) et qui représenterait la « communauté des démocraties », des règles de conditionnalité communes à toutes les démocraties dans leurs relations avec les pays qui violent le socle universel des droits de l’homme.
Un outil régional : la conditionnalité européenne
La conditionnalité démocratique la plus efficace, aujourd’hui, c’est l’Union européenne. L’adhésion est conditionnée par les « critères de Copenhague ». L’un est économique, mais l’autre est démocratique : la mise en place d'« institutions stables garantissant l'état de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection ».
Cette conditionnalité est d’une remarquable efficacité. L’entrée dans l’Union assure la pacification immédiate des nouveaux membres et leur stabilisation politique. La Grèce sortait de la dictature des colonels, le Portugal du régime de Salazar, l’Espagne du joug franquiste : leur adhésion à l’Union a consolidé leurs régimes démocratiques naissants. L’Europe de l’Est a subi quarante ans de totalitarisme soviétique. C’est désormais un souvenir. Elle héberge en outre un enchevêtrement de minorités ethniques à fort potentiel déstabilisant : Hongrois de Transnistrie, Roms, Aroumains, Moraves en République tchèque, Allemands des Sudètes et de Silésie… L’intégration à l’Union, qui garantit le respect des droits des minorités, a permis de dissiper rapidement ces tensions ethniques pourtant séculaires.
L’Union a également ouvert des négociations d’adhésion avec la Turquie et, globalement, les progrès sont incontestables. Les droits de l’homme et l’Etat de droit ? Depuis 2001, et davantage encore avec le gouvernement islamique de l’AKP qu’avec le pouvoir nationaliste kémaliste, Ankara a adopté un train impressionnant de réformes démocratiques : la peine de mort abolie, les prérogatives constitutionnelles de l’armée revues à la baisse, l’identité kurde reconnue… Le génocide arménien ? Les intellectuels turcs, en nombre croissant, invitent le pays à regarder son passé en face, sans encourir les foudres des nationalistes. L’opinion publique semble mûre. Chypre ? Le Premier ministre a accepté le plan de paix de l’ONU – c’est au contraire le gouvernement chypriote grec qui l’a rejeté.
Cette efficacité de l’élargissement milite pour une extension des frontières de l’Union à ses marges, qui comptent les régions les plus instables de la planète : Moyen-Orient bien sur, mais aussi Républiques caucasiennes (conflit géorgien), Afrique du Nord.
L’extension de l’Union européenne, d’abord à la Turquie, ensuite à tout ou partie du pourtour méditerranéen ne serait pas illégitime : l’Europe renouerait ainsi avec l’espace géographique de la civilisation européenne de l’Antiquité. Et l’Europe contribuerait de manière décisive au dépassement du conflit des civilisations, en assurant en son sein une intégration démocratique de l’Occident et de l’Islam.